Yvoire de Rosen, une militante au service de la mode africaine

Native de Bruxelles, cette socio-anthropologue de 31 ans met ses connaissances académiques et ses convictions militantes au service des modes africaine et diasporique.

Yvoire de Rosen (à gauche) et sa mère Cerina de Rosen (à droite) © DR

Yvoire de Rosen (à gauche) et sa mère Cerina de Rosen (à droite) © DR

KATIA TOURE_perso

Publié le 17 décembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Quand, en 2011, Cerina de Rosen, architecte d’intérieur de formation, décide de lancer une manifestation dédiée à la mode d’Afrique et sa diaspora à Bruxelles, elle embarque dans l’aventure Mélissa et Yvoire, ses deux filles. Événement mode, à la forte dimension sociétale, l’Ethno Tendance Fashion Week Brussels est, sans conteste, une aubaine mais aussi un tremplin pour sa cadette, Yvoire de Rosen.

Cette dernière vient alors d’obtenir un master en anthropologie et en sociologie à l’Université de Louvain-Laneuve et débute un dernier cursus en communication. Son champ d’étude s’articule autour de tout ce qui a trait aux personnes afro-descendantes dans les sociétés européennes. Des thèmes, à l’époque, encore peu étudiés en Belgique.

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« Le rapport au corps, la question de la visibilité, de l’esthétisation avec le retour au cheveu crépu ou les problématiques autour de la dépigmentation volontaire et du défrisage », énumère l’afroféministe de 31 ans, à la tête de son propre collectif, Mwanamke – fondé en 2015.

« Empowerment »

Si bien que, quand l’Ethno Tendance Fashion Week Brussels organise – en marge des défilés où l’on trouve des mannequins de toutes carnations, de toutes corpulences, atteints d’albinisme ou de vitiligo, transgenres, handicapés et même des migrants ou demandeurs d’asile – des ateliers ou conférences sur des thèmes comme l’« empowerment » des femmes ou le cheveu naturel, Yvoire de Rosen se retrouve comme un poisson dans l’eau. « Je n’ai pas poursuivi mes études en doctorat, car il m’a fallu sortir du cadre académique très fermé et trop codifié, surtout vis-à-vis de mes recherches. »

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#Conférencière ?? en tant anthropo-sociologue, lors de la rencontre "Stop Dépigmentation: Bien dans ma peau ", quel plaisir d'intervenir sur deux panels aux côtés de historien.nes, médecins et journalistes : l'un sur l'histoire et la sociologie de la dépigmentation volontaire. L'occasion pour moi d'aborder son ancrage socio-politique et culturo-symbolique, de parler du colorisme et d'envisager les conséquences actuelles dans l'espace public, médiatique, politique, l'industrie de la mode de la beauté et du cinéma. Une autre intervention aussi sur le panel concernant la représentation des personnes afrodescendantes dans l'espace culturel, une opportunité d'analyser les différents référents, schémas, narratifs, imaginaires, rôles, stéréotypes qui sont véhiculés et réactivés. Une initiative cruciale que je soutiens avec beaucoup de conviction ! Un moment majeur pour réfléchir ensembles, détabouiser, sensibiliser, et proposer des pistes. Bravo !!! . . . . . . . #yvoirederosen #anthroposociologist #anthroposociologiedesafros #chercheuse #KeynoteSpeaker #publicspeaker #dépigmentation #ankaraprint #BlackGirlMagic #blackwomenrock #afrohair #conference #talk

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Je m’affirme tel que je suis et je m’accepte sans compromis

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L’Ethno Tendance Fashion Week Brussels est aussi un moyen pour Yvoire de Rosen de faire ses premières gammes en tant qu’animatrice et modératrice d’événements. En 2015, elle est repérée par la chaîne belge BX1, qui lui propose un poste de présentatrice météo. « J’ai beaucoup hésité en me disant que présenter la météo était un rôle de potiche. Je me suis lourdement trompée dans la mesure où j’ai dû énormément apprendre sur la météorologie et faire de la présentation sans fiches ou prompteur. »

S’affirmer tel que l’on est

L’aventure, au cours de laquelle elle agrémente chacune de ses présentations de conseils en mode et tendances, dure deux ans. « Je mettais en avant la mode afro avec mes turbans en pagne tissés, mes accessoires en wax ou mes écharpes en bogolan ».

