Économie

Maroc : Moulay Hafid Elalamy promet la révision prochaine de l’accord de libre-échange avec la Turquie

Après une rencontre avec son homologue turc à Rabat le 15 janvier, le ministre marocain de l’Industrie et du Commerce a annoncé des discussions prochaines pour « revoir les conditions » de l’accord liant les deux pays. Les industriels du pays, qui pointaient du doigt une concurrence difficile à tenir, se réjouissent.

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Mis à jour le 17 janvier 2020 à 11:21

Moulay Hafid Elalamy, à Casablanca, le 20 avril 2018 (photo d’illustration). © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Lorsque, en novembre 2019, le ministre de l’Industrie et du Commerce Moulay Hafid Elalamy (MHE), avait déclaré devant la Chambre des conseillers que « les ALE (accords de libre-échange) qui nuisent au Maroc [seraient] dénoncés », beaucoup d’analystes avaient supposé le ministre pensait d’abord à l’accord liant Rabat et Ankara.

Une intuition confirmée par la déclaration conjointe diffusée par l’agence officielle MAP de MHE et de son homologue turc, Ruhsar Pekcan, à l’issue de leur rencontre à Rabat, le 15 janvier. « Nous avons convenu de revoir les conditions de l’ALE pour un commerce plus équilibré », a précisé le ministre marocain sur Twitter.

Depuis la conclusion de l’accord, en 2006, le commerce bilatéral a augmenté de 14 % par an en moyenne entre les deux pays, mais la progression est largement en faveur de la Turquie.

Gagnant-gagnant ?

Les exportations d’Ankara vers le Maroc dans le cadre de l’ALE, représentent 72 % des flux, selon l’Office marocain des changes, sont ainsi passées de 7,7 milliards de dirhams (689 millions d’euros) en 2013 à 15,5 milliards d’euros (1,4 milliard d’euros) en 2018. Les exportations marocaines vers la Turquie, en baisse de 25,7 % par rapport à 2016, plafonnaient à 5,5 milliards de dirhams en 2018. Le déficit commercial entre les deux pays a atteint les 16 milliards de dirhams en 2018.

La Turquie est entre autres le premier fournisseur du Maroc pour les voitures utilitaires et parmi les premiers fournisseurs de voitures de tourisme. Les 499 supermarchés BIM matérialisent, dans les villes, la présence turque sur le marché marocain. Et les mentions « Made in Turkey » foisonnent sur les produits présentés sur les étals marocains, notamment les cosmétiques et les équipements ménagers.

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« Nous savions qu’il y avait eu une prise de conscience du côté du ministère sur les risques que l’accord faisait peser sur le tissu industriel marocain », confie à Jeune Afrique un grand patron du secteur industriel, précisant que les plus grosses fédérations sectorielles et le syndicat patronal, la CGEM, ont été consultées par le ministère en amont de la rencontre.

« La Turquie a toujours agi conformément au principe du « gagnant-gagnant » dans les relations commerciales avec le Maroc », commente pour sa part Ruhsar Pekcan, citée par l’agence de presse turque Anadolu.

Protéger le tissu industriel

Alors que la première réunion de travail a été fixée au 30 janvier, rien de filtre encore sur les points de l’accord que le Maroc cherchera à réajuster pour protéger son tissu industriel. En 2018, l’Association marocaine du textile et de l’habillement (Amith) a déjà obtenu une mesure de sauvegarde préférentielle sur les importations de produits de textile et d’habillement en provenance de Turquie.

Selon certains opérateurs marocains du textile, les pertes d’emplois dans le secteur (119 000 postes fermés entre 2008 et 2014, selon le Haut-commissariat au plan), sont en effet partiellement dues à l’accord liant les deux pays. « Pourquoi signons-nous des accords de libre-échange avec la Turquie dont la population est totalement alphabétisée ? Comment tenir la concurrence ? », se demandait l’ancien ministre des Finances Mohamed Berrada dans Jeune Afrique, en novembre 2019.

Attirer des industriels turcs sur le sol marocain ?

Bien que non concerné par l’accord actuel, le secteur du BTP marocain, qui voit aussi la montée en puissance de la concurrence turque, suivra aussi de près les discussions. « La profession milite pour une généralisation de la préférence nationale lors des appels d’offres », soulignait Mohamed Bouzoubaâ, patron des Travaux généraux de construction de Casablanca (TGCC) à Jeune Afrique. « La défense du tissu industriel marocain est une mission des fédérations. Si nous ne sommes pas directement concernés par l’ALE, nous devons continuer à alerter le ministère sur la situation parfois difficile que nous vivons », précise un opérateur du secteur.

Pour Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (Asmex), favorable à une révision de l’accord, il faut que Rabat parvienne à attirer des investissements turcs au Maroc pour une transformation locale. « Nous pouvons, à partir de produits turcs, créer de la valeur ajoutée au Maroc », souligne également Mohamed Boubouh, de l’Amith.

En Tunisie, les débats autour de l’accord de libre-échange avec la Turquie sont encore plus houleux. Dans ce pays aussi, l’entrée en vigueur d’un accord de libre-échange en 2005 a déséquilibré la balance commerciale. En 2017, une taxe douanière a été introduite afin de combler un peu ce déficit. Elle a été reconduite dans la loi de finances de 2020.