L’ancien chef du gouvernement Domingos Simões Pereira, dit DSP, espère tenir sa revanche. Il y a plus de quatre ans, en août 2015, son limogeage par José Mário Vaz, chef de l’État sortant, précipitait le pays dans une crise institutionnelle, sur fond de brouille politique entre les deux rivaux.
Depuis, une valse de Premiers ministres et d’équipes gouvernementales lui a succédé, sans qu’une issue ne soit trouvée. La victoire aux législatives du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), l’ex-formation unique dirigée par DSP, n’y a rien changé. Ces derniers mois, José Mário Vaz, dit Jomav, candidat indépendant à un deuxième mandat, avait refusé de nommer son rival à la primature.
DSP, 56 ans, a donc changé de stratégie. Cette fois, il a décidé de se porter lui-même candidat à la présidence. Programme, ambiance de campagne, climat de tensions : entre deux meetings, DSP a confié à Jeune Afrique ses ambitions et ses craintes. Tout en décochant quelques flèches à ses concurrents.
Jeune Afrique : La Cedeao, médiatrice dans la crise bissau-guinénne, est accusée « d’ingérence » par plusieurs de vos adversaires, dont José Mário Vaz et Umaro Sissoco Embaló. Quel regard portez-vous sur ces critiques, qui trouvent un certain écho dans le pays ?
Domingos Simões Pereira : Ils donnent l’impression de critiquer la Cedeao lorsque cela les arrange, et quand l’institution les gêne. Les candidats qui remettent celle-ci en cause aujourd’hui, notamment le président de la République, sont pourtant protégés par les soldats de l’Ecomib [la force d’interposition de l’organisation ouest-africaine]. S’ils dénoncent sa présence, pourquoi acceptent-ils sa protection ?
Il faut aussi rappeler que parmi les candidats qui critiquent actuellement la Cedeao, certains sont devenus Premiers ministres lors de cette médiation [Umaro Sissoco Embaló a ainsi été chef du gouvernement de novembre 2016 jusqu’à sa démission, en janvier 2018]. Mais maintenant, ils trouvent que l’organisation, dont nous sommes membres de plein droit, porte atteinte à notre souveraineté. Ils cherchent tout simplement à détourner l’attention de la population bissau-guinéenne.
Pour résumer, vous dîtes donc que les critiques de vos adversaires sont hypocrites ?
Complètement.
Fin octobre, le président Vaz a tenté de démettre le gouvernement d’Aristides Gomes, chargé d’organiser l’élection présidentielle. La communauté internationale avait alors exprimé des craintes sur la tenue du scrutin. Pensez-vous que ce dernier se déroulera dans de bonnes conditions ?
Toutes les conditions sont réunies pour que nous allions aux urnes ce 24 novembre. Tout le monde a compris qu’il s’agissait de manœuvres déployées par un candidat, quand bien même est-il président, qui n’est pas prêt à se soumettre à la volonté populaire. Nous ne pouvons accepter qu’un candidat nous impose ses intérêts, surtout lorsque ces derniers vont à l’encontre de ceux du pays.

Le président José Mário Vaz en 2014 (image d'illustration). © Sylvain CHERKAOUI pour Jeune Afrique
La rupture est totale entre Jomav et le PAIGC, qui l’avait pourtant porté au pouvoir en 2014, avant de l’exclure suite à votre limogeage. Partagez-vous l’avis des responsables de votre formation qui accusent José Mario Vaz d’avoir consacré son mandat à affaiblir le PAIGC ?
Il a passé les cinq années de sa présidence à œuvrer contre le PAIGC. Malgré l’importance de sa fonction et sa responsabilité, en tant que président de la République, d’assurer la stabilité du pays, il s’est seulement consacré à se battre contre ce parti.
Avec succès ?
Je pense au contraire que cela a rendu le PAIGC plus fort et plus organisé. Toutes nos faiblesses ont été mises sur la table, ce qui nous a permis de répondre à tous ces défis. Nous sommes maintenant plus structurés, concentrés et disciplinés, ce qui nous a longtemps manqué. Nous avons remporté les législatives de mars, et le PAIGC est prêt pour la présidentielle.
Il est souvent reproché à la Constitution d’être ambiguë quant à la répartition des rôles entre le président et le chef du gouvernement. Si vous arrivez au pouvoir, comptez-vous la modifier ?
La Constitution manque de cohérence par rapport à notre système de gouvernement et aux pouvoirs qui sont attribués à chaque organe de souveraineté. Nous sommes dans un régime qualifié de semi-présidentiel d’inclinaison parlementaire. Cela veut dire que c’est le Premier ministre qui gouverne et qui forme le gouvernement.
Je suis favorable à l’ouverture d’un débat national pour que les Bissau-Guinéens puissent dire s’ils veulent changer ou non de Constitution
Mais dans les textes, des dispositifs donnent au chef de l’État la compétence de présider le conseil des ministres quand il le souhaite. Ceux qui voudraient en faire une interprétation abusive pourraient être tentés d’en déduire que le président peut aussi fixer l’agenda de celui-ci. Il faut donc rendre la Constitution plus cohérente, et il y a un consensus sur l’importance de clarifier les points qui posent problème.
Dans un deuxième temps, j’estime que le peuple doit aussi dire s’il souhaite ou non changer de Constitution et de système de gouvernement. Si je suis élu, je suis favorable à l’ouverture d’un débat national pour que les Bissau-Guinéens, en toute liberté, puissent s’exprimer sur ces sujets.
Sous la forme d’un référendum ?
La Constitution actuelle ne prévoit pas cette possibilité. C’est pour cette raison qu’il faut d’abord, dans un premier temps, corriger le texte par une révision très ponctuelle, afin que le système semi-présidentiel soit respecté. Dans cette petite modification, peut-être sera-t-il aussi opportun d’introduire la possibilité, pour les Bissau-Guinéens, de s’exprimer par le biais d’une consultation populaire, d’un référendum, ce qui n’est aujourd’hui pas prévu.
Le climat s’est tendu ces dernières semaines à Bissau. Craignez-vous pour votre sécurité ?
Pas plus que la majorité des Bissau-Guinéens. Je me déplace partout, je maintiens les étapes de ma campagne en toute liberté, mais c’est vrai que des soldats de l’Ecomib m’accompagnent.
Comment analysez-vous l’attitude de l’armée, qui semble cette fois-ci rester à l’écart ?
Notre armée s’est bien comportée jusqu’à présent. Les militaires ont compris qu’il s’agit d’un processus politique dans lequel leur corps n’est pas invité à s’immiscer. Les Bissau-Guinéens savent qu’il n’y a pas d’autres moyens que d’aller aux urnes.
Par ailleurs, la communauté internationale est très mobilisée et déterminée pour nous accompagner dans cette démarche. Elle a plusieurs fois rappelé que tout comportement incorrect serait sanctionné.
Quel adversaire craignez-vous le plus ?
Très honnêtement, ma plus grande crainte est que les militants du PAIGC ne s’impliquent pas suffisamment, en pensant que nous avons déjà gagné l’élection.
Mon deuxième adversaire, c’est la rhétorique raciale et religieuse. J’ai choisi de parler de ma vision, du futur du pays, pour faire renaître notre espoir. D’autres candidats préfèrent parler de différences raciales et religieuses, d’évoquer des sentiments d’appartenances locales. Nous verrons dans les urnes à quel point ces discours ont pesé.