Politique

Côte d’Ivoire – Konan Bertin Kouadio : « Si Ouattara se présente, le meilleur candidat pour le battre sera Bédié »

Candidature de Henri Konan Bédié, troisième mandat d’Alassane Ouattara, alliances avec les autres composantes de l’opposition… Revenu dans les rangs du PDCI, Konan Bertin Kouadio – dit « KKB » – livre son analyse sur les enjeux de la présidentielle de 2020.

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Mis à jour le 6 décembre 2019 à 18:10

Konan Bertin Kouadio, dans les locaux de Jeune Afrique, le 29 novembre 2019. © Vincent Fournier pour JA

La page est tournée, assure-t-il. Après s’être présenté à l’élection présidentielle de 2015 contre l’avis de Henri Konan Bédié, qui avait alors préféré soutenir la candidature d’Alassane Ouattara à un second madat, Konan Bertin Kouadio, plus connu sous le pseudonyme de « KKB », est revenu au PDCI en 2017. Depuis, l’ex-frondeur affiche son soutien à Bédié et tente de retrouver son rang dans son parti.

De passage à Paris fin novembre, et avant de se rendre à La Haye ce week-end pour y rencontrer Charles Blé Goudé, « KKB » est passé à la rédaction de Jeune Afrique. Il livre sa vision de la situation politique dans la perspective de la présidentielle à venir.

Jeune Afrique : Vos relations avec le président Henri Konan Bédié n’ont pas toujours été bonnes, notamment en raison de votre candidature à la présidentielle en 2015. Quelles sont-elles aujourd’hui ? 

Konan Bertin Kouadio : En réalité, nos rapports ont toujours été au beau fixe. Bédié et moi venons quasiment du même village. Il a été le témoin de mariage de mon oncle dans les années 1980, puis a été mon propre témoin de mariage. Nos liens vont au-delà de la politique.

J’étais étudiant quand il y a eu le coup d’État de 1999. On pouvait certainement avoir des choses à reprocher à Henri Konan Bédié, mais ce n’est pas par les armes qu’il faut sanctionner un président démocratiquement élu.

La direction du PDCI s’était réuni pour mettre Bédié en congé et le renier. Je m’y suis opposé et j’ai mobilisé les jeunes pour faire en sorte qu’il demeure le président du PDCI, même s’il était en exil en France. Ensuite, nous nous sommes battus pour empêcher que Robert Gueï récupère le PDCI.

Quand on fait tout ça, ce n’est pas pour voir le PDCI disparaître quinze ans plus tard. Or, pour moi, en politique, la mère des batailles est l’élection présidentielle. En 2015, alors que le PDCI s’était réuni pour décider à l’unanimité d’avoir un candidat, le président Bédié a décidé qu’Alassane Ouattara serait le candidat du PDCI.

Pour moi, c’était inadmissible parce qu’agir ainsi revenait à signer l’acte de décès du PDCI. Voici ce qui m’a opposé à mon père, mais, au regard des événements actuels, n’ai-je pas eu raison ? Je suis depuis revenu dans mon parti et je travaille pour recréer son unité.

Konan Bertin Kouadio, dans les locaux de Jeune Afrique, le 29 novembre 2019. © Vincent Fournier pour JA

Konan Bertin Kouadio, dans les locaux de Jeune Afrique, le 29 novembre 2019. © Vincent Fournier pour JA

Bédié et moi, c’est l’arbre et l’écorce : personne ne peut mettre son doigt entre nous

Il n’y aurait donc plus aucune tension entre vous ?

Avant de venir ici [en France, NDLR], j’ai eu son onction. Nous nous voyons quasiment tous les jours. Je lui téléphone tous les jours. C’est plus que jamais chaleureux. Bédié et moi, c’est l’arbre et l’écorce : personne ne peut mettre son doigt entre nous. Ma conviction profonde est que la meilleure façon de réhabiliter Henri Konan Bédié, c’est de l’aider à retrouver le fauteuil qu’il a perdu injustement par les armes.

Souhaitez-vous qu’il soit candidat à la prochaine élection présidentielle, en 2020 ?

Bien sûr, je souhaite qu’il le soit.

Lui-même souhaite-t-il être candidat ?

