Politique

Tournée africaine de Mike Pompeo : « La priorité des États-Unis est de contrer la Chine et la Russie »

Sénégal, Angola puis Éthiopie. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo vient de boucler une courte tournée africaine. Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, c’est la première fois qu’un officiel de ce niveau se rend sur le continent pour une visite officielle. Décryptage de Folashadé Soulé, chercheure associée à l’université d’Oxford.

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Mis à jour le 20 février 2020 à 16:15

Mike Pompeo et Macky Sall à Dakar, le 15 février. © Andrew Caballero-Reynolds/AP/SIPA

Beaucoup pensaient que, pour sa première visite sur le continent, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo atterrirait à Lagos ou Accra, partenaires traditionnels de Washington. Le secrétaire d’État américain a finalement déjoué les pronostics et opté pour le Sénégal, l’Angola et l’Éthiopie, au cours d’une mini-tournée marathon du 15 au 19 février. Depuis l’accession de Donald Trump à la Maison Blanche, c’est le dirigeant américain le plus important à mettre officiellement le pied en Afrique.

Arrivé à Dakar samedi dernier, l’ancien patron de la CIA a été chaleureusement accueilli par le président Macky Sall et son homologue Amadou Ba, ministre sénégalais des Affaires étrangères. Sujet du jour : l’annonce d’un probable retrait des forces armées américaines du Sahel. Sur ce point, Mike Pompeo s’est voulu rassurant, insistant sur le fait qu’aucune décision n’avait, pour le moment, été prise. « Je suis convaincu que quand nous aurons terminé cet examen, nous en discuterons, non seulement avec le Sénégal, mais tous les pays de la région. Nous discuterons des raisons de ce que nous faisons, de la manière dont nous le faisons, et nous parviendrons à un résultat qui marche pour tout le monde », a déclaré le secrétaire d’État américain.

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Mais, comme ce fut le cas ensuite en Angola et en Éthiopie, Mike Pompeo a très vite évacué les questions politiques et sécuritaires pour se concentrer sur les questions économiques. Au Sénégal, il a parachevé la signature de cinq protocoles d’accords économiques, dont celui portant sur la construction de l’autoroute Dakar-Saint Louis, confié à la société Bechtel, premier groupe de travaux publics américain.

En Angola, après avoir vanté les efforts du président João Lourenço en matière de lutte contre la corruption, le secrétaire d’État américain a – sans jamais la nommer explicitement – vivement critiqué la politique diplomatique et économique chinoise sur le continent. « Quand nous venons, nous embauchons des Angolais. Nous faisons un travail de bonne qualité. Toutes les nations qui viennent investir en Angola ne font pas cela », a-t-il notamment lâché lors d’une conférence de presse. Un message désignant clairement Pékin, mais aussi Moscou.

Folashadé Soulé, chercheure associée à l’université d’Oxford (School of Government), spécialiste des rapports entre l’Afrique et la Chine, revient pour Jeune Afrique sur les enjeux de la visite du responsable diplomatique américain.

Jeune Afrique : Pourquoi  Mike Pompeo a-t-il choisi le Sénégal, l’Angola et l’Éthiopie pour sa première visite officielle sur le continent, selon vous ?

Folashadé Soulé :  Ces trois pays constituent des choix stratégiques à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il faut rappeler que la Chine est massivement présente dans ces trois pays.

Pour l’Éthiopie, c’est évident. Le pays affiche des taux de croissance parmi les plus élevés en Afrique (7,4%) et est engagé dans une transformation économique et structurelle qui attire les investisseurs, notamment américains. C’est aussi l’un des pays où la Chine est le plus présente, dans de nombreux secteurs. Le repositionnement des États-Unis en Éthiopie est éminemment stratégique dans le contexte global de compétition des grandes puissances en Afrique.

Quant à l’Angola, ses ressources naturelles – pétrolières, gazières ou minières – intéressent beaucoup les Américains.

Le choix du Sénégal, lui, peut s’expliquer par l’attrait, son attractivité pour les investisseurs étrangers, avec notamment la manne que peuvent représenter les chantiers menés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE). Par ailleurs, le Sénégal fait figure de modèle de démocratie et de stabilité dans la région. Et sur le plan sécuritaire, Washington souhaite faire du Sénégal un partenaire stratégique dans la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel.

Donald Trump n’a jamais fait de l’Afrique sa priorité. Il a même parfois utilisé des propos injurieux vis-à-vis du continent, de ses dirigeants ou de ses habitants. Pourquoi afficher cette volonté de rapprochement, maintenant, à huit mois de l’élections présidentielle aux États-Unis ?

L’administration Trump a lancé sa politique africaine il y a un an et demi, sous le nom de « Prosper Africa ». John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, avait alors déjà affirmé que la priorité des États-Unis en Afrique est de contrer la Chine et la Russie, qui ont une politique agressive de promotion de leurs investissements sur le continent.

