Politique

Mali : quatre ans après les accords d’Alger, Kidal demeure sous le contrôle des ex-rebelles

Dans le nord du Mali, Kidal jouit d’une autonomie de fait. Sous l’emprise des ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), la ville, tout comme de larges portions du nord pays, échappe au contrôle de l’État malien.

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Par - Envoyé spécial à Kidal
Mis à jour le 13 décembre 2019 à 15:22

des combattants du MNLA, le 2 décembre 2019 à Kidal. © Baba Ahmed pour JA

« Bienvenue ! Ici, c’est l’Azawad ! » Ce lundi 2 décembre, les passagers qui descendent de l’hélicoptère de la Minusma ont à peine le temps de poser le pied sur le sol rocailleux de Kidal que les voilà prévenus. Mazou Maïga, l’un des militants les plus actifs au sein des jeunesses du Mouvement nationale pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui vient de leur lancer cette parole d’accueil aux accents indépendantistes, s’est employé, les jours précédents, à pavoiser la ville aux couleurs de son mouvement.

Peint sur les murs des bâtiments publics ou flottant au vent du désert, le drapeau vert, rouge, noir et jaune du mouvement touareg, qui avait, le 6 avril 2012, autoproclamé l’indépendance de l’Azawad, est ici omniprésent. Au contraire du drapeau malien, qui, lui, n’est visible nulle part.

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Quelques jours plus tôt, lors du congrès du MNLA, le représentant français de la Minusma semblait avoir pris acte de cet état de fait. En souhaitant la bienvenue aux délégations « venues du Mali et de l’étranger », le Français Christophe Sivillon a déclenché l’ire de Bamako, qui l’a expulsé dix jours plus tard. Ces propos « portent une atteinte grave à la souveraineté et à l’intégrité territoriale », ont alors tempêté les députés maliens.

Démonstration de force

Lors du défilé militaire du MNLA à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA

Lors du défilé militaire du MNLA à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA

Nous voulons montrer que nous avons suffisamment de ressources pour mener des opérations militaires

Dans les faits, cependant, Kidal est bel et bien le fief de l’ex-rébellion touarègue. Le défilé « militaire » organisé par le MNLA à l’occasion de son congrès, quelques semaines après celui du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), en octobre dernier, l’a largement illustré.

« Il était important pour nous de montrer à nos populations que nous avons les moyens militaires de les sécuriser », affirme Almou Ag Mohamed, porte-parole du HCUA. « Nous voulons aussi montrer que nous avons suffisamment de ressources pour mener des opérations militaires s’il le faut, alors que certains prétendent que nous utilisons les moyens des forces obscurantistes », poursuit-il.

Les bâtiments publics – gouvernorat, préfecture et directions régionales des services de l’État – sont tous occupés par des hommes du mouvement armé. Partiellement détruits lors de la très violente bataille de Kidal, en mai 2014, à l’issue de laquelle les Forces armées maliennes avaient abandonné la ville aux rebelles touaregs, ces édifices ont depuis été rénovés.

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Certains, comme la résidence de l’ex-gouverneur, servent désormais de maison d’hôtes aux invités du groupe armé, dans une ville qui ne compte aucun hôtel. « C’est une maison qui est considérée comme hantée par les habitants, parce que de nombreuses personnes y ont été tuées », glisse un membre du MNLA à l’entrée de la bâtisse.

Et le combattant de se souvenir qu’au lendemain des combats, il avait retrouvé ici un cadre de la préfecture, « caché sous l’escalier ». Lors de ces affrontements, qui ont éclaté le jour de la venue sur place de l’ex-Premier ministre Moussa Mara, deux préfets et quatre sous-préfets de la région de Kidal avaient été tués.

Des combattants du MNLA font la prière du crépuscule le 2 décembre 2019 à Kidal © Baba Ahmed pour JA

Des combattants du MNLA font la prière du crépuscule le 2 décembre 2019 à Kidal © Baba Ahmed pour JA

Les juges islamiques revendiquent plus de 275 jugements depuis le début 2019

Ici, ce sont les cadis – les juges islamiques – qui rendent la justice. Réunis dans un comité basé à Kidal, ils assurent avoir prononcé plus de 275 jugements depuis le début de 2019. « Nous avons 47 prisonniers, y compris des étrangers, qui sont incarcérés pour des faits de vol de moto, de non-remboursement de dettes ou encore de violences conjugales », indique El Moufti Ahmedou Ben Hamza, l’un des membres de la cour de justice de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, dont est membre le MNLA).