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Là, il convient de souligner que le style d’Yvoire de Rosen détonne. « Sur son crâne rasé, elle a actuellement un chignon, mais fut une époque où elle avait une crête », commente sa mère, par ailleurs styliste et au look tout aussi recherché.

« Les gens me demandaient pourquoi je la laissais se balader avec une coiffure “punk”, alors même que cette coiffure vient de la Vallée de l’Omo, entre le Soudan et l’Éthiopie. Là-bas, cette coiffure est une forme de protection. Mais les Africains eux-mêmes ne le savent pas. » Et la fille de sourire : « Ma mère nous a très tôt poussé, ma sœur aînée et moi, à nous affirmer telles que nous étions, avec nos propres cheveux et à accepter nos morphologies. Elle a beaucoup lutté pour que l’on puisse porter des tenues africaines sans que ça ne relève de la singularité. »

Un style, des cultures

Aussi, quand, petites, leur mère les invite à porter des tenues traditionnelles camerounaises pour aller à l’école, les deux petites préfèrent y voir des pyjamas. « À 13 ans, j’ai commencé à porter des turbans parce que ma mère et ma tante en portaient. On ne me comprenait pas. Et à 18 ans, je me rendais déjà à certains événements, habillée en boubou deux pièces quitte à provoquer un certain étonnement quand aujourd’hui, c’est en train de devenir tendance », se souvient Yvoire de Rosen.

« Mon look doit beaucoup à mon cheminement personnel, à mes cultures et à mon ancrage familial. Quand je fais des interventions en milieu universitaire, les gens sont un peu étonnés. On me prend pour un mannequin ou une danseuse. Mais je ne me suis jamais posée la question de devoir m’adapter selon tel ou tel milieu. Je m’affirme tel que je suis et je m’accepte sans compromis. Et cela, je le dois beaucoup à ma mère. »

Pour elle, le style rime avec son identité, qu’elle revendique plurielle. « Mon père est du Sénégal, du Mali et du Cameroun. Je suis panafricaine tant dans les veines que dans l’âme. Quant à ma mère, on peut parler d’un métissage sur quatre générations et qui concerne le Soudan, l’Angola et le Congo pour l’Afrique ainsi que la Belgique, la France, la Suède et le Portugal pour l’Europe. »

De Bruxelles à Niamey

L’Ivoirien Elie Kuame, la Sénégalaise Adama Paris, le Belgo-Malien Oumar Dicko, l’Ivoirienne Nackissa Doumbia Nemlin, le Guinéen Braima Sori Ba ou la Congolaise Betu Kumesu Tshiongo font partie des nombreux créateurs ayant participé à l’Ethno Tendance Fashion Week Brussels ces dernières années.

La fashion week bruxelloise, dont l’emblème est le turban, n’hésite pas non plus à s’associer à des événements africains, comme la Niamey Fashion Week ou le Top 10 de la mode ivoirienne.

Dernièrement, les deux co-organisatrices se sont rendues en Guinée pour aller à la rencontre de la Fédération des stylistes guinéens. « L’idée est de démocratiser la mode, de mettre en avant une mode africaine et diasporique aux valeurs universelles », rappelle Yvoire de Rosen.

Consultante et coach

Autre casquette de cette dernière ? Celle de consultante et de coach, pour les femmes – et plus particulièrement, les femmes noires – , qu’elle conseille sur la prise de parole, la confiance en soi, les questions de genre, de diversités, etc. Elle a donc créé sa propre agence : She Rocks. « Outre des conférences à Paris, Bruxelles, Luxembourg ou Francfort, j’ai dernièrement été amenée à coacher les femmes travaillant sur le port d’Abidjan et à collaborer avec Elle Côte d’Ivoire pour des masterclass. »

Sans parler de l’animation, qu’elle continue d’exercer aux quatre coins du monde. De la Dakar Fashion Week aux festivals de musique en passant par des galas ou même des manifestations plus institutionnelles comme la 5ème édition du Forum International Mukutano Kinshasa, en septembre dernier. En parallèle, elle travaille aussi sur un livre autour de l’afro-féminisme. « Je veux faire bouger les lignes, impacter la vie des autres et les inspirer. Tout ceci avec une inclination particulière pour les femmes africaines et afro-descendantes. »

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