Politique

« Quand un iPhone sort, quelle part revient à la RDC ? Aucune, si ce n’est la souffrance »

Sécurité, libre-échange, minerais de sang, relations avec l’Occident et le Rwanda… Alors que Félix Tshisekedi prendra la présidence de l’Union africaine, dans un an, Pépin Guillaume Manjolo, le ministre congolais de la Coopération internationale et de l’Intégration régionale, est en première ligne de la diplomatie de Kinshasa.

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Par - Envoyé spécial à Addis-Abeba
Mis à jour le 13 février 2020 à 17:46

Pépin Guillaume Manjolo, ministre d’État de l’Intégration africaine de RDC. © Facebook/Guillaume Manjolo

Pépin Guillaume Manjolo a laissé la place à Félix Tshisekedi, son président, dans les travées de l’Union africaine, à Addis-Abeba. En ce dernier jour du sommet des chefs d’État, il reçoit Jeune Afrique en son hôtel, entre une délégation de diplomates et un groupe d’hommes d’affaires, à l’abri des regards.

Ce sommet est crucial : dans un an, son pays prendra la présidence de l’UA. L’occasion de prouver au continent que le mastodonte congolais peut, enfin, faire figure de locomotive du développement et de l’essor africains. C’est la conviction de Pépin Guillaume Manjolo, ministre congolais de la Coopération internationale et de l’Intégration régionale, qui revient pour JA sur les principaux dossiers continentaux, de la sécurité à la ZLECA en passant par les grands enjeux diplomatiques.

Jeune Afrique : La RDC prendra la présidence de l’Union africaine dans un an. Avez-vous déjà les axes de votre programme ?

La RDC va se concentrer sur la lutte contre les groupes armés et sur l’intégration économique. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) sera lancée officiellement en juillet, mais c’est surtout pendant notre mandat qu’elle sera mise en place. Or, cela ne pourra se faire que si les problèmes sécuritaires sont réglés et si l’on vient à bout des milices et des groupes armés. Nous devons nous préparer dès à présent pour réussir la ZLECA et faire en sorte qu’elle fonctionne en adéquation avec les communautés régionales qui existent déjà.

La RDC n’a pourtant pas encore ratifié le traité de la ZLECA…

Nous avons signé le texte à Niamey en juillet 2019 mais, ensuite, il faut que notre pays réfléchisse à son application en fonction de nos règles internes. Or, notre parlement était en vacances à ce moment-là et cela a donc pris du temps.

Aujourd’hui, c’est entre les mains des parlementaires. Le processus est lancé, le chef de l’État s’est engagé à la ratification, donc il n’y a pas d’inquiétude là-dessus. Si la RDC se lève, c’est toute l’Afrique qui se développe. Nous faisons partie de trois communautés économiques régionales différentes et notre pays est le passage obligé entre les Afrique du Nord et du Sud. Nous avons tous les atouts pour organiser la ZLECA.

Que ce soit en Libye ou en Côte d’Ivoire, on voit les conséquences de solutions extérieures que l’on impose aux Africains

En évoquant le G5 Sahel, Moussa Faki Mahamat a dénoncé un manque de solidarité entre les pays africains. Partagez-vous ce sentiment ?

Dès lors qu’il y aura une voix africaine et des solutions africaines pour les crises africaines, il y aura une solidarité entre nos États. Notre réponse doit venir de nos pays et de nos communautés régionales. Tant que l’on nous dictera une solution extérieure, notamment depuis l’ONU, la solidarité restera flottante. On ne peut pas être solidaire de décisions qui ne sont pas les nôtres. Que ce soit en Libye ou en Côte d’Ivoire, on voit encore aujourd’hui les conséquences de solutions extérieures que l’on impose aux Africains.

L’UA cherche à provoquer une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Où en est-on de ce dossier ?

Le problème, c’est que les juges ne se jugent pas. Les membres permanents du Conseil de sécurité ne veulent pas de cette réforme et on est encore dans une situation héritée de la Seconde guerre mondiale. Bien sûr, on en discute. C’est gentil. C’est poétique. Mais, en réalité, on va de bluff en bluff.

Le constat est clair : rien ne bouge parce qu’aucun des cinq permanents ne veut abandonner la moindre parcelle de pouvoir et de prestige. Comment un continent qui va atteindre deux milliards d’habitants peut ne pas être représenté de façon permanente ?

