Parmi les cinq prétendants à l’élection présidentielle du 12 décembre, aucun n’émane de la société civile ou des rangs de la révolution en cours depuis le 22 février. Le point en commun entre les différents postulants ? Ils sont tous liés, de près ou de loin, à Abdelaziz Bouteflika, président déchu après vingt ans de pouvoir. En face, la rue, pour qui ces candidatures sont destinées à maintenir le statu quo, maintient la pression pour le départ de toutes les figures de l’ancien système.
Dans la liste, figurent quatre anciens ministres. Trois d’entre eux ont travaillé sous l’autorité de l’ancien chef de l’État : Ali Benflis, en tant que directeur de cabinet à la présidence puis chef du gouvernement ; Abdelmadjid Tebboune, qui fut plusieurs fois ministre puis Premier ministre ; et Azzedine Mihoubi, ministre de la Culture. Le quatrième candidat est Abdelkader Bengrina, ex-ministre du Tourisme (1997-1999) sous la présidence de Liamine Zéroual et ancien député d’Alger, issu d’un parti qui a soutenu Abdelaziz Bouteflika. Le cinquième, Abdelaziz Belaïd, a quant à lui fait partie d’organisations de jeunesse qui ont aussi soutenu l’ancien président. Purs produits du régime politique en place, les deux premiers sont pressentis favoris à ce scrutin, pourtant largement contesté par la population.
Le mouvement populaire exclut toute élection d’un successeur à Abdelaziz Bouteflika sans le départ du système au pouvoir depuis l’indépendance, en 1962, et la libération des détenus d’opinion. Chaque vendredi, les Algériens descendent dans la rue pour renouveler leurs exigences, défiant le climat de répression. Dans ce contexte, l’élection du 12 décembre est-elle encore possible ? La campagne électorale qui débute le 17 novembre s’annonce compliquée pour les cinq candidats dont l’activité publique, partisane, est quasi-inexistante pour le moment. Le 3 novembre, le postulant Ali Benflis a d’ailleurs été hué à sa sortie d’un restaurant à Baba Hassen, à l’ouest d’Alger, par des habitants du quartier avec qui il tentait initialement d’instaurer un dialogue. Un incident qui donne le ton de la future campagne électorale.
Ali Benflis, troisième tentative

Ali Benflis, chef du gouvernement de 2000 à 2003. © Louiza Ammi pour JA
Si la liste des candidats est officialisée par le Conseil constitutionnel, il s’agirait de la troisième tentative pour Ali Benflis lors d’un scrutin présidentiel. Juge puis procureur général, il a été ministre de la Justice dans trois gouvernements successifs (Merbah, Ghozali et Hamrouche). Il devient ensuite directeur de campagne de Bouteflika, en 1999, puis son directeur de cabinet et chef du gouvernement, de 2000 à 2003.
Il se présente au scrutin présidentiel de 2004 contre son mentor, reportant 4 % des suffrages. En 2014, même si son score progresse (12 %), Ali Benflis joue encore une fois un rôle de lièvre en donnant l’illusion d’une course démocratique à la présidence. Cette fois-ci, il dénonce la fraude électorale dans son Livre blanc et décide, en 2015, de créer son parti Talaie El Hourriet, formation politique qui revendique son appartenance à l’opposition.
Son entourage pense que son programme lui attribuera la légitimité que le peuple lui refuse
Alors qu’il était impliqué dans les dynamiques de la société civile accompagnant la révolution, Benflis reculera sur ses préalables à la tenue de la présidentielle du 12 décembre par sa fameuse phrase « les horizons semblent se dégager ». En pleine campagne d’arrestations d’activistes politiques et de manifestants, il annonce sa candidature.
Son entourage pense que son programme lui attribuera la légitimité que le peuple lui refuse. Des promesses électorales ambitieuses : libération des détenus d’opinion, droit de manifester, levée de l’embargo sur la capitale, ainsi que la désignation d’un gouvernement en rupture avec l’ère Bouteflika. Ali Benflis se présente ainsi comme l’homme providentiel de sortie de crise.
Abdelmadjid Tebboune, proche de Gaïd Salah