Je ne peux pas répondre à sa place. Mais je sais une chose : au PDCI, la tradition veut que le président du parti soit son candidat naturel à la présidentielle. Il en a toujours été ainsi.

Ne serait-il pas temps, à l’âge du président Henri Konan Bédié – 85 ans – , de passer la main ?

Le dernier congrès du parti auquel j’ai participé, en 2013, avait pour thème : « Le PDCI : renouveau, rajeunissement, renaissance. » Ce thème, choisi par nos cadres, ne traduit rien d’autre que l’aspiration profonde de nos concitoyens de voir la classe politique se renouveler et se rajeunir. Partout en Côte d’Ivoire, il y a ce besoin de rajeunissement.

Henri Konan Bédié (à g.), Alassane Dramane Ouattara, Laurent Gbagbo. © Montage JA/REUTERS/AP SIPA/ Sylvain Cherkaoui pour JA

Henri Konan Bédié (à g.), Alassane Dramane Ouattara, Laurent Gbagbo. © Montage JA/REUTERS/AP SIPA/ Sylvain Cherkaoui pour JA

Ouattara, Bédié et Gbagbo sont encore sur la scène. Ou bien ils partent ensemble, ou bien ils soldent leurs contentieux

Alors pourquoi dites-vous, dans le même temps, être favorable à une nouvelle candidature de Henri Konan Bédié ?

Parce que la politique est la saine appréciation des réalités du moment. Nous avons à solder le contentieux électoral qui est né des élections mal gérées de 2010. Les trois acteurs – Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo – sont encore sur la scène. Ou bien ils partent ensemble, ou bien ils soldent leurs contentieux pour laisser la paix aux générations futures.

N’estimez vous pas, comme le président Ouattara l’a dit lors de sa tournée dans le Hambol, la semaine dernière, que le temps de sa génération – et donc celui de Henri Konan Bédié – est passé ?

Dans la vie, tout ce qui commence a une fin. Avant eux, nous avons connu Félix Houphouët-Boigny. Et comme lui, Ouattara, Bédié et Gbagbo ne sont pas éternels. C’est un fait. Après, tous les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent.

Ne serait-ce pas plus sage pour ces trois hommes de ne pas se présenter ?

Nous aurions évité cette situation à la Côte d’Ivoire si Ouattara n’avait pas changé de Constitution. L’ancienne fixait à 75 ans l’âge pour se présenter à l’élection présidentielle. Si Ouattara n’avait pas modifié la Constitution, Bédié ne pourrait pas se présenter. Ouattara doit maintenant assumer ce changement.

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Un militant du PDCI, le 19 octobre à Yamoussoukro. © Vincent Duhem pour @Jeune Afrique

Un militant du PDCI, le 19 octobre à Yamoussoukro. © Vincent Duhem pour @Jeune Afrique

Un troisième mandat de Ouattara légitimerait forcément une candidature de Bédié

Ne craignez vous pas qu’une nouvelle bataille entre ces trois hommes mène encore à des troubles dans le pays, voire à une nouvelle crise électorale ?

Notre souhait est de ne pas en arriver là. Félix Houphouët-Boigny n’est pas mort avec le génie ivoirien. Le génie ivoirien, chacun de nous l’a en lui. Je ne suis pas pessimiste, j’espère que tous les trois trouveront en eux les ressources nécessaires pour éviter une nouvelle crise à la Côte d’Ivoire.

Quelle sera l’attitude du PDCI si Alassane Ouattara annonce qu’il brigue un troisième mandat ?

Vous voyez bien ce que provoquent les troisièmes mandats sur le continent. Nous ne sommes plus à l’heure des troisièmes mandats. Cela poserait un gros problème à la Côte d’Ivoire. Ensuite, un troisième mandat de Ouattara légitimerait forcément une candidature de Bédié. S’il se présente à un troisième mandat, le meilleur candidat pour le battre sera Henri Konan Bédié.

Henri Konan Bédié a récemment fait polémique en déclarant que le RHDP était « allé chercher tous les Maliens » à la sortie d’une mosquée pour garnir les rangs de son meeting à Paris, en novembre. Quelle est votre réaction à ses propos ?

