Alors que le maréchal Haftar a lancé une nouvelle phase de son offensive sur la capitale libyenne en décembre, la Turquie, qui soutient le gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli, envisage d’envoyer des troupes pour contrer l’avancée de l’ANL.
La résolution concernant l’envoi de soldats turcs en Libye, a été présentée au Parlement turc le 30 décembre. Signe de l’urgence d’agir pour Ankara : le vote, qui devait avoir lieu le 7 janvier, dès la reprise des travaux du Parlement, a été avancé. Et approuvé, sans surprise, par 325 députés contre 184. « Il faut rappeler que c’est une consultation de nature discrétionnaire », tempère le chercheur Jalel Harchaoui, chercheur à l’institut Clingendael et spécialiste de la Libye.
Le texte soumis aux parlementaires turcs évoque la défense des « intérêts nationaux de la Turquie en Libye », la lutte contre la « formation d’un environnement favorable aux organisations terroristes et aux groupes armés » ainsi que « l’aide humanitaire au peuple libyen ».
Livraisons de drones et de munitions
Le 18 décembre, Fayez-al Sarraj, le chef du GNA avait demandé par écrit aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Italie, l’Algérie et la Turquie « à activer les accords de coopération en matière de sécurité». L’objectif affiché : « repousser l’agression de tout groupe opérant hors de la légitimité de l’État », allusion transparente à l’ANL dirigée par le maréchal Haftar.
La Turquie soutient déjà sur le plan logistique les forces loyales au GNA, en fournissant notamment des drones Bayraktar TB2. De leur côté, les Émirats arabes unis fournissent l’ANL en drones chinois Wing Loong II, en dépit de l’embargo sur les armes qui pèse sur la Libye.
« La Turquie avait fortement réduit cette aide à partir du mois d’octobre, dans la perspective de la conférence de Berlin [prévue en octobre et reportée à plusieurs reprises, ndlr], mais aussi parce que ses drones rencontraient des difficultés face à ceux opérés par les Émirats – beaucoup de ceux qu’elle a fournis aux forces loyales au GNA ont été détruits. Sans compter les problèmes de financement », poursuit Harchaoui.

Un combattant fidèle au gouvernement de Tripoli, lors des combats contres les troupes du général Haftar, en avril 2019 (archives). © Mohamed Ben Khalifa/AP/SIPA
La motion ne signifie pas que la Turquie va envoyer demain des troupes en Libye
« Elle a repris ses livraisons de drones d’armes et de munitions en décembre. Elle peut désormais envisager d’envoyer des Manpads [missiles sol-air opérés par un individu, ndlr], des systèmes de brouillage permettant de neutraliser les drones ennemis et de l’artillerie lourde. »
Espace clandestin
« La motion ne signifie pas que la Turquie va envoyer demain des troupes en Libye, explique Harchaoui. Il s’agit aussi pour Ankara de montrer qu’elle se prête au processus démocratique. Il faut comprendre ce vote comme un événement politique. Sur cette scène libyenne où tous les États évoluent dans un espace clandestin, la Turquie veut montrer qu’elle joue cartes sur table, même si, à l’évidence, elle continuera elle aussi à évoluer dans un espace clandestin. »
Fin décembre, des vidéos de rebelles syriens liés à la Turquie et combattant en Libye ont ainsi émergé, suscitant des interrogations sur la nature de l’engagement turc en Libye. Selon le chercheur, leur rôle restera limité sur le terrain libyen, où leur présence n’est pas forcément bien perçue par la population.
Alors que l’ANL a pu compter sur l’implication croissante de mercenaires russes du groupe de sécurité privée Wagner dans ses rangs, qu’impliquerait l’envoi de troupes turques en Libye pour la relation entre Moscou et Ankara ? Une entente pragmatique, comme sur le terrain syrien, n’est-elle pas envisageable entre les deux pays ?
« On a raison de parler d’entente entre la Turquie et la Russie, même si chacun peut chercher à compromettre l’agenda de l’autre par Libyens interposés, juge Harchaoui. Mais Ankara et Moscou ont compris que leur intérêt commun est d’éclipser l’Occident dans cette partie du monde. »