Société

Rupture du contrat avec Lagardère – Vincent Chaudel : « La CAF a forcément un plan B »

Fondateur de l’Observatoire du sport business, le Français Vincent Chaudel revient sur la rupture par la Confédération africaine de football (CAF) du contrat médias et marketing qui liait cette dernière à Lagardère. Pour ce spécialiste, l’instance n’a pas agi sans avoir préparé ses arrières.

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Mis à jour le 22 novembre 2019 à 19:18

Ahmad Ahmad, président de la Confédération africaine de football (CAF). © YouTube/FRANCE 24 English

Jeudi soir, le comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF), réuni au Caire (Égypte), a confirmé la résiliation du contrat avec l’agence Lagardère Sports. D’un montant d’un milliard de dollars (906 millions d’euros), celui-ci, signé en 2017 et qui devait s’étirer jusqu’en 2028, prévoyait la commercialisation des droits médias et marketing des tournois organisés par la CAF, dont la Coupe d’Afrique des nations (CAN), le Championnat d’Afrique des nations (CHAN), la Ligue des champions ou encore la Coupe de la confédération.

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Il avait été conclu par le Camerounais Issa Hayatou, prédécesseur à la tête de la CAF du Malgache Ahmad Ahmad qui, lui, considère cet accord nuisible au football africain. Lagardère conteste donc une rupture « unilatérale », « illégale, abusive et non fondée » de la part de l’instance panafricaine. Mais cette dernière se retranche derrière le verdict de l’Autorité de la concurrence égyptienne (ECA), qui avait prononcé la nullité du contrat, considérant qu’aucun appel d’offres n’avait été lancé.

Jeune Afrique : Que vous inspire la décision de la CAF de casser son contrat avec Lagardère ?

Vincent Chaudel : Il faut évidemment s’attendre à des conséquences juridiques et économiques. Ce qui me semble évident, c’est que l’Égypte est en train de reprendre la main sur le football africain, après avoir perdu de son influence. Il y a un an, la CAN 2019 était retirée à la dernière minute au Cameroun, avant de lui être confiée.

Lagardère semble déterminé à aller jusqu’au bout pour défendre ses droits, et si la CAF est condamnée, cela pourrait lui coûter assez cher financièrement

La CAF a expliqué s’être rangée derrière une décision de la justice égyptienne pour rompre le contrat qui la liait avec Lagardère. On a laissé passer la CAN 2019, car on avait besoin de Lagardère pour la production des matchs. La prochaine édition est dans deux ans. Cela laisse du temps. D’ici là, il y aura le Championnat d’Afrique des nations (CHAN) au Cameroun (du 4 au 25 avril 2020), avec des enjeux moindres.

Il ne faut pas être naïf : si la CAF a décidé de rompre avec Lagardère, c’est qu’il y a un plan B derrière. Ou alors, ce serait vraiment très surprenant que ce ne soit pas le cas. Car Lagardère semble déterminé à aller jusqu’au bout pour défendre ses droits, et si la CAF est condamnée, cela pourrait lui coûter assez cher financièrement…

Le nom des chinois de Wanda Group, via leur filiale suisse Infront Sport & Medias, revient avec insistance. Qu’en est-il, selon vous ?

C’est une hypothèse très solide. La Chine est un pays qui fonctionne avec une économie planifiée. Et quand Pékin décide d’agir dans un sens, au niveau étatique, il met les choses en ordre de bataille et avance très vite.

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On voit bien que les Chinois ont fait du football un objectif, notamment en faisant venir des stars dans leur championnat, souvent payées très cher. Ils ont investi dans des clubs européens, financé des académies. En Afrique, ils ont construit des stades, un de leurs groupes (Startimes) diffuse certains championnats locaux, et ils sont également présents dans le domaine du marketing.

Wanda Group dispose de moyens conséquents. Si la CAF a cassé l’accord avec Lagardère, c’est que l’offre du futur repreneur est conséquente. La CAF n’a pas fait cela pour un contrat supérieur de 10 ou 20 %. Il faut peut-être même s’attendre au double.

Vincent Chaudel, fondateur de l’Observatoire du sport business. © Twitter

Vincent Chaudel, fondateur de l’Observatoire du sport business. © Twitter

Certains voient la main de la Fifa derrière cette rupture de contrat. Qu’en pensez-vous ?

Je n’en suis pas convaincu, mais peut-être que l’avenir validera cette hypothèse. Il n’est certes pas impossible que cette affaire arrange la Fifa, laquelle a peut-être donné son accord à la CAF quand cette dernière a annoncé sa volonté de rompre avec Lagardère.

La Fifa a besoin de la CAF. Le principal sujet pour elle, c’est le rapport de force économique avec l’UEFA. Prenez l’exemple du Championnat du monde des clubs, qui a été réformé, puisqu’à partir de 2021, il se jouera à vingt-quatre, avec une forte majorité d’écuries européennes. Ce nouveau calendrier pose d’abord problème à l’UEFA, moins aux autres continents. La Fifa a donc intérêt à bénéficier du soutien de la CAF.

À part le chinois Wanda, qui pourrait prétendre succéder à Lagardère ?

Il y aura un appel d’offres. Vu les sommes qui seront en jeu, hormis la Chine, on pourrait penser aux pays du Golfe Persique. Ils disposent également de gros moyens, mais ils n’ont pas cette capacité qui caractérise les Chinois de se mettre en ordre de bataille pour avancer très vite.

Peut-on craindre, pour les télévisions africaines, une augmentation du prix des droits pour l’acquisition des images ?

Cela va dépendre du montant du nouveau contrat. La plupart des télés africaines ne disposent pas de gros moyens. La CAF devra en tenir compte, et agir au mieux pour les intérêts du foot africain. Quand elle a cassé le contrat avec Lagardère, je doute qu’elle ait consulté tous les pays du continent.

On peut imaginer qu’à l’avenir, des accords soient conclus avec des géants comme Facebook ou Amazon

On peut aussi imaginer qu’à l’avenir, des accords soient conclus avec des géants comme Facebook, très présent en Afrique, et qui retransmet déjà certaines disciplines sportives, ou bien Amazon, si ceux-ci décident d’investir dans le football.

Avez-vous le sentiment que les ressources générées par l’augmentation du prix des droits de diffusion ont beaucoup profité au football africain ?

Les choses progressent, mais pas assez vite. Nous évoquions le contrat avec Lagardère. Son montant, sur onze ans, était d’un milliard de dollars. C’est certes une somme intéressante. Mais elle correspond aux droits pour la Ligue 1 française à partir de la saison 2020-2021. Le football africain n’est pas encore vraiment bankable.

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Évidemment, il y a eu des avancées : certains championnats sont vraiment structurés, professionnels, quand d’autres se rapprochent du professionnalisme. Mais il y a encore beaucoup à faire. Un règlement de la Fifa a interdit le transfert des joueurs mineurs en Europe. Très bien. Mais encore faut-il que ces jeunes joueurs disposent de bonnes conditions de formation. Car s’ils arrivent en Europe une fois majeurs, mais sans avoir reçu une vraie formation, le retard sera difficile, voire impossible à combler.

Si le futur contrat signé par la CAF est plus important que celui conclu avec Lagardère, il faudra que cet argent profite au football africain…