C’est cette idée rampante de l’ivoirité qui créée la polémique. L’ivoirité a causé bien trop de torts à la Côte d’Ivoire. Notre peuple est mosaïque. Houphouët l’a voulu comme un melting pot. Il a ouvert nos frontières.

Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a un destin qu’elle doit assumer. C’est une terre d’hospitalité et une terre d’espérance. Nous avons un brassage, nous devons l’assumer. Ce n’est pas moi, l’Houphouëtiste convaincu, qui vais m’opposer à ça.

Mais était-ce une erreur de dire ça ? Henri Konan Bédié est régulièrement accusé de tenir de tels propos xénophobes…

Sous cet angle, oui. Mais je ne pense pas que Bédié l’ai dit pour catégoriser les Ivoiriens ou narguer les Maliens. Vous dites qu’on l’accuse régulièrement de propos xénophobes, mais de quoi a-t-il parlé ? Il a évoqué une fois le cas des orpailleurs clandestins armés. C’est une réalité. Dès que Bédié met le doigt sur des problèmes qui minent notre société, cela soulève des polémiques.

Plusieurs milliers de personnes étaient présentes au meeting commun FPI-PDCI, samedi 14 septembre 2019 à Abidjan. © Anna Sylvestre-Treiner pour Jeune Afrique

Plusieurs milliers de personnes étaient présentes au meeting commun FPI-PDCI, samedi 14 septembre 2019 à Abidjan. © Anna Sylvestre-Treiner pour Jeune Afrique

Je crains fort que nous soyons en train de réunir les ingrédients d’une crise qui s’apparente à celle que nous avons déjà connu

La Commission électorale indépendante est très contestée par l’opposition. Le PDCI est-il prêt à discuter de sa composition avec le gouvernement ?

Le PDCI est un parti de dialogue. Nous savons que la CEI actuelle, si elle n’est pas modifiée, peut être source de troubles. C’est seulement par le dialogue que nous pouvons régler ces problèmes. Nous somme donc prêt à évoquer cette question. Il faut qu’on en discute.

Pensez-vous que cette CEI peut organiser les élections sereinement en 2020 ?

Elle est déjà suspectée d’être une CEI aux ordres. Dans un match, il est difficile que les joueurs ne contestent pas les décisions de l’arbitre si celui-ci n’est pas neutre.

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Comment faire pour sortir de l’impasse ?

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je crains fort que nous soyons en train de réunir les ingrédients d’une crise qui s’apparente à celle que nous avons déjà connu. C’est pourquoi j’ai toujours conseillé le dialogue et la modération.

Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. © Montage JA

Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. © Montage JA

Le PDCI ne peut plus gagner seul les élections en Côte d’Ivoire. Il a forcément besoin d’alliés

Où en sont vos projets d’alliances avec les autres partis d’opposition ?

Les choses vont dans le bon sens. Lors du grand meeting tenu à Yamoussoukro fin octobre, le PDCI, seul, sans le soutien de personne, a sorti tout le monde que vous avez vu.

Il faut travailler à redonner une âme au PDCI et lui redonner sa force d’antan. Faire en sorte qu’il redevienne le premier parti de Côte d’Ivoire. S’il veut peser sur l’échiquier politique national, le PDCI doit exister.

Je me battrai pour lui redonner vie et en faire un parti qui se fasse respecter par son poids et sa présence sur l’ensemble du territoire.

Mais cela doit-il passer par des alliances, et notamment avec le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo ?

Le PDCI ne peut plus gagner seul les élections en Côte d’Ivoire. Il a forcément besoin d’alliés. Si nous revenons au scénario de 2010, nous nous rendons compte que le pouvoir ivoirien tient sur trois pieds : le PDCI, le RDR et le FPI. Quand vous avez deux pieds ensemble, ils entrent au palais. Si le PDCI et le FPI se mettent ensemble, le RDR n’a aucune chance.

Faut-il faire rapidement concrétiser cette alliance avec le FPI ?

Oui. J’ai été le premier à conseiller cette alliance. Je veux rester cohérent jusqu’au bout.

Quid de Guillaume Soro, qui a déjà annoncé qu’il serait candidat en 2020 ?

Nous sommes sur un chemin, il ne reste plus qu’à avancer. Mais j’observe déjà qu’il est dans la plateforme du président Bédié.