Sur cette ancienne piste, blottie au cœur des reliefs montagneux qui marquent le centre-nord du pays, les travaux n’ont pas été aisés. Après plusieurs reports ces dernières semaines, le président djiboutien Ismail Omar Guelleh, accompagné de nombreux officiels des deux pays, inaugure ce mercredi 6 novembre dans le village de Dorra (à 65 kilomètres à vol d’oiseau de la frontière érythréenne) le corridor “Nord”, c’est-à-dire les 112 kilomètres de route reliant la “ville blanche” de Tadjourah (deuxième ville du pays) à celle de Balho, à la frontière éthiopienne. La route rejoint ensuite Mekele, capitale de la région du Tigré, également au nord de l’Éthiopie.
Financée à hauteur de 156 millions de dollars par le Fonds koweïtien pour le développement économique arabe (FKDEA, qui avait déjà financé la route entre Tadjourah et Obock), construite par l’entreprise koweïtienne Al-Kharafi, la nouvelle route baptisée officiellement “Cheikh Sabah”, du nom de l’émir du petit État pétrolier, revêt un caractère stratégique autant pour l’Éthiopie que pour Djibouti, et le nord de chacun de ces deux pays.
Voulue par l’ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi (décédé en 2012), la route ne devait évacuer au départ que les importantes réserves de potasse de la région éthiopienne du Tigré et du pays afar, près de la frontière entre les deux pays, vers le port de Tadjourah. Mais le doublement du trafic éthiopien chaque année, du fait de la forte demande en biens de consommation de ce marché de 105 millions d’habitants, a redessiné les plans.
Une route devenue nécessité
La voie a ainsi été redimensionnée pour accueillir des camions de 60 tonnes. Partiellement fonctionnel, le port de Tadjourah, où le négociant Vitol décharge déjà du gaz naturel liquéfié, sera polyvalent et la route transportera toutes sortes de marchandises.
Car jusqu’ici les marchandises destinées au nord de l’Éthiopie devaient d’abord transiter par le port de Djibouti puis par un port sec près d’Addis Abeba, via la Route nationale 1 Djibouti-Galafi (passant par Dikhil, dans le sud). Cet unique corridor, qui est généralement très embouteillé et est plus long de 95 kilomètres, doit être réhabilité. Des fonds japonais et saoudiens ont été mobilisés à cet effet.
C’est une façon aussi pour Djibouti de désenclaver le nord de son territoire
Or en passant par le port djiboutien de Tadjourah, ces marchandises désengorgeront par conséquent le port de la capitale et seront ainsi plus vite acheminées de l’autre côté de la frontière, pour un coût de transport moindre. Ouverte en 2017, la ligne ferroviaire Djibouti-Addis Abeba ne dessert pas ces villes du nord.
Un troisième corridor en projet
Côté djiboutien, le corridor routier, supervisé en partie par l’Autorité des ports et zones franches (DPFZA), s’inscrit par ailleurs dans une stratégie nationale de développement de pôles régionaux, autour des villes de Tadjourah et d’Obock. “C’est une façon aussi pour Djibouti de désenclaver le nord de son territoire, resté à l’écart de la croissance, et de créer et stimuler une activité commerciale sur l’ensemble des villes du corridor” , souligne un bon connaisseur. Djibouti ne compte pas s’arrêter là. Un troisième corridor est actuellement en cours de construction au sud du pays, vers Galilée et la ville éthiopienne de Dire Dawa.
Djibouti, qui traite depuis 1998 (date du début de la guerre Éthiopie-Érythrée) 90 % du fret éthiopien (ce qui représente 80 % de son PIB) était pendant longtemps en position de monopole logistique. Cette nouvelle route lui permet de confirmer son avance en matière d’infrastructures.
Mais la réouverture des frontières entre l’Éthiopie et l’Érythrée en 2018 et l’offensive du Somaliland voisin offrent potentiellement de nouveaux débouchés logistiques à Addis Abeba, avec la perspective de voir Djibouti en concurrence avec d’autres ports (Assab et Massawa en Érytrée, Berbera au Somaliland).