Mais la matérialisation de cette politique s’est montrée assez lente. La dernière visite de haut niveau d’un membre du gouvernement Trump en Afrique date de Juillet 2018, il s’agissait de Wilbur Ross, le secrétaire d’État au commerce, qui s’est rendu au Ghana. Or, pendant ce temps, la Russie comme la Chine ont organisé des sommets spécifiquement dédiés à l’Afrique. Celui organisé par Moscou a attiré 43 chefs d’États africains. Washington est donc clairement sous pression de Moscou et Pékin, ce qui explique cette soudaine accélération.

Enfin, cette visite de Pompeo peut aussi être analysée sous le prisme politique américain, dans le cadre de la campagne pour la réélection de Trump, qui est régulièrement critiqué pour son inaction, voire ses choix controversé, en matière de politique étrangère.

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À aucun moment de sa tournée, Mike Pompeo n’a pourtant mentionné Pékin ou Moscou… 

Certes, il n’a pas explicitement mentionné la Chine et la Russie lors de ses interventions publiques, mais les allusions était évidentes. Il a notamment fait référence à la nécessité de « faire attention aux régimes autoritaires » et parlé de « leurs promesses vides qui créent la dépendance, la corruption, et l’instabilité » sur le continent. Il a également mis en garde contre le « piège de la dette ». Cette dernière critique est adressée de manière récurrente à la Chine.

Sur ce point, rien ne change, puisque le chef de la diplomatie américaine reste aligné sur les prises de positionnement de ses prédécesseurs, dont Johnnie Carson, ou encore Hillary Clinton qui, en 2010 et 2011, affirmaient que la Chine est un compétiteur économique « très agressif » et » sans moralité », évoquant même une forme de « néocolonialisme ».

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Mais certaines critiques de Mike Pompeo, notamment quand il affirme que les entreprises chinoises n’emploient pas de personnel local, en Angola, sont erronées. Plusieurs recherches récentes montrent que les entreprises chinoises offrent autant, voire plus, d’emplois sur le continent. Une étude menée par la School of Oriental and African Studies (SOAS) sur plusieurs pays, dont l’Éthiopie et l’Angola, montre que dans les projets d’infrastructure et de manufacture conduits par des entreprises chinoises, 71% des travailleurs sont africains.

C’est une évolution par rapport début des années 2000, lorsque la majorité des employés de ces entreprises étaient des Chinois expatriés. Les acteurs économiques chinois ont donc su prendre en compte ces critiques, et les gouvernements africains réussissent à mieux négocier ce volet dans les contrats avec la Chine.

Comment les dirigeants africains perçoivent-ils ces critiques américaines vis-à-vis de leurs relations avec la Chine ?

De manière générale, les critiques des États-Unis vis-à-vis de la Chine en Afrique sont perçues comme paternalistes et déplacées, car elles induisent que les gouvernants africains ne sont pas en mesure de choisir leurs partenaires économiques pour contribuer au développement de leur pays.

Au contraire, ils priorisent la diversification des partenaires économiques afin de réduire leur dépendance à un seul pays et pour augmenter les sources de provenance et le montant des investissements étrangers.

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Cela n’a aujourd’hui aucune incidence sur les relations Chine-Afrique, qui ont tendance à s’intensifier. Et, la Chine commence à se diversifier, passant des relations dans le domaine économique aux questions de sécurité, de défense, de culture etc… Les pays africains continuent de sceller des accords avec Huawei, par exemple, alors que l’entreprises est cœur des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.

Au Sénégal, Pompeo s’est voulu rassurant sur la question du retrait éventuel des troupes américaines du Sahel. Mais dans le même temps, la Chine a annoncé un soutien de 63,9 millions d’euros à la force conjointe du G5 Sahel. Quelle est la part de l’aspect militaire et sécuritaire dans la bataille diplomatique entre la Chine et les États-Unis sur le continent ?

La Chine investit depuis quelques années dans le domaine de la sécurité en Afrique. Cela se fait tant au niveau du renforcement des troupes et effectifs militaires présents dans la région, que de la participation au financement des opérations de maintien de la paix des Nations unies en Afrique (Soudan, Liberia). Cette présence passe également par l’augmentation de la présence de compagnies de sécurité privées chinoises en Afrique.

Dans le domaine de la sécurité, cet investissement se fait à la fois au niveau bilatéral, régional et multilatéral. D’une part, cela participe à la stratégie chinoise d’offrir aux gouvernements africains une alternative aux États-Unis dans leur politique interne de lutte contre l’insécurité. De l’autre, cela lui permet de se positionner comme une puissance globale qui ne serait pas uniquement intéressée par des intérêts économiques.

Elle représente ainsi une concurrence pour les États-Unis, voire une menace pour les intérêts stratégiques américains dans la région. Cette rivalité se manifeste notamment de la Corne de l’Afrique, où, la Chine dispose désormais d’une base navale et a financé un projet de voie ferrée entre Addis-Abeba et Djibouti, considéré comme stratégique pour l’intégration économique de la région.