Société

Ebola en RDC : « Si tout se passe bien, nous pourrons déclarer la fin de l’épidémie le 12 avril »

Alors que la dernière patiente a quitté le centre de traitement de Beni, l’un des épicentres de l’épidémie, la RDC peut-elle crier victoire face au virus Ebola, qui sévit dans les deux Kivu ainsi qu’en Ituri depuis août 2018 ? Réponse du Pr Jean-Jacques Muyembe, qui a dirigé la riposte.

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Mis à jour le 6 mars 2020 à 11:41

Jacques Muyembe est à la tête du comité d’experts chargé de contenir l’épidémie d’Ebola en RD Congo. © DR / Copie d’écran Facebook – Jean-Jacques Muyembe

Tuniques vertes et charlotte sur la tête, l’équipe médicale du centre de traitement de Beni a célébré, mardi 3 mars, la sortie de Semida Masika, la dernière patiente Ebola encore en observation. Depuis le début de la flambée, en août 2018, 3 444 cas (3 310 confirmés et 134 probables) ont été recensés pour 2 264 décès enregistrés, selon le dernier bilan de l’OMS daté du 2 mars. La dixième épidémie d’Ebola de l’histoire de la RDC, déclarée urgence sanitaire mondiale par l’OMS en juillet 2019 après la découverte d’un cas à Goma, touche-t-elle à sa fin ? La situation ne semble pas si simple.

Nommé en juillet 2019 à la tête de la riposte en remplacement du Dr Oly Ilunga, ancien ministre de la Santé, le professeur Jean-Jacques Muyembe connaît bien ce virus. Docteur en virologie, c’est lui qui, en 1976, découvre les premiers cas suspects à Yambuku, sur les bords de la rivière Ebola, dans l’actuelle province du Mongala (nord-est).

Placé par Félix Tshisekedi à là la tête du comité d’experts chargé de contenir l’épidémie, il revient pour Jeune Afrique sur l’épidémie, les risques de résurgence du virus et livre un premier bilan d’une riposte qui n’a pas été épargnée par les critiques.

Jeune Afrique : Après la guérison de la dernière patiente au centre de traitement de Beni, peut-on dire que l’épidémie touche à sa fin ? 

Pr Jean-Jacques Muyembe : La dernière patiente est sortie le 3 mars. Pour nous cela signifie que l’épidémie est sous contrôle. Désormais, il faut attendre 42 jours avant de pouvoir déclarer la fin de l’épidémie.

Le compte à rebours a commencé le 2 mars, date du retour des derniers tests négatifs de la patiente, qui n’est aujourd’hui plus en capacité de transmettre le virus à d’autres personnes. Si tout se passe bien, nous pourrons déclarer la fin de l’épidémie le 12 avril.

Existe-t-il des risques de résurgence du virus ?

La probabilité est faible, parce que le nombre de personnes avec lesquelles cette dernière patiente a interagi, sous surveillance de nos équipes médicales, a considérablement diminué. Initialement ils étaient une centaine, mais on n’en dénombre plus qu’une trentaine aujourd’hui.

Le suivi, qui doit durer 21 jours, s’achèvera pour ces derniers patients le 9 mars. Si, d’ici là, aucune d’entre-elles ne présente de symptômes, elles seront déclarées hors de danger.

Ensuite, le risque de résurgence peut apparaître chez les personnes convalescentes qui portent le virus dans le liquide séminal. On a connu des cas de ce type, qui ont contaminé leur conjoint et déclenché une nouvelle flambée. Donc, nous restons en alerte jusqu’au 12 avril avant d’officialiser la fin de l’épidémie.

Maintenant qu’il n’y a plus de cas infectés, l’OMS doit-elle déclarer la fin de l’urgence sanitaire mondiale ? 

Pour nous c’est une décision qui a peu d’impact. Nous pouvons parfaitement attendre cette date du 12 avril et déclarer la fin de l’urgence mondiale en même temps que la fin de l’épidémie. Maintenant, si l’OMS veut le faire avant, elle est libre de le faire.

La situation telle qu’elle est aujourd’hui indique que ce n’est plus une urgence de portée internationale, mais nous devons rester vigilants.

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Nous sommes d’ailleurs en train de réduire les effectifs. David Gressly, le coordinateur de la riposte pour l’ONU, a quitté ses fonctions, et nous préparons une période de transition pour renforcer le système de santé dans les trois provinces affectées.

Du 10 au 12 mars nous serons en réunion avec les gouverneurs des trois provinces (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri) et le ministre de la Santé, Eteni Longondo, pour élaborer ce plan de transition. Si Ebola touche à sa fin, il faut que l’on puisse accompagner ces provinces dans l’après : les problèmes de sécurité, d’éducation et de santé ont longtemps été mis de côté et restent prioritaires pour la population. Plus que l’épidémie en elle-même.

La riposte a été marquée par le débat autour de l’utilisation controversée de vaccins expérimentaux. Quel bilan tirer des deux produits utilisés ? 

Le vaccin de Merck a aidé à rompre la chaîne de transmission du virus. Il est désormais homologué, ce qui est déjà en soit une satisfaction, mais nous souhaitons aussi avancer sur l’utilisation du second vaccin, de Johnson & Johnson, pour agir sur la population saine.

Il faut pouvoir s’aménager plusieurs options face à des telles épidémies. Nous attendons encore certains résultats pour ce second vaccin, pour évaluer son efficacité. Dans le même temps, nous poursuivons nos études cliniques sur d’autres produits.

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La riposte a également fait l’objet de critiques portant sur la gestion des fonds qui lui étaient alloués et l’inadaptabilité de son fonctionnement au contexte de l’est de la RDC…

Nous avons pris note de ces critiques, et nous en tirerons les leçons dans la lutte futures contre d’autres épidémies. Nous allons rendre un rapport final, avec les points forts et les points faibles de la riposte. Mais pour nous, il est encore bien trop tôt pour revenir là-dessus, alors que nous n’avons pas encore livré nos conclusions.

Sur la question de la gestion des fonds, cela ne relevait pas de mes attributions, qui se limitaient au domaine technique. L’OMS et la Banque Mondiale avaient cette charge là.

Nos structures hospitalières ne sont pour l’instant pas équipée pour accueillir des cas sévères de Covid-19

Alors que plusieurs pays du continent commencent à prendre des mesures sur le Covid-19, le coronavirus, pensez-vous que la RDC est prête pour combattre l’arrivée éventuelle de ce virus ? 

Je pense que nous pouvons profiter de l’expérience de la riposte contre Ebola pour nous préparer contre le Covid-19. Les mesures de précautions hygiéniques sont similaires. Nous pouvons étendre à l’ensemble du territoire les points de lavages de mains installés dans l’est et systématiser les prises régulières de température à l’arrivée et au départ des aéroports du pays.

Maintenant, nous devons aussi augmenter notre capacité de prise en charge des cas sévères de Covid-19. Nous sommes équipés pour détecter ce types de maladies, nous allons ouvrir un nouveau laboratoire prochainement à Goma, mais nos hôpitaux doivent se préparer.

Je pense que c’est pour l’instant notre point faible : nos structures hospitalières ne sont pour l’instant pas équipée pour prendre en charge les cas les plus sérieux.