« Je suis très fier d’avoir été épinglé par des gens que je critique », se félicitait Lambert Mende, lorsqu‘il était encore porte-parole du gouvernement congolais, en juin 2017. Comme plusieurs autres proches de l’ancien président Joseph Kabila, il venait alors d’être frappé par des sanctions européennes.
Près de trois ans après, et alors qu’il vient d’être écarté de cette liste de personnalités sanctionnées, son discours n’a pas changé d’un iota. « Un ministre fait son travail au service du programme du gouvernement de son pays. Il n’est pas ministre au Congo pour plaire à des gens qui sont en Europe », martèle-t-il.
« Je continue à me questionner sur la nature des relations que mon pays entretient avec l’Europe et je continue à désapprouver ce qui est une mise sous tutelle d’un pays indépendant », avait-il répondu à Jeune Afrique dans les heures qui ont suivi l’annonce du retrait de son nom de la « liste noire » des personnalités sous le coup de « mesures restrictives individuelles ». Et d’ajouter : « Personne ne peut être condamné, comme cela a été la cas ces trois dernières années, sans avoir le droit de se défendre. »
Des personnalités sous sanctions, mais toujours actives
Celui qui, depuis, a été battu à l’élection de gouverneur dans la province du Sankuru, assure que ces sanctions n’ont eu aucune conséquence concrète, ni pour lui, qui affirmait d’ailleurs n’avoir « plus aucun compte en Europe » à l’époque où il a été sanctionné, ni pour les douze autres proches de Kabila visés par Bruxelles.
Ces sanctions ont un effet psychologique déstabilisant. Et pas uniquement
« Ces sanctions ont un effet psychologique déstabilisant. Et pas uniquement : on se retrouve à être privé de comptes en banque, de la possibilité de faire des échanges en dollars », reconnaît cependant – sous couvert d’anonymat, l’une des personnalités politiques congolaise sous sanction de l’UE.
Parmi les douze proches de Joseph Kabila visées par les sanctions, Emmanuel Ramazani Shadary, qui a été candidat à la présidentielle, est toujours secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), l’un des principaux partis du Front commun pour le Congo, allié au Cap pour le changement du président Félix Tshisekedi au sein du gouvernement.
Evariste Boshab, ancien vice-Premier ministre de l’Intérieur et de la Sécurité sous Kabila, siège au Sénat. Il s’était même présenté pour en prendre la vice-présidence, en juillet dernier, mais avait été battu par l’ancien Premier ministre Samy Badibanga.
Kalev Mutond a, pour sa part, été évincé de son poste de chef de l’Agence nationale de renseignements (ANR), mais reste en contact avec l’ancien président congolais.
Corneille Nangaa, dont le mandat de président de la Commission électorale nationale indépendante a expiré en juin, n’a toujours pas de remplaçant. Confronté à des diffcultés internes à la Ceni – près d’un millier d’agents réclament des arriéréw de salaires et il peine à obtenir les fonds auprès du ministère des Finances – , il s’est fait discret ces derniers mois.
Deux autres personnalités de la scène politique congolaise restent également la cible de sanctions imposées par Washington : Benoît Lwamba Bindu, le président de la Cour constitutionnelle et Aubin Minaku, l’ancien président de l’Assemblée nationale.
Le sanctions contre les ADF paieront-elles ?
Le 10 décembre dernier, Musa Baluku, chef des rebelles d’Allied democratic forces (ADF), et cinq de ses proches – Amigo Kibirige, Muhammed Lumisa, Elias Segujja, Kayiira Muhammad et Amisi Kasadha – ont été ajouté à la liste des personnalités sanctionnées par le Trésor américain.
Ils sont accusés d’avoir « matériellement aidé, parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technologique, ou des biens ou des services aux ADF, une entité qui a commis ou dont les membres se sont livrés à de graves atteintes aux droits humains », précise le Trésor américain, qui affirme vouloir ainsi soutenir le gouvernement congolais « dans ses efforts pour contrer les groupes armés et apporter la stabilité, la paix et la prospérité à la RDC en combattant les ADF et d’autres groupes qui tentent de déstabiliser davantage le pays. »
Ces nouvelles sanctions auront-elles un effet plus probant que celles infligées aux personnalités politiques ? « Pour les sanctions ADF on peut s’interroger sur l’impact réels que ces sanctions peuvent avoir, au-delà du seul aspect diplomatique », constate Christoph Vogel, chercheur pour le Conflict research group à l’Université de Gand.
« Les sanctions américaines prennent deux aspects : le gel des avoirs et l’interdiction de voyage aux États-Unis. Or, il semble peu probable, dans le cas des ADF, que les personnes concernées aient prévu de se rendre aux États-Unis ou même qu’ils aient des comptes en banque là-bas », estime le chercheur.
« Il peut toujours y avoir un impact hors des États-Unis, lors de transactions en dollars dans certaines banques congolaises qui collaborent avec des banques américaines », tempère-t-il cependant, tout en soulignant que « l’harmonisation du fonctionnement interbancaire est rarement efficace ».
Autre source de financement pour ces groupes armés, le paiement mobile s’avère tout aussi difficile à contrer. « Il n’est pas exclu que les personnes visées par ce type de sanctions et qui utilisent des systèmes de transfert d’argent du type Western Union le fassent par le biais d’intermédiaires ou sous un faux nom. Il semble peu évident que les États-Unis aient pris le temps de tracer de potentiels alias pour ces gens », conclut Christoph Vogel.
Discours publics et « diplomatie discrète »
« Les sanctions relèvent d’une démarche politique et diplomatique, dans le but d’exercer des pressions sur une cible dont on veut obtenir un changement d’attitude suivant un registre déterminé », appuie en écho l’analyste Martin Nzakwawu, à la tête du pôle Relations internationales à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (Ifasic) de Kinshasa, qui estime cependant que l’effet est rarement atteint au-delà de l’aspect symbolique.
« L’efficacité des sanctions est fonction du rapport de force, mais aussi de considérations relevant de ce que l’on peut qualifier de « diplomatie secrète ». Car le discours public qui justifie les sanctions n’exprime pas forcément le fond du véritable objectif poursuivi par l’administration qui les impose », juge l’analyste.