Économie

Au Sénégal, Auchan développe ses filières locales d’approvisionnement

En progression de 27 % sur le marché sénégalais, le distributeur français y affronte pourtant la nouvelle concurrence des enseignes de CFAO et a fait face à la campagne « Auchan dégage», l’accusant de nuire au petit commerce.

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Mis à jour le 16 mars 2020 à 09:15

Un magasin Auchan à Yoff, une commune proche de Dakar. © Manon Laplace pour JA

En 2019, l’enseigne Auchan a ouvert un hypermarché de 3 000 m2 et trois supermarchés au Sénégal, portant à 31 le nombre de ses points de vente dans le pays. Le distributeur français, dont le chiffre d’affaires global a reculé de 1,4 % à changes courants (à 45,8 milliards d’euros), continue à progresser au Sénégal où il est implanté depuis 2015.

Après une bonne année 2018, son chiffre d’affaires dans le pays  affiche encore une hausse de 27 % en 2019. Une progression qui s’explique, outre la hausse du nombre de ses points de vente, par sa chaîne d’approvisionnement locale, soutenue par « 500 fournisseurs sénégalais ». Ainsi, « 60 % des produits commercialisés dans les magasins Auchan au Sénégal sont des produits locaux, le reste provient de l’import ».

« 100 % de la viande, du poulet, de l’huile, du poisson, et 90 % des légumes vendus dans nos magasins sont achetés à des exploitants sénégalais », détaille Papa Samba Diouf, qui coordonne la communication externe et digitale d’Auchan au Sénégal. Une dynamique que l’enseigne souhaite encore renforcer pour faire face aux  ruptures de stocks auxquelles elle est parfois confrontée, malgré la chaîne d’approvisionnement locale « maîtrisée » qu’elle met en avant.

Opportunités pour les acteurs locaux 

Le Sénégal bénéficiera ainsi du développement d’une partie des 250 nouvelles « filières agricoles responsables » annoncées par le groupe pour 2020. Il s’agira pour le groupe de travailler avec des producteurs locaux sur des filières d’approvisionnement qui s’engagent sur la qualité ; « l’objectif étant d’être en mesure de proposer à nos clients des produits dont nous pouvons garantir la provenance, le bon goût, les bonnes méthodes de production et la protection de l’environnement », explique Papa Samba Diouf. Auchan continue de tisser des collaborations avec des producteurs locaux et vient de nommer un responsable en charge de ces filières.

« La présence de ces firmes offre des opportunités intéressantes à certaines entreprises locales, notamment à travers des contrats pluriannuels qui leur permettraient de commercialiser leurs produits. Un tel partenariat permettrait à nos entrepreneurs locaux de monter en gamme et en qualité », commente Cheikh Fatma Diop, financier et spécialiste du commerce international.

Momar Ndao, le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), se réjouit de l’initiative de « ces grandes surfaces qui distribuent des produits du terroir à des prix intéressants ». « Aujourd’hui nous devons augmenter la production locale et malheureusement nous n’avons pas de fonds pour encourager un développement de plus en plus industrialisé de cette production. Des initiatives comme celle d’Auchan, le plus grand client de notre industrie agricole, peuvent y contribuer », assure le président de l’Ascosen.

Nouvelle concurrence

Auchan, un temps quasiment seul sur le marché de la grande distribution dans le pays doit en effet désormais affronter la concurrence d’enseignes comme Carrefour et Supeco, qui entendent également fournir une offre de proximité et de qualité aux prix les plus bas. Une situation que salue Momar Ndao : « C’est une bonne chose, à la fois pour le consommateur qui va disposer de produits d’un niveau de qualité et de salubrité beaucoup plus élevée, et pour les producteurs locaux parce qu’ils ne pourront s’en sortir qu’en distribuant leurs produits ».

Pour Cheikh Fatma Diop, la présence d’enseignes comme Auchan et ses concurrents sur le marché sénégalais est aussi positive en ce sens qu’elle absorbe une partie du marché du travail et constitue, pour le Trésor public, un moyen supplémentaire d’accroître ses ressources.

Carrefour et Supeco, portées par le groupe CFAO, se sont clairement positionnées en concurrents directs d’Auchan. Les deux enseignes affichent leur ambition de mettre les filières locales au cœur de leurs dispositifs. Mais dans les faits, Carrefour, qui ne dispose jusqu’ici que d’un seul magasin situé dans le quartier huppé du Point E à Dakar, a encore du mal à se départir de l’estampille d’enseigne de luxe que lui collent nombre de consommateurs. Supeco, arrivée en octobre 2019, et déjà dotée de trois magasins, dans les quartiers dakarois de Mansour, Grand Yoff et Golf, communique fortement sur ses « prix imbattables » pour arracher sa place au soleil.

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De son côté, Auchan vise un « maillage territorial » du Sénégal et compte s’implanter « très rapidement dans les grandes villes et régions du pays comme Kaolack, Saint Louis, Ziguinchor, Louga, Touba. Et ce, en propre ou en franchise », confie Papa Samba Diouf, selon qui l’enseigne s’attèle aussi à renforcer sa présence dans la banlieue de Dakar, qui constitue « un vrai levier de croissance » afin d’« adapter son offre à la réalité économique et démographique ».

Patriotisme économique

Mais dans un contexte sénégalais où les entreprises françaises, taxées d’agents de « recolonisation », essuient la grogne de certains activistes, Auchan se trouve au cœur de cette fronde anti-impérialiste et a même eu droit à une campagne on ne peut plus explicite :  « Auchan Dégage ! ».

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« Les magasins Auchan ont proliféré dans des zones clés où étaient implantés d’importants marchés traditionnels. Comment les petits commerçants sont-ils censés lutter face à l’une des plus grosses entreprises mondiales de la grande distribution ? », confiait récemment à Jeune Afrique Abdoulaye Seck, un militant du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) à l’origine de la campagne « Auchan Dégage ! ».

« Il nous semble important, dans le cadre du patriotisme économique et d’endogénéité du développement économique, de protéger autant que possible le tissu économique local, l’installer sur un level playing field, c’est-à-dire une position tendant à égaliser les chances de survie et de prospérité », commente le financier Cheikh Fatma Diop, qui suggère « des mesures d’accompagnement qui pourraient par exemple porter sur l’actionnariat des enseignes comme Auchan ou Carrefour, afin de s’assurer que les nationaux sénégalais en soient majoritaires ou, tout au moins, détiennent une part significative ».

En 2018, le gouvernement sénégalais avait publié un décret qui réglemente l’activité des commerces de grande distribution au Sénégal, mais pour Momar Ndao, le président de l’Ascosen, « il faut réglementer les rapports entre la grande distribution et les différents fournisseurs de sorte qu’il n’y ait pas des abus de faiblesse ou de position dominante ». « Nous aurions souhaité, qu’à côté de ce décret, on puisse aller plus loin en gérant les rapports entre les différents acteurs », plaide-t-il.


Le Sénégal comme seul marché africain

En 2015, en démarrant ses activités au Sénégal, Auchan a fait valoir son ambition d’investir l’Afrique subsaharienne francophone. Mais jusqu’ici, son principal marché sur le continent demeure le marché sénégalais, car le géant français n’est plus présent en Mauritanie et se contente de son partenariat avec Magasin général en Tunisie, dont il détient 10 % du capital.