Économie

[Tribune] L’accord de libre-échange africain (Zleca), prélude à une Eurafrique bancaire ?

Malgré les nombreux obstacles sur ce chemin, l’Europe et l’Afrique doivent avancer vers une union bancaire « eurafricaine », continuation logique de l’accord portant création de la Zleca.

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Mis à jour le 5 novembre 2019 à 13:40

Façade de la banque Orabank, Abidjan, Côte d’Ivoire. Mars 2016 © Jacques Torregano pour JA

Cette tribune a été co-écrite par Kawtar Raji, avocate marocaine, Emerand Tchouata, juriste camerounais, et Alain Gauvin, avocat français basé à Casablanca et en charge des bureaux Maroc et Algérie de LPA-CGR.

Le lancement, en juillet, lors du Sommet de l’UA, de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), invite à considérer l’idée d’un marché bancaire afro-européen. Bien sûr, les difficultés qui s’opposent à la possibilité même de concevoir un grand marché bancaire s’étendant de Pretoria à Helsinki sont nombreuses.

Mais, si dresser l’inventaire des obstacles à la construction d’un tel marché désole, énumérer quelques fortes raisons d’y croire console. L’évidence conduit d’abord à écarter l’idée d’un grand marché bancaire et financier afro-européen unique, car de quoi parlons-nous ? L’Eurafrique bancaire consisterait en une législation pour toute l’Afrique et l’Europe, dont le respect serait assuré par une seule et même autorité bancaire.

Aucun des États africains n’est membre du Comité de Bâle

Cet ensemble donnerait aussi le droit à toute banque de tout État membre de l’Eurafrique d’exercer son activité sur le territoire de tout autre État membre. Au sein même de l’Afrique, la disparité des systèmes bancaires est telle qu’on ne voit pas comment pourrait se dessiner le préambule d’un marché unique animé par des établissements capables de fournir des services de qualité sous le contrôle d’une autorité de tutelle continentale.

Règles prudentielles et chevauchement des communautés régionales

Comment l’Europe, qui a digéré en moins de dix ans Bâle II et Bâle III, pourrait-elle se marier à l’Afrique, totalement exclue du processus d’élaboration de ces normes prudentielles ? Aucun des États africains n’est membre du Comité de Bâle, et le faible taux de bancarisation illustre le caractère inadapté de normes standardisées, plus technocratiques que démocratiques.

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On peut par ailleurs s’étonner de ce que la banque ne figure pas parmi les douze « domaines d’intérêt communs pour les états membres » énoncés par l’Acte constitutif de l’UA ; et l’accord sur la Zleca, qui fixe parmi les « Objectifs généraux » la « circulation des capitaux », ne consacre aucun développement au secteur bancaire.

Avant même d’esquisser l’ébauche d’une Eurafrique bancaire, comment réussir l’intégration bancaire en Afrique où se chevauchent pas moins de sept communautés, zones ou régions économiques, lesquelles se recoupent, imparfaitement, avec l’espace Ohada, où règne la « concurrence des espaces juridiques », où les systèmes de paiement sont d’efficacité inégale, et où les monopoles bancaires demeurent régionaux, voire nationaux ?

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Néanmoins, deux indices donnent à penser que l’UE et l’UA pourraient donner naissance à une Eurafrique bancaire. D’abord, ces deux Unions partagent une communauté d’objectifs : assurer l’intégration politique et socio-économique ; garantir la libre-circulation des personnes, des biens et des capitaux, et instaurer une union économique et monétaire.

L’expertise africaine du digital

Ensuite, les institutions respectives des deux Unions semblent avoir été bâties pour, un jour, se confondre : les fondateurs de l’UA ont suivi le même chemin que ceux de l’UE. Les deux se sont pourvues d’un organe représentant les chefs d’État et de gouvernement, organe ministériel, organe administratif, organe de représentation des peuples. Au demeurant, nous partageons le constat de Dominique Strauss-Kahn qui regrette « qu’aucune relation organisée ne relie [les pays CFA] à la Banque centrale européenne et aux pays de la zone euro ».

On ne peut vouloir une Afrique forte si une partie des États qui la composent a recours à une monnaie issue du temps des colonies et battue à Chamalières. En 2009, le G8, en décidant, sous l’impulsion du directeur général du FMI de l’époque, de promouvoir la bi-bancarisation des populations immigrées, invite les États d’immigration à autoriser la commercialisation, sur leur sol, de services bancaires par, en particulier, ceux des banques africaines.

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Or, l’UE n’a entrepris aucune réforme d’harmonisation des législations nationales pour permettre à ces dernières d’offrir, sans être inquiétées par les autorités, leurs services aux populations immigrées.

Enfin si l’on ne peut nier l’apport des banques étrangères au développement de leurs homologues africaines, ces dernières pourraient bien inspirer les établissements européens par leur expertise développée dans la banque digitale. Autant de raisons que d’ambitions invitant à rêver de l’Eurafrique.