De plus en plus équipés de capteurs et autres instruments de mesure, les engins agricoles collectent des données qui peuvent servir à optimiser leur utilisation. En Afrique, l’américain EZ Farm se sert par exemple de capteurs pour surveiller les sols comme les équipements eux-même, et alimenter l’agriculteur en données utiles pour optimiser sa production et ses choix.
La crainte, de fait, de voir l’agriculteur perdre tous droits sur ses données préoccupe fortement les professionnels du secteur.
Monsanto, via sa filiale The Climate Corporation, a lancé en 2018 Climate FieldView, un outil de collecte et d’exploitation des données agricoles, qui suscite déjà des inquiétudes quant au traitement que le géant de la chimie pourrait leur réserver. L’outil collecte une masse d’informations, précieuses à l’ère du big data et des algorithmes, qu’elle entend bien monétiser (conseils personnalisés de semences, traitements et autres produits Monsanto).
Monsanto et les Gafam dans le viseur
Ces problématiques sont loin de rester étrangères à l’Afrique. Monsanto a signé des accords de partage de données avec le géant américain des machines agricoles Agco, qui a fait du continent un axe de développement majeur, ainsi qu’avec son concurrent italien CNH ou encore avec l’américain John Deere, commercialisé sur le continent africain par Tata.

Une moissonneuse-batteuse de marque John Deere, près de Magaliesburg, en Afrique du Sud © StormSignal (CC)
De son côté, Google a aussi investi dans ce domaine, avec un apport au capital du réseau social spécialisé Farmers Business Network.
Véronique Bellon-Maurel, directrice du département écotechnologies de l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture) et directrice de l’Institut convergences #DigitAg, redoute l’émergence d’un oligopole, dominé par les géants de la tech Google, Amazon, Facebook, Amazon et Microsoft (les Gafam), qui exploiterait à son seul profit la chaîne de valeur agricole.
Face à cette menace potentielle, Digital Africa, groupement de start-up françaises travaillant avec l’Afrique, a signé lors du dernier Salon international de l’agriculture qui a fermé ses portes le 29 février, un protocole d’accord (MoU) avec le Global Open Data for Agriculture and Nutrition (Godan), initiative réunissant un millier de partenaires, autour du partage des données.
Lancée en 2013, et fruit du G8 de Washington un an plus tôt, l’initiative Godan est financée par des gouvernements (américain, britannique, néerlandais) ainsi que par diverses institutions multilatérales comme la FAO ou des fondations comme l’Open Data Institute, pour favoriser la coopération en matière de partage des données dans l’agriculture.
La data, un intrant pour start-up
Digital Africa et le Godan doivent désormais « travailler de façon étroite pour renforcer le partage des données, leur mise à disposition et leur exploitabilité en Afrique, afin d’améliorer la sécurité alimentaire sur le continent », indique le Godan dans un communiqué.
L’Open data agricole ne part totalement de zéro. D’ores et déjà, les données météorologiques collectées depuis l’espace par les satellites européens sont librement partagées par l’Agence spatiale européenne. Avec le lancement de satellites Sentinel-2 depuis 2014, les données sur le sol deviennent très nombreuses. Gratuites, elles permettent l’essor de tout un écosystème de SSII (ou Société de services et d’ingénierie en informatique) et de start-up, les premières travaillant à les rendre lisibles et exploitables aux secondes.

Exploitations agricoles le long de la rivière Crocodile, dans la province de Mpumalanga en Afrique du Sud. La culture de la sucre de cane et d'arbres fruitiers exerce une pression sur les réserves en eau en aval. © Copernicus Sentinel data (2018), processed by ESA, CC BY-SA 3.0 IGO
Parmi les start-up, on retrouve la société ghanéenne Esoko, ou encore la société E-Tumba, cofondée par le Gabonais Dieu-Donné Okalas Osami, et dont le siège, en France, déploie la plateforme FieldSim, qui délivre des renseignements fonciers, climatiques et agronomiques auprès de clients (du ministère à l’agriculteur en passant par la coopérative, que ce soit par accès web ou par alerte SMS) au Kenya, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en RDC et au Mali, à partir notamment des données collectées auprès des satellites.
La blockchain à la rescousse de l’agriculture ?
Ces derniers permettent en effet de connaître de façon précise le contour des parcelles, de prendre la mesure du stress hydrique, ou encore d’affiner les prévisions météorologiques. « Les données satellitaires représentent environ 70 % de notre matière première », précise Dieu-Donné Okalas Osami, qui fait aussi appel à des ingénieurs, généralement de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Cirad (français) pour compléter ces données cartographiques par des informations sur le taux d’azote ou de potassium, par exemple.
Il y une forte demande de la part des compagnies d’assurance

Système d'irrigation. Avec des capteurs, certaines firmes collectent des données sur le volume d'eau épandu, et peuvent croiser les résultats avec les heures et fréquences d'arrosage ainsi que les résultats vus du ciel sur le champ. © Rejané Claasen (CC)
Ce modèle économique suscite des convoitises au-delà du secteur agricole : Dieu-Donné Okala Osami est en discussion avec des assureurs au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en RDC et au Gabon : « Il y une forte demande de la part des compagnies d’assurance, qui veulent pouvoir établir la part de ce qui relève du dégât climatique ou de la responsabilité de l’agriculteur », ce qui laisse présager d’une prise en compte accrue de la data dans l’écosystème agricole en Afrique.
Au sein de Digital Africa, les start-up Ekylibre (spécialiste des progiciels de gestion intégrée, ou ERP) et Connection Food ne diront pas le contraire : elles ont commencé à travailler de concert pour exploiter les données de la chaîne de valeur agricole.
L’objectif est de proposer une solution inspirée de la blockchain pour permettre au consommateur final, à l’aide d’un simple QR code, de remonter toute la chaîne de production, à l’image de ce que l’enseigne de distribution française Carrefour expérimente déjà sur certains produits.
La mise en place d’un dispositif comme celui-ci doit permettre d’offrir plus de transparence dans les chaînes logistiques. La data agricole, fournie par les agriculteurs eux-même, pourrait alors devenir créatrice de valeur.