[Tribune] L’aventure ambiguë de Macky Sall face à l’Occident

Confronté à la mainmise occidentale sur l’économie sénégalaise, le président Macky Sall fait le grand écart entre une opinion demandeuse de gages de souveraineté et des « partenaires » qui n’hésitent pas à donner leur avis sur la conduite des affaires du pays.

Le président Macky Sall accueille le Premier ministre canadien Justin Trudeau, à Dakar, le 13 février 2010. © DR / Présidence Sénégal / Photo : Papa Matar Diop

Le président Macky Sall accueille le Premier ministre canadien Justin Trudeau, à Dakar, le 13 février 2010. © DR / Présidence Sénégal / Photo : Papa Matar Diop

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Publié le 14 février 2020 Lecture : 3 minutes.

Dans son roman L’Aventure ambiguë, étudié par des générations d’étudiants africains, l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane fait dire à son héroïne emblématique, la Grande Royale, que les Africains doivent aller apprendre en Occident « l’art de vaincre sans convaincre ». Cette semaine, Macky Sall aura fait tout l’inverse : il aura manié l’art de convaincre sans vaincre.

Convaincre son opinion publique. Ou à tout le moins aller dans le sens des convictions profondes de celle-ci. Sans pour autant vaincre le lourd tribut concédé à la mainmise occidentale sur l’économie sénégalaise.

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Tout d’abord, Macky Sall, par l’entremise de son ministre des Infrastructures, a fait tenir une lettre de protestation à l’ambassadeur de France. La réalité de cette lettre n’a pas été confirmée officiellement. Toutefois, le quotidien le plus lu du pays, L’Observateur, indique que celle-ci existe. Une source officielle le confirme également.

Bras de fer autour du TER

Le crime de « lèse-Mackyesté » de l’Excellence française ? Il a contredit les autorités sénégalaises, en disant lors d’une émission radiophonique dominicale que le TER, Train Express Régional, ne pourra pas procéder à du transport commercial de passagers dès avril 2019. Or, début novembre, le ministre Abdou Karim Fofana, en charge entres autre de l’Urbanisme, avait indiqué que le TER roulera « dans trois ou quatre mois ».

L’ambassadeur de France à Dakar, Philippe Lalliot, n’a pas mis que ce coup de canif à la sérénité diplomatique habituelle avec le Sénégal. Il a aussi indiqué que son ambassade avait fait savoir à l’État sénégalais que le rétablissement des visas d’entrée au Sénégal n’était pas opportun du point de vue économique, car il avait nui au tourisme, en faisant baisser le nombre d’entrées de visiteurs, lorsqu’il avait été mis en place en 2012.

Si l’ambassadeur a pris le soin d’emmailloter tout cela d’un « Nous ne nous immisçons pas dans les affaires intérieures du Sénégal », ce n’en est pas moins l’inverse qui a été compris par les Sénégalais. La lettre de protestation s’imposait donc, envers cet ambassadeur de l’ex-puissance coloniale qui se comporte en VRP des entreprises françaises installées au Sénégal.

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L’incident survient en plein moment de tension entre l’État sénégalais et Senac SA, qui exploite l’autoroute à péage de Dakar (« l’autoroute à pillage », ironisent les activistes), dont le gouvernement sénégalais veut renégocier les tarifs à la baisse. Ce à quoi le directeur de Senac SA s’est publiquement opposé.

Gages de souveraineté

Au total, le Sénégal est dans une situation schizophrénique : le Sénégalais lambda fait ses courses chez Auchan, Carrefour et Casino, achète son carburant chez Total, téléphone grâce à Orange et rentre chez lui en payant le péage de l’autoroute à Senac SA. Toutes des entreprises françaises.

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Mais dans le même temps, l’opinion publique sénégalaise nourrit de la sympathie pour le combat de Guy-Marius Sagna, actuellement emprisonné, dont le slogan simpliste du mouvement citoyen est tout simplement « France dégage ! ».

Un oxymore face à Justin Trudeau

Macky Sall a fort à faire pour satisfaire une opinion demandeuse de gages de souveraineté. Il aura aussi eu l’occasion de s’y exercer lors de la visite, cette semaine, du Premier ministre canadien Justin Trudeau. Auquel il a opposé que s’il respectait sa défense des droits (des homosexuels), « une gay parade n’était pas possible au Sénégal » en raison « des valeurs » du pays.

Là aussi, Macky Sall a abondé dans le sens de l’opinion majoritaire au Sénégal, qui ne veut pas de ce que la loi qualifie pudiquement d’actes contre-nature. Le président Sall indique qu’« interdire l’homosexualité n’est pas homophobe », même s’il ne s’est pas expliqué plus en avant de cet oxymore.

Sur un autre registre, Macky Sall a déclaré que le Sénégal soutient la candidature du Canada au Conseil de sécurité de l’ONU. Un soutien quelque peu bizarre, quand on sait que quelques semaines plus tôt, le Sénégal accueillait une conférence qui a eu pour conclusion la demande véhémente de trois sièges permanents pour l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies.

Alors, il faudrait savoir ; car il n’y aura pas de sièges pour tout le monde. Un bon point pour Macky Sall ? Lors du 33ème Sommet de l’Union Africaine, il a proposé au FMI d’autoriser les États africains à laisser filer un point au-dessus du déficit public plafonné à 3%, pour servir à financer une force militaire africaine qui interviendrait notamment au Sahel. La gestion des relations avec l’Occident est un exercice d’équilibriste. Une aventure ambiguë, à laquelle Macky Sall se sera prêté avec un bonheur inégal, cette semaine.

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