Deux semaines après le déplacement à Kinshasa de J. Peter Pham (10-13 février), l’envoyé spécial de l’ONU pour les Grands Lacs, c’était au tour de Félix Tshisekedi de se rendre cette semaine aux États-Unis pour une visite officielle, la quatrième depuis sa prise de fonction en janvier 2019.
Invité le 1er mars à s’exprimer devant l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), puissant lobby américain pro-Israël, le président congolais a dressé les contours d’un rapprochement avec Israël qui alimente depuis la polémique à Kinshasa.
« Unilatéral et cavalier »
Désireux de « tisser des liens forts » avec l’État hébreu, Tshisekedi a multiplié les annonces devant un parterre enthousiaste. Après plusieurs années sans représentation « au niveau adéquat » au sein de son ambassade à Tel-Aviv – Kinshasa ne dispose actuellement que d’un chargé d’affaires – le président congolais a annoncé son intention de nommer un nouvel ambassadeur « dans les prochains jours ».
Une « section économique » animée par un « personnel de haut niveau » va aussi voir le jour et s’installer à Jérusalem. La représentation congolaise étant à Tel-Aviv, Félix Tshisekedi a affirmé ne pas y voir « d’inconvénient », bien que le statut de la ville de Jérusalem soit extrêmement controversé.
Aussi, après plus de 20 ans sans une représentation au niveau adéquat, je procéderai, dans les prochains jours, à la nomination d’un Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès de l’Etat d’Israël.
— Présidence RDC ?? (@Presidence_RDC) March 2, 2020
Il a même, en conclusion de son allocution, apporté son soutien au « plan de paix » de Donald Trump pour Israël et la Palestine, une feuille de route présentée fin janvier par le président américain et rejetée par l’Autorité palestinienne et une partie de la communauté internationale, l’Autorité palestinienne en tête.
Les réactions, notamment dans le camp de son prédécesseur, Joseph Kabila, ne se sont pas faites attendre. « La RDC ne peut ignorer la Palestine, c’est une simple question de logique et de cohérence », a ainsi commenté Jean-Pierre Kambila, un proche de l’ancien président, sur Twitter.
Joint par Jeune Afrique, Barnabé Kikaya Bin Karubi, conseiller diplomatique de Kabila quand ce dernier était au pouvoir, critique la « manière cavalière et unilatérale » avec laquelle le président Tshisekedi a, selon lui, pris cette décision. Et ce alors que « la RDC est dirigée par un gouvernement de cohabitation ». « Cette décision nous engage tous », a estimé le diplomate.
« C’est sa position »

Le président congolais Félix Tshisekedi avec le secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, le 3 mars 2020 à Washington. © Secrétariat d’Etat américain
Faut-il y voir y voir un gage donné à Washington ?
Cette prise de position de Félix Tshisekedi sur un sujet aussi épineux peut surprendre, car elle intervient quelques semaines après la dénonciation du « plan de paix » de Trump par l’Union africaine, dont le chef d’État congolais est l’actuel vice-président et dont il prendra la tête en 2021.
Lors de son dernier sommet à Addis Abeba, les 9 et 10 février, l’UA avait estimé que ce plan constituait « une énième violation des multiples résolutions » des Nations unies et de l’Union africaine. Le nouveau président en exercice de l’UA, Cyril Ramaphosa avait même comparé le projet américain au régime d’apartheid en vigueur en Afrique du Sud de 1948 à 19991.
Dès lors comment comprendre le virage diplomatique engagé par Félix Tshisekedi ? Faut-il y voir y voir un gage donné à Washington dans le cadre du rapprochement en cours entre les États-Unis et la RDC ? Dans l’entourage du président, on balaye la polémique. « Cette décision représente la position du président », nous a simplement affirmé par message un conseiller de Félix Tshisekedi.
« Cela ressemble à un pari risqué, l’opinion congolaise étant clairement sensible à la cause palestinienne. Mais il y a peu de chance que ça le mette en porte-à-faux avec ses pairs », estime cependant une source diplomatique.
Gages de rupture avec Kabila
Depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, Washington n’a eu de cesse de réclamer de gages concrets de rupture avec le camp de Joseph Kabila – et en particuliers avec les personnalités sous sanction du Trésor américain – ainsi que des progrès en termes de lutte contre la corruption.
Les relations entre la RDC et Israël ont souvent été en dent de scie. Elles avaient notamment connu d’importantes perturbations en à partir de 1973, au moment de la guerre du Kippour.
Venu s’exprimer à la tribune de l’ONU, Mobutu Sese Seko avait alors livré un discours resté célèbre dans lequel il avait annoncé la rupture des relations entre le Zaïre et Israël. « Le Zaïre doit choisir entre un pays ami, Israël et un pays frère, l’Égypte. Or entre un ami et un frère le choix est clair », avait-il martelé en préambule (voir la vidéo ci-dessous à 28:30). Les relations diplomatiques n’avaient ensuite été rétablies qu’au début des années 1980.