Le « programme d’urgence des Cent jours » du président Félix Tshisekedi, lancé le 2 mars dernier, est au cœur de la polémique, à Kinshasa. En particulier, un pan central de son volet infrastructures : la construction de plusieurs « sauts-de-mouton » routiers (croisements par tunnel), destinés à désengorger la circulation dans la capitale congolaise. Mais les travaux tardent à avancer. Et la population s’impatiente. Surtout, le coût, qui avait initialement été fixé à 25 millions de dollars, a quasiment doublé, pour atteindre près de 46 millions de dollars.
Vendredi, plusieurs des caciques de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), ont même décidé de mener une « tournée d’inspection » sur le terrain. En tête, Jean-Marc Kabund-a-Kabund, président intérimaire du parti depuis l’élection de Félix Tshisekedi.

Jean-Marc Kabund-a-Kabund, lors d'une visite des chantiers des "sauts-de-mloutons", à Kinshasa, le 7 février 2020. © DR / Cellule communication de l’UDPS
« Nous avons entendu quelqu’un dire à la radio que les travaux du programme des cent jours sont déjà réalisés à hauteur de 70% », a-t-il lancé, faisant référence à des propos tenus quelques jours plus tôt par Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président congolais. « Mais ce projet-là [de construction des sauts-de-mouton] n’est même à 30% en termes de réalisation », a-t-il affirmé, après une visite très médiatisée lors de laquelle il s’est notamment rendu sur les sites de chantiers des « sauts-de-mouton », ainsi qu’à l’université et dans plusieurs quartiers de la capitale.
Tshisekedi lance un audit
Le même jour, Félix Tshisekedi a fait savoir au Conseil des ministres sa décision de lancer un audit sur l’utilisation des fonds débloqués pour ces chantiers kinois. Il a également annoncé son intention de mener, lui-même, une tournée d’inspection de ces chantiers polémiques.
Le lendemain, face à l’ampleur des critiques portées par l’exécutif de l’UDPS, le Premier ministre Sylvestre Ilunga a convoqué une réunion interministérielle à laquelle ont notamment participé les représentants du Budget.
« Nous demandons à la population kinoise de prendre son mal en patience. Si les sauts-de-mouton n’ont pas évolué, c’est parce que les finances étaient un peu difficile à gérer », a plaidé, à l’issue de la rencontre, le vice-Premier ministre Jean-Baudoin Mayo Mambeke.
Il a par ailleurs annoncé le décaissement immédiat par le gouvernement de 3,5 millions de dollars, et promis de porter cette somme à 13,5 millions d’ici le mois de mai, avant de prendre « l’engagement de fêter le 30 juin [60e anniversaire de l’indépendance du pays, NDLR] avec les sauts-de-mouton de Kinshasa en place ».
Un nouvel accroc au sein de Cach
Signe que l’exécutif prend le problème au sérieux, et premier effet concret de la décision de la présidence de se saisir directement du dossier, les travaux ont repris, dès lundi, sur plusieurs des sites de construction.
Car derrière cette polémique sur les sauts-de-mouton, c’est en fait un nouvel accroc au sein de la coalition Cap pour le changement (Cach) qui se dessine. L’alliance formée entre l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe est déjà secouée par des remous internes depuis plusieurs semaines. Les cadres du premier ont même demandé au président congolais de mettre un terme à l’accord qui lie les deux partis.
Dans sa globalité, le programme d’urgence des Cent jours a d’ores et déjà atteint 422 millions dollars de dépenses. Soit bien au-delà des 304 millions initialement prévus en août 2019. « Le programme des Cent jours est une façon de montrer la voie à suivre. Mais il n’avait pas la prétention de résoudre tous les problèmes d’infrastructures du pays », relativise Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant du président de la République et ancien coordinateur de ce projet.
Samedi, une instruction judiciaire a été ouverte par le parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Matete sur l’exécution des travaux du programme des Cent jours, dont les chantiers d’infrastructures, la réalisation d’écoles ou encore d’hôpitaux. Le procureur général a d’ores et déjà sollicité auprès de plusieurs membres du gouvernement et de la Banque centrale la transmission d’une série de documents sur les différents marchés contractés, notamment les copies des bons de décaissement en faveur des entreprises chargées des travaux.