Pour le gouvernement camerounais, il n’est qu’un « quidam ». Pour les médias un « activiste ». Et pour les farouches opposants au régime de Yaoundé, depuis qu’il a interpellé le président français sur la situation au Cameroun, il fait figure de héros.
La vidéo de l’échange entre Abdoulaye Thiam – dit « Calibri Calibro » – et Emmanuel Macron, samedi 8 février, est devenue virale, et déclenché l’ire des autorités camerounaises. On y entend notamment le président français affirmer son intention d’« appeler la semaine prochaine le président Paul Biya » et de « mettre le maximum de pression pour que la situation cesse ».
La riposte de Yaoundé a été immédiate, et massive. Le ministre de la Communication a mené la première charge, bientôt suivi par le secrétariat général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). La présidence de la République s’est, enfin, fendue d’un communiqué au ton ferme. « Le président [Paul Biya] est comptable de son action devant le seul peuple camerounais souverain et non devant un dirigeant étranger, fut-ce un ami. Il n’a pas besoin de pression extérieure », peut-on notamment y lire.
Repéré par Brice Nitcheu et Patrice Nouma

Des membres de la Brigade Anti-Sardinards à Bruxelles, en septembre 2019. © Brigade Anti-Sardinards France (Facebook)
Si elles ont toutes insisté sur la souveraineté nationale, toutes ces réactions avaient également pour point commun de cibler le comportement Calibri Calibro, accusé de vouloir mettre à mal les relations entre Paris et Yaoundé.
De son vrai nom Abdoulaye Thiam – son père est franco-sénégalais et sa mère camerounaise -, Calibri Calibro était pourtant un inconnu au Cameroun il y a encore deux ans. Sa première apparition publique en tant qu’activiste remonte à juillet 2018, après la révélation par la presse d’exactions commises par des soldats camerounais engagés dans la lutte contre Boko Haram à Zelevet, dans la région de l’Extrême-Nord.
Calibri Calibro improvise alors une manifestation devant l’ambassade du Cameroun en France. Le mouvement est très peu suivi, mais l’activiste se fait remarquer des leaders de la contestation du régime camerounais présents dans la diaspora.
Deux figures déjà bien installées dans cette sphère le contactent alors : Brice Nitcheu, fondateur du C.O.D.E (Collectif des organisations démocratiques et patriotiques des Camerounais de la diaspora), une organisation qui traque les mouvements du président Paul Biya en Europe, et Patrice Nouma, un soldat ayant déserté l’armée camerounaise devenu contestataire.
Pour Calibri Calibro, le responsable de « l’horreur » qu’il a connu en Libye, c’est Paul Biya
Abdoulaye Thiam est arrivé en France en 2002, et c’est « l’horreur » qu’il a vécu lors de la traversée du Sahara et de la Méditerranée qui, à l’en croire, a fondé son engagement. « C’est la Libye qui a forgé le Calibri qu’on connait aujourd’hui », raconte-t-il. « J’y ai vu des centaines de Camerounais être tués. Il y a des milliers de Camerounais qui ont pris cette voie et la majorité y a perdu la vie. Moi-même j’ai subi les pires atrocités en Libye ».
Pour Calibri Calibro, le responsable, c’est Paul Biya, dont il fait sa cible principale. Une détermination qui se renforce encore au lendemain de la présidentielle de 2018, à l’issue de laquelle Paul Biya est proclamé vainqueur avec 71% des voix, au grand dam des activistes de la diaspora qui avaient activement soutenu Maurice Kamto.
Calibri Calibro fait alors évoluer sa stratégie. Plutôt que de ne cibler que Paul Biya, il s’attaque désormais également à ses soutiens. En France il milite pour le boycott des artistes camerounais qui ont soutenu la réélection du sphinx de Yaoundé, en particulier celles et ceux qui ont partagé la scène du grand concert de soutien qui avait été organisé au Palais des Sports de Yaoundé, à la veille du scrutin.
Cet appel au boycott marquera, également, l’acte de naissance de la « Brigade anti-sardinards », la « B.A.S. ». Ce collectif rassemblant plusieurs composantes de la sphère activiste camerounaise de la diaspora tire son nom des boîtes de sardines en conserves distribuées, avec un morceau de pain, lors des meetings du RPDC.
De Paris à Genève

Des manifestants de la diaspora camerounaises se font disperser avec des canons à eau alors qu'ils protestent devant l'hôtel où réside Paul Biya, à Genève, le 29 juin 2019. © MARTIAL TREZZINI/AP/SIPA
Les actions se font aussi plus spectaculaires. Le 26 janvier 2019, on aperçoit Calibri Calibro dans une vidéo montrant des manifestants qui envahissent et saccagent l’ambassade du Cameroun à Paris.
C’est encore lui qui se trouve en première ligne lors des manifestations du 25 juin à Genève, qui avaient pour objectif clairement affiché de perturber le séjour du président camerounais et de son épouse dans la capitale helvétique.
Sur Facebook, la page officielle de la Brigade anti-sardinards – suivie par plus de 40 000 abonnés – est extrêmement active. Calibri Calibro y diffuse régulièrement des vidéos en direct au ton très dur, qualifiant notamment régulièrement le président camerounais de « dictateur génocidaire ».
Accusé de « se tourner vers le maître blanc »
À mesure que son influence sur les réseaux prend de l’ampleur, ses détracteurs se font également plus nombreux, et plus virulents. Et ces derniers ne se comptent pas uniquement dans le camp du président. L’opposant Célestin Djamen (MRC) lui reproche ainsi de « se tourner vers le maître blanc pour exiger la solution aux problèmes des Camerounais ».
Certains remettent également en doute sa nationalité camerounaise, affirmant qu’il est en fait Sénégalais, par filiation. Un argument que Calibri Calibo rejette. « Je suis un Camerounais et mon nom n’a rien à voir avec ma nationalité. Oui, j’ai des origines sénégalaises, mais je reste Camerounais comme Chantal Vigouroux (nom de jeune fille de l’épouse du président du Cameroun, Ndlr) qui est camerounaise bien qu’elle ait des origines françaises », martèle-t-il.
Autre critique récurrente : son activisme hors des frontières. Cavaye Yeguie Djibril, le président de l’Assemblée nationale, estime ainsi qu’un « bon anti-sardinards est celui qui a le courage de rentrer au pays, de venir dans un débat contradictoire confronter ses idées à celles de ses compatriotes ».