A 64 ans, Kaddour Chouicha n’est pas prêt de se laisser intimider. Militant des droits de l’homme depuis les années 1980, ce professeur en génie civil à l’Université des sciences et technologies d’Oran (Ouest algérien) a essuyé nombre de pressions au cours de sa carrière, sans jamais passer par la case prison. Mais après sa participation aux manifestations du Hirak, il a été été condamné à un an de détention ferme, le 10 décembre 2019, à deux jours de l’organisation de la dernière élection présidentielle. Il sera incarcéré pendant quelques semaines, avant d’être libéré puis relaxé le 3 mars. Présent à Paris lors d’un meeting organisé par la Confédération générale autonome des travailleurs et travailleuses en Algérie (CGATA) fin février, il témoigne de l’évolution de la répression en Algérie. Un récit nécessaire, d’autant que son activisme de longue date en fait un observateur avisé du processus en cours.
Jeune Afrique : Syndicaliste et militant de longue date, vous avez été emprisonné pour la première fois après votre participation au Hirak. Racontez-nous ce qu’il s’est passé…
Kaddour Chouicha : Le Hirak est venu pour réclamer une rupture avec le système autoritaire en place jusque-là, qui ne permet aucun espace autonome. Nous avons donc manifesté et créé un comité anti-répression. A la suite de cela, j’ai été arrêté les 24 octobre et 22 novembre 2019, puis relâché. Avant d’être condamné en comparution immédiate à un an de prison ferme, le 10 décembre, pour outrage à corps constitué et publication d’informations portant atteinte aux intérêts du pays.
De fait, durant le procès, j’ai pu constater la présence de la sûreté militaire et l’absence d’indépendance du procureur
A quoi ces accusations renvoient-elles ?
Ces termes sont assez vagues pour pouvoir y mettre tout et n’importe quoi. On m’a notamment reproché d’avoir dit « longue vie au Hirak », d’avoir dénoncé la violence policière, d’avoir discuté avec des personnes interviewées par la chaîne Maghrebia, ou encore d’avoir utilisé Viber pour téléphoner à des numéros internationaux (dont certains erronés). De fait, durant le procès, j’ai pu constater la présence de la sûreté militaire et l’absence d’indépendance du procureur.
Quelles ont été vos conditions de détention ?
Je suis resté 28 jours dans la prison d’Oran, qui date de l’Occupation française. Conçue pour 800 prisonniers, elle en accueille 3800. Les conditions carcérales y sont inhumaines. J’y eu la grippe tout au long de cette période, ce qui m’a permis de rester dans la salle des malades chroniques. Surnommée « la colonie », elle compte 85 lits. Alors que nous étions 107. Mis à part les deux derniers soirs, j’ai dormi sur une couverture à même le sol, fenêtres ouvertes, sans chauffage.
Mais les détenus sont bien plus à l’étroit dans les salles dites de transit, où j’ai passé une nuit. Là-bas, c’est l’enfer, les prisonniers s’allongent tête-bêche, serrés comme des sardines, dans des conditions d’hygiène déplorables. Globalement, la prison manque de personnel médical et de médicaments. Il fallait attendre les visites de nos familles, un quart d’heure toutes les deux semaines, pour en recevoir.
En tant que syndicaliste et militant, vous aviez déjà subi les intimidations du pouvoir. Quel impact cette détention a-t-elle eu sur votre détermination ?
Ceux qui ont été emprisonnés ressortent encore plus déterminés. J’ai connu les intimidations dès 1987, date de ma première convocation au siège de la sûreté nationale avec mon épouse. On nous avait alors reproché, à tort, des slogans en faveur de la culture amazighe sur les murs de Toulouse où nous étions étudiants ! Cela ne m’a pas empêché de co-fonder le Conseil national des enseignants du supérieur en 1989. Plus tard, lors de la première grande grève universitaire de 1996, la sécurité militaire m’a clairement signifié qu’on aurait pu m’enlever la nuit et faire de moi ce qu’on voulait. Lorsque j’en suis sorti, j’ai rédigé un communiqué pour ne pas intérioriser la peur. Et ça a continué lors des visites de Bouteflika à Oran. J’ai ensuite été poursuivi pour attroupement non armé à Ghardaia, après m’être attablé avec des membres de la Ligue venus défendre un avocat, puis acquitté.
Sans droits de l’homme, il ne peut y avoir de respect des droits syndicaux
Vos activités syndicales ont-elles toujours été entravées ?
Sans droits de l’homme, il ne peut y avoir de respect des droits syndicaux. C’est pour cela que j’ai intégré la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme. Je suis resté durant quatorze ans au Bureau national du syndicat pour coordonner la région Ouest, jusqu’en 2004. Puis le pouvoir a infiltré la direction. Nous avons tout de même organisé une grève en 2006, mais la justice a ordonné la dissolution de la section de mon université.
En 2011, nous avons lancé la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) et subi des fermetures administratives. Paradoxalement, j’ai déposé en 2012 une demande d’enregistrement d’un nouveau Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS), elle a finalement été accordée ce 20 février ! C’est une petite victoire mais je n’ai pas confiance, ce genre de processus s’accompagne souvent de mesures de rétorsion.
La mort du général Gaïd Salah et l’élection de Abdelmadjid Tebboune à la présidence en décembre 2019 ont-elles fait avancer les choses ?

Une pancarte exigeant le départ du chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah, en mai 2019 à Alger (image d'illustration). © Anis Belghoul/AP/SIPA
Le système est dans une perspective de survie. Encore une fois, c’est la répression qui a été choisie comme mode de régulation des conflits en Algérie. Bon nombre de citoyen(e)s sont en train de croupir en prison, dont des bloggers.
Les vrais dirigeants ont toujours été les militaires, même Bouteflika n’était qu’une façade civile
Les vrais dirigeants ont toujours été les militaires, même Bouteflika n’était qu’une façade civile. Ils veulent faire croire au changement en préparant une nouvelle Constitution, à leur mesure comme toujours. Or, il faut que les services répressifs rejoignent leur mission constitutionnelle, qui n’est pas d’être des pouvoirs mais des institutions.