Politique

RDC : « La conséquence des tensions au sein de la coalition, c’est que le pays ne décolle pas »

Un peu plus d’un an après l’investiture de Félix Tshisekedi, les évêques catholiques congolais ont livré un état des lieux très critique de la situation sociopolitique en RDC. L’abbé Donatien N’shole, secrétaire général de la Cenco, en détaille les grandes lignes pour Jeune Afrique.

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Par - à Kinshasa
Mis à jour le 8 mars 2020 à 17:47

L’abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la Cenco, en décembre 2016 pendant les négociations qui ont débouché à l’accord de la Saint-Sylvestre en RDC (photo d’illustration). © John Bompengo/AP/SIPA

« Il est inacceptable que le pays soit pris en otage par un accord qui, du reste, est occulte. » Dans un communiqué au vitriol publié lundi, la Conférence épiscopae nationale du Congo (CENCO) a livré son analyse de la situation sociopolitique en RDC. Et le constat établi par les prélats fait état de nombreuses « inquiétudes » et pointe, en particulier, « une tension préoccupante qui couve au sein de la coalition au pouvoir, [qui] se répercute sur la gouvernance, et entame le fonctionnement de l’appareil de l’État ».

L’abbé Donatien N’shole, secrétaire général de la Cenco, revient pour Jeune Afrique sur le contenu de ce texte, rédigé par les évêques congolais à l’issue de quatre jours de discussion au sein du comité permanent du comité épiscopal.

Jeune Afrique : Votre message est très critique envers la coalition au pouvoir, qui lie le CACH de Félix Tshisekedi au FCC de Joseph Kabila. La Cenco doit-elle se mêler de politique ?

Donatien N’shole : Ce rapport peut paraître critique, mais il s’agit d’une lecture de la situation actuelle du pays dans l’intention d’interpeller les  personnes concernées. En l’occurrence, les acteurs politiques et les responsables des différentes institutions, qui doivent faire mieux, pour mieux servir la population. La préoccupation principale des évêques, c’est l’amélioration des conditions de vie des congolais.

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La coalition est, justement, tiraillée par des tensions internes entre les partisans de Tshisekedi et ceux de Kabila. Pensez-vous qu’elle puisse tenir en l’état jusqu’en 2023, date de la prochaine échéance présidentielle ?

Nous constatons que les acteurs politiques ont choisi la coalition comme mode de gouvernement. Ils pouvaient, aussi, choisir la cohabitation. C’est leur choix. Nous ne sommes ni pour l’un, ni pour l’autre.

Se mettre en coalition, cela signifie regarder dans la même direction, pour servir le pays. Mais l’on assiste à des querelles, des tensions permanentes. Il suffit d’écouter les uns et les autres pour constater que cela ne va pas. Ceux qui doivent en théorie regarder dans la même direction passent leur temps à se battre, ils ne travaillent pas ensemble.

La conséquence de ces tensions au sein de la coalition, c’est que le pays ne décolle pas au rythme que l’on aurait souhaité.

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Qui est responsable de cette situation, selon vous ?

Nous appelons ceux qui dirigent, au sein de la coalition, à être cohérents. Ayant choisi la coalition, FCC et CACH sont moralement obligés de regarder dans la même direction. S’ils se rendent compte que cela ne convient pas, c’est à eux d’en tirer les conséquences.

Pour vous, quelle est la marge de manœuvre de Félix Tshisekedi ? Contrôle-t-il le pouvoir exécutif ?

Nous avons l’impression qu’il est de bonne volonté. Mais est-ce qu’il contrôle les choses ? Est-ce qu’il tient le pouvoir ? Nous ne sommes pas là pour contrôler au quotidien le fonctionnement du gouvernement…

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Dans l’opposition, la coalition Lamuka semble elle aussi très divisée sur la stratégie à adopter. Martin Fayulu, qui continue de se proclamer président élu et de ne pas reconnaître la victoire de Félix Tshisekedi, doit-il selon vous continuer son combat pour « la vérité des urnes » ?

Après la proclamation des résultats, nous avons donné notre lecture des faits [La Cenco avait alors publié un rapport qui donnait Martin Fayulu vainqueur de la présidentielle, NDLR. On a pris acte que, pour le moment, nous avons un président : Félix Tshisekedi. La Cenco s’est engagée à l’accompagner dans son travail pour le bien-être du peuple congolais. Les critiques que nous portons font partie de cet accompagnement.

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Vous affirmez que « la corruption et les détournements du denier public persistent ». Sur quoi vous basez-vous ?

Il y a des données publiques, au-delà des seules rumeurs. Nous avons aussi recueilli plusieurs témoignages. On sait que des gens achètent des immeubles, des résidences, et tout le monde se demande d’où vient l’argent pour les payer… On se refuse de citer les noms des personnes concernées, mais nous avons toutes les informations à notre disposition.

Sur les doutes portant sur la gestion du programme des cent jours, des audits et des enquêtes ont été lancés. Qu’en attendez-vous ?

Nous voulons que ces enquêtes parviennent à des résultats concrets. Nous sommes habitués depuis des années à ce que des enquêtes soient lancées, annoncées en grande pompe, mais à la fin, il n’y a jamais aucune conclusion qui est rendue publique.

Là, il s’agit de soupçons de détournements de deniers publics. Nous voulons juste y voir plus clair, et nous mettons en outre en garde contre toute politisation.