Économie

Glissement du franc CFA vers l’eco : mode d’emploi

En transformant le franc CFA en « eco transitoire » pour les pays de l’UEMOA, ces derniers anticipent sur la naissance de l’eco de la Cedeao, pour lequel de nombreuses questions restent en suspens. Revue des étapes à venir.

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Mis à jour le 23 décembre 2019 à 12:52

Des billets de francs CFA © AP/Sipa

Une substitution réussie de l’eco au franc CFA, telle qu’annoncée samedi 21 décembre à Abidjan par le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron, suppose que l’opération se fasse sans faire naître de défiance vis-à-vis de la nouvelle monnaie.

Pour l’instant, les conditions semblent réunies pour que la première phase de sa naissance se déroule convenablement. En effet, les réserves de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sont à un bon niveau et la Côte d’Ivoire, locomotive de l’Union économique et monétaire de ouest-africaine (UEMOA), se porte bien.

D’ici l’apparition de l’eco vraisemblablement en juillet 2020, les huit États membres de l’UEMOA et la France signeront un accord hautement symbolique pour mettre fin à la convention du compte d’opérations auprès du Trésor français et la remplacer par une convention de garantie. Cet accord sera accompagné d’un échange de lettres à forte tonalité technique pour organiser la transformation du découvert illimité accordé par la France à la BCEAO en ligne de crédit illimitée.

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Pas de changement donc, sauf que, pour trancher toujours pour des raisons symboliques les liens avec la France, les réserves de la BCEAO seront transférées et placées sous forme de titres dans une ou plusieurs Banques centrales européennes, puisque l’essentiel du matelas de devises de l’UEMOA est en euros. La Banque des règlements internationaux (BRI) pourrait en accueillir elle aussi.

Quid de la garantie de la France à l’échelle de la Cedeao ?

Le taux de change avec l’euro restant pour l’instant le même, une émission de billets en eco les substituera progressivement aux billets en franc CFA pour la même valeur. L’adhésion à la nouvelle monnaie se fera au fur et à mesure que les différents États rempliront les critères de convergence (stabilité, croissance, déficit budgétaire, inflation, déficit du compte courant, dette publique, etc.).

Les difficultés apparaîtront ensuite. S’il est prévu depuis juin 2019 que le taux de change de l’eco devienne flexible, certains pays, minoritaires, préféreraient qu’il demeure fixe.

Les marchés risquent d’attaquer la nouvelle monnaie

Il faudra également déposer à la BCEAO toutes les réserves en devises, mais certains États, là encore, y rechignent. La France ne donnera sa garantie qu’à la condition que ces réserves soient mutualisées.

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La grande difficulté sera de passer de l’eco de l’UEMOA à la monnaie unique de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont sept membres ne font pas partie de l’actuelle zone CFA. « Les marchés risquent d’attaquer la nouvelle monnaie et les capitaux pourraient s’enfuir s’ils pensent que l’adoption de la monnaie unique de la Cedeao est réalisée avec trop d’empressement », note un analyste travaillant sur les marchés financiers.

Certains apprécient modérément la prééminence du président Ouattara

Du côté français, on serait prêt à maintenir la garantie sur cette monnaie eco élargie à la Cedeao, à condition que le Nigeria n’en fasse pas partie, indique une source proche des négociations. Car du point de vue des marchés financiers, l’arrivée du Nigeria semble exclue à moyen terme, tant ce mastodonte de près de 200 millions d’habitants déséquilibrerait la zone eco par son poids et surtout par son comportement traditionnellement peu communautaire. Le Ghana, plus vertueux dans sa gestion des finances publiques, serait en revanche une recrue de choix, mais il y réfléchira à deux fois avant d’accepter de mettre ses réserves en devises dans le pot commun.

Avec l’Afrique centrale, un autre processus

« Les risques sont politiques, poursuit cette source. L’eco ne réussira qu’à la condition que tous les chefs d’État et de gouvernement s’y impliquent. Pour l’instant, tous ne se sont pas appropriés le projet. Certains apprécient modérément la prééminence du président Ouattara sur le dossier. Ils se demandent comment les choses se passeront si celui-ci cède la présidence de la Côte d’Ivoire en novembre 2020 à quelqu’un de moins averti ».

Et la zone franc CFA d’Afrique centrale ? « La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) suivra la même évolution, répond la même source. Elle a un avantage sur l’Afrique de l’Ouest, puisqu’elle n’a pas à se soucier d’absorber l’équivalent de la Cedeao ou un de ses voisins comme la RDC. Elle présente l’inconvénient que ses membres ont du mal à mettre leurs réserves en devises en commun. Elle fera donc la même réforme, mais a minima en changeant de nom ».