L'ex-Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle en Algérie, Abdelmadjid Tebboune, le 3 avril 2017 à Alger (image d'illustration). © Sidali Djarboub/AP/SIPA
Plusieurs fois wali (préfet), Abdelmadjid Tebboune a pour sa part été à la tête de plusieurs départements ministériels (collectivités locales, culture, habitat, commerce). En 2007, il est cité, lors du procès de Khalifa Bank, dans un grand scandale financier. Plusieurs directeurs d’offices d’habitat avaient révélé que des correspondances ministérielles encourageaient les dépôts de leurs liquidités au niveau de cette banque privée. La Cour suprême a alors ouvert une instruction pour « complicité dans la dilapidation et détournement des deniers publics », mais Tebboune ne sera pas inculpé.
Réputé proche du vice-ministre de la Défense Gaïd Salah, l’homme politique est nommé Premier ministre en mai 2017. Il restera à ce poste uniquement trois mois pour avoir pris la tête d’une campagne anti-corruption contre les hommes d’affaires proches du clan présidentiel.
Le candidat racontera quelques années plus tard que la décision de son limogeage lui a été communiquée par son successeur Ahmed Ouyahia – actuellement en prison – en tant que directeur du cabinet à la présidence. Il révélera aussi que des instructions étaient adressées aux ministres par Saïd Bouteflika à son insu. La Banque d’Algérie et les Douanes ont été interdites de travailler avec lui.
Sans ancrage partisan, Tebboune a remporté le premier score des signatures d’électeurs indispensables à la validation de sa candidature par l’Autorité nationale indépendante des élections : plus de 100 000 signatures, alors que le nombre exigé est de 50 000. Il aime répéter qu’il est « une victime du système et des oligarques proches du clan Bouteflika ».
Abdelkader Bengrina, ancien ministre du Tourisme

Abdelkader Bengrina © Facebook
Abdelkader Bengrina, 58 ans, originaire du Sud de l’Algérie, a été ministre du Tourisme de 1997 à 1999 dans un gouvernement de coalition, intégré par son ancien parti, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), principale formation politique islamiste dans le pays. Il mènera aussi la liste d’Alger du MSP lors des législatives de 2002.
En 2014, son parti El-Binaa El-Watani est agrée. Bengrina décide de se présenter pour le scrutin du 18 avril 2019, avorté sous la pression du soulèvement populaire. Il explique sa candidature pour la présidentielle de décembre prochain par sa détermination de « redonner confiance au peuple en ses institutions » et « éradiquer la corruption ».
Je suis le prochain président
Louant par ailleurs le « rôle de l’institution militaire dans l’accompagnement du Hirak et le dialogue national », il annonce une campagne électorale autour du slogan « Une Algérie forte fidèle aux valeurs de novembre 1954 ». « Je suis le prochain président », certifie-t-il.
Azzedine Mihoubi, chef d’un parti pro-Bouteflika

L'ex-ministre de la Culture algérien Azzedine Mihoubi. © YouTube/Berbère Télévision
Poète et journaliste, Azzedine Mihoubi, 60 ans, dirige depuis juillet 2019 le Rassemblement national démocratique (RND), membre de la coalition ayant soutenu Abdelalaziz Bouteflika durant ses quatre mandats. Il a également été son ministre de la Culture de 2015 à 2019. Lors de la déclaration de sa candidature, il a promis de s’engager dans la bataille électorale avec un « programme réaliste et pratique » avec un « discours direct envers les citoyens ».
Convaincu que la « situation actuelle mènera à un blocage à tous les niveaux », il pense que le prochain scrutin présidentiel est tributaire d’une forte participation citoyenne. Se définissant comme un candidat « clean », Azzedine Mihoubi est le seul à avoir rendu publique sa déclaration de patrimoine, qui doit figurer dans le dossier remise à l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie).
Abdelaziz Belaïd, ancien cadre du FLN

Abdelaziz Belaïd © Facebook
Abdelaziz Belaïd, le plus jeune des candidats, est un ancien membre du comité central du Front de libération nationale (FLN). De 1997 jusqu’à 2007, il préside aussi l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), organisation qui évoluait dans l’ombre du régime. Son soutien à Ali Benflis lors du scrutin présidentiel de 2004 lui a coûté sa fonction au sein de cette formation.
À la suite d’un conflit avec le FLN, il fonde, en février 2012, avec quelques-uns de ses proches, le Front El Moustakbal, un micro-parti proche du pouvoir. Candidat à l’élection présidentielle de 2014, il termine à la troisième place avec 3 % des suffrages exprimés.
Malgré cette défaite, Abdelaziz Belaïd retente l’aventure à l’occasion des scrutins présidentiels avortés des 18 avril et 4 juillet, ignorant l’opposition des manifestants, refusant que l’élection ne se déroule sous la houlette du système en place. Convaincu que les urnes sont « la seule solution à la crise politique », il compte de son côté jouer « la carte de la jeunesse » en présentant un programme essentiellement orienté vers cette direction.