Politique

Imbroglio diplomatique après le limogeage de Moncef Baati, ambassadeur tunisien à l’ONU

L’invocation d’une « faute diplomatique grave » de la part de Carthage pour justifier le limogeage de l’ambassadeur tunisien à l’ONU suscite la polémique au sein de la sphère diplomatique et de l’opinion publique.

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Mis à jour le 12 février 2020 à 14:23

Le Représentant permanent de la Tunisie à l’ONU, Moncef Baâti, le 29 janvier 2020. © Loey Felipe/UN Photo

Moncef Baati a-t-il été la victime collatérale d’une situation diplomatique complexe dont la Tunisie – présidente de tour de la Ligue arabe et membre non permanent au Conseil de sécurité pour deux ans – ne savait comment se dépêtrer ?

Chargé de représenter la Tunisie et les pays arabes à l’ONU, l’ambassadeur Baati – qui avait repris du service en septembre 2019 alors qu’il était à la retraite – était mobilisé par les discussions autour d’un projet de résolution d’inspiration palestinienne contre le « deal du siècle » prôné par le président américain Donald Trump.

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Il y travaillait conjointement avec son homologue indonésien en coordination avec différentes représentations diplomatiques. Leur objectif ? Faire ratifier le texte par les 15 membres du Conseil de sécurité. Une première mouture de ce projet, diffusée pour concertation, aurait provoqué la colère de Carthage : Baati aurait agi sans la consulter avant diffusion.

Explications contradictoires

Le chargé de l’information au ministère des Affaires étrangères, Bouraoui Limam, a ainsi évoqué « une absence de coordination avec le département ». Une version identique à celle soutenue par la chargée de communication de la présidence, Rachida Ennaifer, qui qualifie « le comportement de Moncef Baati de faute diplomatique grave ». Elle reconnaît néanmoins que « le contenu du document distribué par l’ambassadeur ne diffère pas de la position de la Tunisie envers la cause palestinienne ».

« L’initiateur du projet savait à l’avance qu’il ferait face à l’opposition de plus d’un pays. Son objectif étant de porter atteinte à la Tunisie, et à son président en particulier, qui s’est toujours rangé du côté de la cause palestinienne. En apparence, le projet de résolution semble être un appui total au peuple palestinien », peut-on lire dans un communiqué de la présidence, daté du 10 janvier. Une déclaration dont les contradictions révèlent l’embarras de Tunis et qui vise, sans le nommer, l’ambassadeur tunisien.

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Familier de ce type de procédures, le diplomate et ex-ministre des Affaires étrangères (2011) Ahmed Ounaies certifie que c’est le ministère des Affaires étrangères, lui-même, qui envoie généralement le projet de résolution, dont le président [qui est également le chef de la diplomatie, ndlr] connaît le contenu.

« Baati a agi conformément aux procédures, qu’il connaît bien. Il n’a pas commis d’erreur mais accompli son travail de diplomate. La proposition était une copie de travail soumise aux autorités tunisiennes, indonésiennes et palestiniennes », a déclaré pour sa part Touhami Abdouli, l’ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères (2015-2016), auprès de la radio privée Mosaïque FM.

Pendant la campagne électorale, Kaïs Saïed s’était fait le chantre et le fougueux défenseur de la cause palestinienne. Le contenu du texte condamnant fermement le projet de Donald Trump aurait-il alors irrité la Maison Blanche ? L’ambassadeur indonésien à New York, confie en tout cas que « des démarches ont été effectuées » auprès des autorités de son pays.

Stupeur et consternation

La décision du président consterne la sphère diplomatique au sein de laquelle Moncef Baati a longuement fait ses preuves. Mais l’opinion s’interroge surtout sur la vision de Kaïs Saïed en matière de diplomatie. Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a d’ailleurs déploré l’absence du président tunisien à la réunion sur la Libye de Berlin, au sommet de Davos et à celui de l’Union africaine.

« Il s’agit d’immaturité politique. Il n’aurait pas dû s’engager pour la Palestine pour faire marche à arrière au moment crucial. Mais bien plus, en limogeant Baati pour des raisons fallacieuses, le président enfreint son devoir de respect des institutions du pays », juge un syndicaliste. Entre temps, à New York, Tarak Ladab, ambassadeur représentant adjoint, prend le relais de Moncef Baâti.