Politique

Génocide des Tutsi au Rwanda : « Nous sommes excédés par les lenteurs de la justice française »

Le procès de Claude Muhayimana, accusé de « complicité par aide et assistance » de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, s’ouvrira aux assises de Paris en septembre prochain. Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, à l’origine de la plainte, revient sur les enjeux de ce troisième procès en France en lien avec le génocide des Tutsi.

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Mis à jour le 3 mars 2020 à 11:55

Alain et Dafroza Gauthier, à leur arrivée au tribunal de Paris, le 10 mai 2016. © Francois Mori/AP/SIPA

Claude Muhayimana comparaîtra devant la cour d’assises de Paris du 29 septembre au 23 octobre prochain. C’est la troisième fois qu’un procès en lien avec le génocide des Tutsi se déroulera en France.

Il y avait d’abord eu celui de Pascal Simbikangwa, condamné en appel à 25 ans de prison pour génocide et complicité de crime contre l’humanité en décembre 2016. Ce premier procès historique avait été suivi de celui Tito Barahira et Octavien Ngenzi, deux anciens bourgmestres, qui avaient eux été condamnés en appel à la réclusion à perpétuité en juillet 2018 pour génocide et crime contre l’humanité.

Le renvoi devant la justice française de Claude Muhayimana, un ancien chauffeur de la région de Kibuye, dans l’ouest du Rwanda, qui vivait à Rouen depuis son arrivée en France fait suite à une plainte déposée en 2013 par le Collectif des parties civiles pour la Rwanda (CPCR). Fondée en 2001 par Alain et Dafroza Gauthier, surnommés les « Klarsfeld du Rwanda », cette organisation traque depuis 2001 les personnes réfugiées en France qui sont soupçonnées d’avoir joué un rôle lors du génocide.

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Claude Muhayimana sera notamment défendu par Me Philippe Meilhac. L’avocat s’est dit convaincu que le procès permettrait de faire reconnaître l’innocence de son client, qu’il a décrit à l’AFP comme « un simple citoyen qui s’est trouvé au cœur du chaos ».

Alain Gauthier, cofondateur du CPCR, revient pour Jeune Afrique sur cette affaire et sur les nombreux autres dossiers en cours d’instruction en France.

Jeune Afrique : Claude Muhayimana est accusé de « complicité par aide et assistance » pour des « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Que lui reproche la justice française ?

Alain Gauthier : Claude Muhayimana a été le chauffeur de la Guest-House de Kibuye, dans l’ouest du Rwanda. Il est accusé d’avoir assuré le transport de miliciens sur les lieux de certains massacres, sur les collines de Karongi, Bisesero et Gitwa. Il est aussi accusé de complicité dans l’attaque de l’école de Nyamishaba, en avril 1994.

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À chaque fois, ce sont pour des faits de complicité qu’il est poursuivi. Mais nous avons l’intention de contester cet acte d’accusation, ce que nous n’avons pas eu l’opportunité de faire jusque-là. Par exemple, il n’est pas poursuivi pour le massacre de l’église de Kibuye ni pour celui commis au stade de Gatwaro, les juges d’instruction ayant accepté son alibi pour ces deux épisodes. À l’occasion du procès de Pascla Simbikangwa, les faits avaient été requalifiés ; nous verrons ce qu’il en est dans cette procédure.

Sur quels éléments d’enquête vous êtes-vous appuyé pour motiver la plainte que vous avez déposée contre lui en 2013 ? 

Lorsqu’on apprend la présence sur le territoire français de personnalités soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi, nous nous rendons au Rwanda, sur les lieux des crimes, pour collecter les témoignages de rescapés mais aussi de tueurs qui ont déjà été condamnés.

C’est sur cette base que nous avons déposé plainte contre Claude Muhayimana. Et, comme c’est souvent le cas, plusieurs rescapés se sont aussi constitués parties civiles.

Nous avions eu connaissance du mandat d’arrêt émis contre lui par les autorités rwandaises dès décembre 2011. En 2012, la cour d’appel de Rouen avait donné un avis favorable à l’extradition que réclamait le Rwanda, mais la Cour de cassation avait annulé cette décision. C’est ce qui nous a poussés, le 4 juin 2013, à déposer la plainte qui a mené à son arrestation.

Ce procès sera le troisième procès en lien avec le génocide des Tutsi à se dérouler en France. Êtes-vous satisfait ? 

Il y a évidemment une forme de satisfaction. Nous avons porté plainte et nous nous sommes constitués parties civiles pour que Claude Muhayimana rende des comptes devant la justice. Cela étant, nous sommes quelque peu excédés par la lenteur de la justice et par le manque de moyens attribués au pôle « crimes contre l’humanité » du TGI de Paris, dédié à l’instruction de ces cas-là.

J’ai personnellement écrit à ce sujet à la ministre française de la Justice, Nicole Belloubet, mais je n’ai jamais eu de retour. Le problème, c’est que ce même pôle spécialisé juge aussi les affaires de terrorisme, parmi beaucoup d’autres dossiers. Mais pendant ce temps-là, les suspects vieillissent, certains décèdent. Cela a notamment été le cas de Claver Kamana, qui est mort en août 2017, et qui était visé par une plainte depuis 2008. D’autres ont plus de 80 ans aujourd’hui, et sont toujours en attente de jugement. C’est le cas d’un des plus hauts gradés de l’ex-armée rwandaise, Laurent Serubuga, [qui fait partie des officiers ayant aidé Juvénal Habyarimana à prendre le pouvoir par coup d’État en 1973, ndlr]. C’est insupportable pour les victimes.

Y-a-t-il eu des avancées depuis le renforcement, promis par Emmanuel Macron en avril dernier, des moyens du pôle « crimes contre l’humanité » ?

Douze nouvelles procédures ont été ouvertes en décembre, mais celles-ci concernent des personnes qui étaient déjà visées par un mandat d’arrêt international émis par les autorités rwandaises, lesquelles ne faisaient toujours pas l’objet de plaintes.

Au sein du CPCR, nous n’avons pas les moyens de nous porter partie civile dans toutes les affaires. Nous connaissons les noms de tous ceux qui sont poursuivis et nous nous apprêtons à nous constituer dans deux ou trois cas supplémentaires. Ces nouvelles procédures arrivent tout de même plus de 25 ans après les faits, et ces gens-là sont encore loin d’être jugés.

Quels autres cas pourraient prochainement aboutir à un renvoi devant les assises ?

Il y a deux cas principalement aujourd’hui en France : celui de Laurent Bucyibaruta, l’ancien préfet de Gikongoro, et celui de Sosthène Munyemana, qui travaille aujourd’hui comme médecin urgentiste. Cela fait plus d’un an qu’ils ont fait appel de leur renvoi devant la cour d’assises.

Mais même si leur appel venait à être rejeté, ils pourraient toujours se pourvoir en cassation. Ces affaires ne sont donc pas près d’être jugées. Et puis il y a plusieurs autres cas pour lesquels l’instruction est clôturée, comme pour les dossiers concernant Laurent Serubuga et Vénuste Niyombare.