Politique

Au Bénin, la Constitution est révisée au grand dam de l’opposition

Dans la nuit de jeudi à vendredi, le parlement béninois a voté à l’unanimité des 83 députés de l’Assemblée la modification de la constitution, limitant le nombre de mandats des députés et confirmant la limitation des mandats présidentiels à deux. Mais l’opposition s’alarme notamment de l’instauration du parrainage des candidatures pour l’élection présidentielle.

Réservé aux abonnés
Par - à Cotonou
Mis à jour le 4 novembre 2019 à 15:19

Louis Vlavonou, président du Parlement, a salué « une nouvelle page de l’histoire » du Bénin, lors de la révision de la Constitution. © DR / Assemblée nationale du Bénin

La nouvelle constitution, adoptée en procédure d’urgence ce 1er novembre, crée un « ticket présidentiel » consistant à élire le président de la République au même moment qu’un vice-président, et ce à la majorité absolue des suffrages lors d’un scrutin à deux tours.

À Lire Bénin : le parlement veut voter les réformes électorales « le plus rapidement possible »

Elle supprime la peine de mort, crée la Cour des comptes et pose le principe de la discrimination positive au profit des femmes lors des élections.

Les mandats des députés sont désormais limités, et ce à trois. Les députés qui, pour une raison ou une autre, ont laissé leur place à leur suppléant, ont désormais la possibilité de retrouver leur poste.

La limitation du nombre de mandats du président de la République à deux consécutifs, existant dans la constitution du 11 décembre 1990, a été renforcée : nul ne peut remplir plus de deux mandats présidentiels au cours de sa vie.

2026, triple rendez-vous électoral

De même, il a été retenu l’organisation d’élections générales (présidentielle, législatives et communales) en 2026 : cela implique que le mandat des élus communaux qui seront élus en 2020 va courir jusqu’en 2026 et les députés qui seront élus en 2023 auront un mandat transitoire de trois ans.

À partir de 2021, les candidats à l’élection présidentielle seront soumis à l’application du mécanisme de parrainage de leurs candidatures par d’autres élus.

Une nouvelle page de l’histoire de notre pays

Certains députés ont affirmé que la modification qui vient d’être entérinée n’entraîne pas une « nouvelle constitution », même si certains d’entre eux ont ouvertement préféré que soient utilisés les termes de « nouvelle république ».

C’est « une nouvelle page de l’histoire de notre pays », a déclaré le président du Parlement, Louis Vlavonou, soutenant que la modification a été effectuée dans « l’intérêt supérieur de la nation béninoise » et grâce au « sens de la responsabilité républicaine » des parlementaires.

L’opposition vent debout

C’est un « motif de fierté nationale », a estimé le ministre de la Justice, Séverin Quenum, présent dans l’hémicycle.

La veille du vote, l’opposition a rejeté toute initiative de révision constitutionnelle. L’aile modérée des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), qui a pris part au dialogue politique, alors d’une conférence de presse jeudi dénoncé « la violation de l’esprit du dialogue politique » selon lequel aucune recommandation ne devrait engendrer une retouche de la constitution.

L’aile plus radicale des FCBE, proche de l’ex-président Boni Yayi, accuse la première d’avoir cautionné le « dialogue politique ».

À Lire Bénin : Thomas Boni Yayi face aux « traîtres » au sein des FCBE

« La révision de la constitution contre laquelle ils s’élèvent aujourd’hui en versant des larmes de crocodile est une conséquence directe du « dialogue politique » et ils en sont comptables », souligne un communiqué rendu public jeudi.

À Lire Bénin : le dialogue politique, cheval de Troie d’une réforme constitutionnelle ?

Toujours ce jeudi, les forces de l’opposition réunies dans un front des Forces de la résistance nationale ont également publié un communiqué pour fustiger « cette lamentable et insupportable mascarade » que constitue, pour elles, le dialogue politique dont le but réel est selon le communiqué « une troisième tentative de modification de notre Constitution ».

Les parrainages pour l’élection présidentiel, un coup d’État préparé par le président Talon

Composées principalement des partis de Sébastien Ajavon (Union sociale libérale), de Candide Azannaï (Restaurer l’espoir) et de l’ancien président Nicéphore Soglo, ces forces ont vilipendé la plupart des réformes constitutionnelles, notamment l’introduction d’un parrainage dans la procédure de l’élection présidentielle, qualifiée de « coup d’État préparé par le président Talon ».

« Sans débat national »

Pour ce front de la Résistance nationale, l’organisation des élections générales en 2026 relèverait d’« une vaste escroquerie politique » parce qu’il est « inacceptable » que le parlement « illégitime » issu des législatives d’avril 2019 (boycottées par l’opposition, qui ne siège donc pas au Parlement) reste « en place jusqu’au terme de son mandat en 2023 ».

Même la discrimination positive opérée en faveur des femmes n’est pas suffisante, selon les Forces de la résistance nationale, qui regrette de la voir « confinée dans les seuls couloirs électoraux » et souhaiterait l’étendre aux nominations aux hautes fonctions (au gouvernement, dans les sociétés d’État, au sein de la diplomatie, etc.).

À Cotonou, ce vendredi matin, jour férié du fait de la fête de la Toussaint, nombreux sont les Béninois à confier leur surprise de voir une nouvelle constitution « du jour au lendemain » et « sans débat national ». C’est la première modification de la constitution depuis 1991, après des années de polémique et deux échecs en 2017 et 2018, les votes des 4/5e des députés étant nécessaires pour toute modification de la constitution.

Une procédure polémique

Le politologue Richard Boni Ouorou considère que la « procédure d’urgence » utilisée par les parlementaires est « anticonstitutionnelle » car, selon lui, « ni la constitution ni le règlement intérieur du parlement ne citent l’amendement constitutionnel comme faisant partie des dispositions pouvant faire l’objet d’une procédure d’urgence ».

Avant son entrée en vigueur, la nouvelle constitution fera l’objet d’un contrôle par la Cour constitutionnelle avant d’être promulguée par le président de la République.

Le président Patrice Talon avait annoncé le 25 octobre dernier qu’il ne promulguerait « jamais une modification de la constitution » sans trouver le moyen de « rassurer tout le monde » et surtout de ne pas céder à « la manipulation des fondements de la constitution ».