« Le plastique a fait trop de mal à l’environnement. On ne peut pas continuer à faire comme si de rien n’était, il faut que nous changions de comportement. » Le 4 janvier dernier, Macky Sall un balai dans la main, une pelle dans l’autre, donnait le coup d’envoi des cleaning days depuis le seuil de sa villa de Mermoz, à Dakar. Une initiative appelée à se répéter un samedi par mois avec l’objectif affiché d’inciter les citoyens à nettoyer eux-mêmes leur quartier.
Une opération de communication savamment mise en scène censée illustrer la volonté du chef de l’État d’aboutir à un « Sénégal zéro déchet ». « Une priorité » de son second mandat, comme il l’avait affirmé en avril 2019 lors de son discours d’investiture, promettant des « mesures vigoureuses » afin de nettoyer le pays « sans délai ». Neuf mois plus tard, l’exécutif semble s’être choisi une première cible. Le 8 janvier, il a promulgué une nouvelle loi visant à réduire l’incidence des déchets plastiques au Sénégal.
Une loi ambitieuse, trois ans après une loi non appliquée

Le président sénégalais Macky Sall lors du "Cleaning Day", le 4 janvier 2020. © Présidence Sénégal / Photo : Papa Matar Diop
La loi de 2015 sur l’interdiction des sachets plastiques n’a jamais été appliquée
En 2015 déjà, le Sénégal avait adopté une loi interdisant les « sachets en plastique légers » inférieurs à 30 microns. Mais la loi, officiellement entrée en vigueur en 2016, n’a jamais été appliquée, faute de matériel de contrôle adéquat. Les mbouss – le nom wolof donné à ces petits sacs à usage unique – font toujours autant partie du paysage, jonchant les rues de la capitale, flottant à la surface de l’océan ou s’accrochant en grappes aux branches des arbres.
Le nouveau texte, qui devrait entrer en vigueur d’ici trois mois, se veut cette fois « extrêmement ambitieux », affirme Boniface Cacheu, coordonnateur de la cellule juridique du ministère de l’Environnement qui a rédigé ce projet de loi en gestation depuis plus d’un an. Il prévoit notamment d’interdire la production, l’importation et la vente « de produits plastiques à usage unique ou produits plastiques jetables ». Parmi eux, quelques-uns des objets incontournables qui peuplent aujourd’hui du quotidien des Sénégalais, comme les gobelets dans lesquels est servi le café Touba, ou encore les sachets d’eau, vendus 50 francs CFA, qui offrent une alternative bon marché aux bouteilles d’un litre commercialisées 400 francs CFA.
Des importations de plastique en hausse
À la pléthore d’interdictions s’ajoutera également une « taxe plastique » sur les produits composés de matières non recyclables dont le montant n’est pas encore fixé. « C’est une loi très dure qui risque de faire grincer des dents certains consommateurs et industriels », admet Boniface Cacheu, qui estime qu’il faut « une volonté politique forte » pour régler la question des déchets plastiques au Sénégal.
S’il n’existe pas de chiffres récents et fiables sur la question des déchets, selon le ministère de l’Environnement, des données portant sur l’importation de matières plastiques publiées par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie montrent que celles-ci n’ont cessé d’augmenté ces dix dernières années (voir infographie ci-dessous). Le mouvement n’a, d’ailleurs, pas été stoppé par l’entrée en application de la loi interdisant les sachets plastiques, en 2016. Alors que le Sénégal importait 118 779 tonnes de matières plastiques en 2015, il en a importé 154 131 au cours des onze premiers mois de 2019…
Infogram
A quelques kilomètres de Dakar, l’immense décharge de Mbeubeuss – reflète bien l’ampleur du défi. S’étirant sur 114 hectares – l’équivalent de 163 terrains de football -, ce dépotoir à ciel ouvert aux airs post-apocalyptiques est le réceptacle quotidien de 2 200 tonnes d’ordures. Conçue pour être une décharge temporaire à son ouverture en 1968, Mbeubeuss n’en finit pas de s’étendre. Après plus d’un demi-siècle d’existence, ses montagnes de déchets sédimentés, hautes de quelque 75 mètres, dégoulinent jusqu’aux maraîchages des Niayes et aux habitations des communes de Keur Massar et Malika.
La tentaculaire Mbeubeuss
En 2004 déjà, sous Abdoulaye Wade, des parlementaires réclamaient sa fermeture. Las, le projet n’a jamais abouti. Aujourd’hui, l’heure est plutôt à « la résorption de Mbeubeuss ». « Il faut instaurer tout un processus de recyclage en amont, pour que chaque déchet recyclable le soit. Ceux qui ne le seront pas pourraient être transformés en compost, ou en biogaz », explique Omar Ba, directeur du Cadre de vie, une administration hébergée par le ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène.
La direction du Cadre de vie, qui espère « passer d’une simple gestion à une valorisation économique des déchets », prévoit notamment l’ouverture, en 2020 de trois centres intégrés de valorisation des déchets (CIVD) à Touba, Tivaouane et Kaolack. Trois projets pilotes visant à nationaliser la question du recyclage, jusqu’ici laissée entre les mains d’entreprises chinoises, italiennes ou indiennes.
Droit constitutionnel
Les défis sanitaires et écologiques qui se posent au Sénégal, longtemps cantonnés à des vœux pieux, sont-ils en passe d’être réellement relevés par les autorités ? Le président sénégalais assure, cette fois, vouloir tout mettre en œuvre pour faire du pays et de sa capitale « un espace de vie propre, favorable à l’épanouissement des citoyens ».
Une promesse qui fait écho à un droit inscrit dans le marbre de la Loi fondamentale, depuis la révision constitutionnelle de 2016, qui instaure « le droit à un environnement sain ». Et sur ce point, le texte est clair : « La défense, la préservation et l’amélioration de l’environnement incombent aux pouvoirs publics », et ceux-ci ont notamment « l’obligation de préserver, de restaurer les processus écologiques essentiels ».