Lors d'une attaque attribuée aux rebelles ADF à Beni, le 25 novembre 2019. © Al-hadji Kudra Maliro/AP/SIPA

Lors d'une attaque attribuée aux rebelles ADF à Beni, le 25 novembre 2019. © Al-hadji Kudra Maliro/AP/SIPA

On parle d’islamisation de certains groupes, comme les ADF. C’est vrai, mais, au fond, tout tourne autour des minerais

L’idée d’une force régionale pour lutter contre les groupes armés dans les Grands lacs a été un temps évoquée, ici, à Addis-Abeba. Est-ce toujours envisageable ?

C’est une réponse parmi d’autres. Mais je pense qu’il faut aller voir ailleurs. Il suffirait d’abord d’appliquer des textes qui existent déjà, comme le « Dodd-Frank Act » américain [Entrée en vigueur en 2014, cette loi vise à réguler l’utilisation des minerais des conflits]. Si l’on interdisait effectivement, notamment en Europe et en Asie, la mise sur le marché de matériaux et de minerais non-certifiés par l’État congolais, la question des groupes armés serait réglée dès demain.

La solution militaire vous paraît donc insuffisante ?

Militairement, nous avançons sur le terrain, mais cela ne suffit pas. On parle d’islamisation de certains groupes, comme les ADF. C’est vrai, il y a des formations au Yémen et des recrutements dans des mosquées en Ouganda. Mais, au fond, tout tourne autour des minerais.

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Il faut couper les sources de financement et donc la mise sur le marché des ressources exploitées illégalement dans l’Est de la RD Congo. Tout le monde sait que les téléphones portables que nous avons en main sont imbibés de sang. Les grandes entreprises font des profits énormes avec le sang des Congolais et, pendant ce temps, l’Union européenne, par exemple, regarde ailleurs.

C’est un débat ancien. Que faut-il faire selon vous ?

Prenons les résolutions nécessaires. Mettons en place un processus de certification des minerais et passons-nous des intermédiaires. Arrêtons de favoriser en permanence des solutions militaires que l’on ne peut pas financer. Il faut stopper le commerce illicite de minerais.

Pourquoi les géants du numérique ne peuvent pas s’installer en RDC et s’assurer eux-mêmes que le marché respecte les droits de l’homme, ne finance pas les groupes armés et aide au développement du pays ? Quand un iPhone 8, 9, 10 ou 11 sort, ce sont des milliards de profits pour Apple, mais quelle part revient à la RDC ? Aucune, si ce n’est la souffrance et les morts.

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Autre exemple : la France veut pousser à l’utilisation des voitures électriques, dont les batteries utilisent des matériaux congolais. Va-t-elle imposer une traçabilité claire pour les minerais? Aujourd’hui, la France et la RDC n’ont même pas de cadre de coopération économique. La France est membre du Conseil de sécurité. Les Occidentaux sont capables d’imposer un embargo sur un pays pendant cinquante ans. Pourquoi n’agissent-ils pas quand il s’agit de la RDC ? Que se cache-t-il derrière cette absence de décisions ?

Une patrouille des FARDC à Aveba, en Ituri, en 2015. Photo d'illustration. © Photo MONUSCO/Abel Kavanagh

Une patrouille des FARDC à Aveba, en Ituri, en 2015. Photo d'illustration. © Photo MONUSCO/Abel Kavanagh

Nous sommes la huitième armée d’Afrique. Aucun pays voisin ne peut donc s’aventurer à nous défier

L’Union africaine a-t-elle les moyens de changer la donne sur ce sujet ?

Qui est le premier financier de l’UA ? L’Union européenne. Or, celui qui finance, c’est celui qui décide. Voyez-vous l’UE prendre des sanctions qui vont affecter sa mine d’or en RDC ?

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Comment vont vos relations avec le Rwanda, qui sont empoisonnées par une polémique sur un supposé projet rwandais de « balkanisation » de l’est congolais ?

Nous sommes la huitième armée d’Afrique et l’une des meilleures forces terrestres du continent. Nous sommes en mesure de déployer 50 000 à 100 000 hommes. Aucun pays voisin qui aurait un tel projet ne peut donc s’aventurer à nous défier.

Si nous étions attaqués de l’extérieur, les conséquences seraient terribles. Mais nous ne voulons pas de ça. Nous sommes pour la paix et le développement. La RDC est le poumon de l’Afrique.