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Contrôle des routes

Des véhicules lourdement armés du MNLA, à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA

Des véhicules lourdement armés du MNLA, à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA

Les gens parlent beaucoup de Kidal, mais c’est toute la région qui est sous notre contrôle

Au-delà de Kidal, fief de la rébellion entièrement contrôlé par le MNLA et le HCUA – entre lesquels, bien qu’ils soient tous deux membres de la CMA, existe aussi des motifs de crispations –, une grande partie du nord du Mali est sous l’emprise directe des mouvements armés.

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« Les gens parlent beaucoup de Kidal. Mais c’est toute la région qui est sous notre contrôle », claironne Sidi Brahim Ould Sidatti, le président en exercice de la CMA, venu à Kidal pour le congrès du MNLA. « Et dans les régions de Gao et de Tombouctou, en dehors des capitales régionales, nous  contrôlons tout le reste», ajoute ce cadre.

Pour réaliser l’emprise des groupes armés, il suffit d’emprunter la route qui relie Gao, à quelque 400 kilomètres plus au sud, à Kidal. Les « check-points » sauvages installés par les différentes factions armées signataires de l’accord de paix d’Alger s’y succèdent à un rythme régulier.

À chaque arrêt, il faut payer. Et ce, dès la sortie de Gao, où le poste de police installé en bord de route est le dernier signe visible de la présence de l’État malien. « Les combattants contrôlent les véhicules et font payer 10 000 francs CFA aux chauffeurs des camions de marchandises », rapporte Mohamed Ould Brahim, qui emprunte régulièrement la route Gao-Kidal au volant de son poids lourd.

Les bénéfices, importants, sont stratégiques. Avec l’argent tiré de l’orpaillage, ils représentent l’une des principales sources de financement de ces groupes. « Chaque poste de contrôle permet de faire rentrer plus de 3 millions de francs CFA par mois [4 500 euros]. Un mouvement qui détient dix postes de contrôle récolte donc au moins 30 millions chaque mois », confie un officier d’un de ces mouvements.

Évolution de la menace terroriste de 2012 à 2019. © Source : Institut d’études et de sécurité.

Évolution de la menace terroriste de 2012 à 2019. © Source : Institut d’études et de sécurité.

Depuis plusieurs mois, la CMA a déployé des dizaines de véhicules pour sécuriser la région de Tombouctou, affirmant vouloir lutter contre l’insécurité grandissante. Cela n’a pas suffi à limiter le nombre d’attaques de groupes jihadistes. Au contraire, celles-ci se sont multipliées dans la région et au-delà, à l’exception notable de la région de Tombouctou, où les attaques ont fortement diminué.

Bras de fer avec Bamako

Des jeunes filles tiennent le drapeau malien à Kidal, en juillet 2013. © CC / Flickr / MINUSMA/Marco Dormino

Des jeunes filles tiennent le drapeau malien à Kidal, en juillet 2013. © CC / Flickr / MINUSMA/Marco Dormino

Nous sommes les premières victimes de cette insécurité, car notre problème politique n’est pas résolu

« Malheureusement, tous les acteurs sont tombés dans un piège en priorisant la lutte contre le terrorisme avant de régler le problème politique qui nous oppose à l’État central, constate Bilal Ag Acherif, qui a été reconduit à son poste de secrétaire général du MNLA lors du congrès. Aujourd’hui, nous sommes les premières victimes de cette insécurité, car notre problème politique n’est pas résolu. Jour après jour, ce sont nos populations qui sont victimes de l’insécurité. »

L’accord de paix d’Alger, signé en 2015, définissait notamment les modalités du retour de l’administration et du redéploiement de l’armée malienne dans les régions du nord. Or, sur ces deux questions, les choses n’avancent quasiment pas.

« L’année dernière, il était prévu que l’armée malienne fournisse à Kidal 200 soldats qui viendraient s’ajouter aux combattant des groupes signataires pour former dans cette région le premier embryon d’une armée reconstituée. Mais à notre grande surprise, Bamako n’a envoyé que 117 soldats. Et aujourd’hui, seuls huit d’entre eux sont toujours présents à Kidal », regrette un membre de la médiation internationale.

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Pour Sidi Brahim Ould Sidatti, le président en exercice de la CMA, c’est le versant politique des réformes prévues au titre de l’accord qui n’avance pas assez vite. « Le gouvernement de Bamako veut revenir dans l’Azawad sans passer au préalable par l’application de l’accord de paix : nous ne sommes pas d’accord », juge-t-il.

Au centre des revendications des ex-rebelles, l’application de l’article 6 de l’accord d’Alger. Celui-ci prévoit une décentralisation renforcée, et en particulier la création d’une assemblée régionale élue au suffrage universel. Le président de cette instance est censé acquérir le statut de « chef de l’exécutif et de l’administration » dans la région.

Cette question était au centre des échanges tenus à la fin de novembre, lors d’une rencontre discrète entre une délégation de la CMA et le président Ibrahim Boubacar Keïta. En septembre, ce dernier avait ouvert la porte à la possible relecture de certains aspects de l’accord de paix, confiant aux participants au dialogue national le soin d’en redéfinir les contours.

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Si, sur le principe, les ex-rebelles de la CMA n’y sont pas opposés, ils posent cependant leurs conditions. « Nous ne sommes pas hostiles à une relecture, parce que nous aussi, nous avons de nouvelles choses à y inclure. Mais cela doit se faire en respectant le cadre de l’accord, qui stipule que si une partie veut revoir une disposition, elle doit au préalable le faire savoir aux autres parties signataires », insiste Sidi Brahim Ould Sidatti.

« Sanctuaire pour les terroristes » ?

Le président nigérien Mahamadou Issoufou a reçu une délégation venant de Kidal, comprenant des membres du HCUA, le 24 novembre 2019. © DR / Copie d’écran Facebook

Le président nigérien Mahamadou Issoufou a reçu une délégation venant de Kidal, comprenant des membres du HCUA, le 24 novembre 2019. © DR / Copie d’écran Facebook

Nous n’avons aucun lien avec les jihadistes

Véritable épine dans le pied du président malien, le statut de Kidal a été vivement remis en cause par son homologue nigérien Mahamadou Issoufou. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique en août, celui-ci avait accusé la ville d’être « un sanctuaire pour les terroristes ».

Des accusations plusieurs fois réitérées dans la presse et sur les podiums des sommets internationaux et qui, paradoxalement, ont permis aux différentes franges de l’ex-rébellion de se rassembler sous une même bannière.

« Il faut reconnaître que les accusations du président nigérien nous ont aidés à mobiliser toutes les communautés autour de la question de Kidal », confiait ainsi, en octobre, Mohamed Ag Intalla, l’Amenokal de l’Adagh (chef traditionnel et moral). De fait, comme celui du HCUA, le congrès récent du MNLA a vu la présence de très nombreux chefs coutumiers des communautés touarègues, venus de tout le « grand Sahara ».

Les musiciens de Tinariwen avaient même fait le déplacement pour un concert exceptionnel. Le groupe, fondé par Ibrahim ag Alhabib, qui avait combattu dans les rangs de la rébellion touarègue dans les années 1990, n’avait plus joué à Kidal depuis près de 15 ans. Et les retrouvailles avec son public ont été fortes en émotions.

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À la fin de novembre, Mahamadou Issoufou a reçu à Niamey des représentants de la CMA. « Nous n’avons aucun contact, aucun lien avec les jihadistes », lui ont-ils assuré. Ce début d’apaisement a notamment permis de lever partiellement les blocages quant à la tenue du Comité de suivi de l’accord (CSA), qui ne s’est pas réuni depuis plusieurs mois. Le principe d’une rencontre entre des représentants de la CMA et les autorités de Bamako y a également été arrêté, sans qu’aucune date ne soit fixée.

Expulsion et montée des tensions

Une patrouille de Casques bleus tchadien à Kidal, en 2017 (Illustration). © Creative Commons / Flickr / Sylvain Liechti/MINUSMA

Une patrouille de Casques bleus tchadien à Kidal, en 2017 (Illustration). © Creative Commons / Flickr / Sylvain Liechti/MINUSMA

L’expulsion récente du chef de la Minusma à Kidal a cependant ravivé les tensions. La CMA, qui a vivement critiqué la décision des autorités maliennes, a dénoncé à cette occasion « la nouvelle posture du gouvernement du Mali, qui a consisté ces derniers mois à opérer des blocages répétés dans la mise en œuvre de l’accord et concentré ses efforts sur de stériles tapages médiatiques focalisés sur Kidal. »