Politique

Francophonie : Louise Mushikiwabo, bille en tête

Un an après son élection à la tête de la Francophonie, Louise Mushikiwabo veut « moderniser » une organisation qui se débat pour peser dans le jeu diplomatique. Un effort qui n’est pas sans provoquer quelques crispations.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:12

La secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo à Monaco, lors du 108e Conseil permanent de l’organisation, le 29 octobre 2019. En arrière-plan, son ex-directeur de cabinet, le français Nicolas Groper. © Antoine Jamonneau/OIF

C’était il y a un an tout juste. Face à un parterre de chefs d’État qui l’avaient choisie par consensus, la Rwandaise Louise Mushikiwabo était élue à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) lors du sommet d’Erevan, en octobre 2018. Une victoire arrachée face à sa prédécesseure Michaëlle Jean grâce au soutien remarqué de la France.

Louise Mushikiwabo prenait donc officiellement la tête, en janvier 2019, d’une organisation à l’administration rigide, peinant à exister dans le jeu diplomatique. « Mais que faites-vous, à la Francophonie ? », lui demandent ainsi parfois ses invités, perplexes, lorsqu’elle les reçoit dans son bureau parisien, au siège de l’organisation.

Le 29 octobre, elle présidait à Monaco – qui n’avait pas accueilli une réunion de l’OIF depuis 1999 – le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) – devant les représentants personnels des chefs des États membres, associés et observateurs (54 membres de plein droit, sept membres associés et 27 observateurs). Une rencontre suivie d’une conférence ministérielle (CMF), réunissant la « grande famille francophone », avec 39 ministres et cinq secrétaires d’État et qui avait pour thème « réconcilier l’humanité et la planète ».

Les mauvaises habitudes ont la vie dure

À un an de son élection, Louise Mushikiwabo est bien décidée de faire de cette rencontre un « tournant ». Pendant deux jours, la secrétaire générale et des délégations bien briefées ont donc affirmé avec ferveur l’importance de « moderniser » l’organisation, de la rendre « plus efficace » et de « changer certaines pratiques » pour avoir « plus d’impact ». Avec pour défi de dépoussiérer une institution cinquantenaire, et composée de 88 États aux intérêts souvent divergents, pour ne pas dire contradictoires.

À Lire Francophonie : comment Louise Mushikiwabo compte imposer sa marque à l’OIF

À l’issue de la CMF, les pays se sont toutefois accordés sur certains points visant à recentrer les activités et le budget de l’OIF. Parmi eux : des sommets resserrés et moins protocolaires, ou la possibilité pour la secrétaire générale de nommer elle-même ses représentants au sein des bureaux régionaux de l’organisation.

Une réflexion va également être entamée sur le coût de l’organisation des jeux de la Francophonie – dont la prochaine édition se tiendra en RDC du 23 juillet au 1er août 2021-, ou encore sur le statut des membres observateurs, qui pourraient voir leur responsabilité accrue.

« Imposer sa marque »

Le début d’une petite révolution  ? « Chaque secrétaire général cherche à imposer sa marque, c’est normal. Il faudra voir dans la pratique », tempère le responsable de la Francophonie au sein d’un ministère ouest-africain. « C’est bien beau d’initier des réformes, encore faut-il pouvoir les mener à terme. Les chefs d’État, c’est les chefs d’État, on ne peut rien leur imposer », ajoute-t-il, tout en louant l’approche « anglo-saxonne » de Louise Mushikiwabo, rigoureuse et directive.

La transparence et la bonne gestion sont indispensables

« Nos populations demandent des résultats de plus en plus tangibles. La transparence et la bonne gestion sont indispensables pour avoir plus de résultats » explique la secrétaire générale à Jeune Afrique, confiant être dans « une période d’ajustement ». « C’est un passage obligé pour entrer dans une nouvelle ère. Le travail n’est pas facile car il suppose un certain changement de mentalité », concède-t-elle.

La 36e conférence interministérielle de la Francophonie, le 30 octobre à Monaco. © Antoine Jamonneau/OIF

La 36e conférence interministérielle de la Francophonie, le 30 octobre à Monaco. © Antoine Jamonneau/OIF

Les habitudes ont la vie dure, dit-on. Surtout les mauvaises ? « Il ne s’agit pas simplement de faire plus mais surtout de faire mieux », affirme-t-on dans l’entourage de la secrétaire générale. « Conduire le changement est difficile sur le terrain : il faut faire comprendre aux gens qui travaillent parfois depuis des années sur un programme qu’ils doivent changer de cap. La complexité, c’est de parvenir à embarquer tout le monde », reconnaît un collaborateur.

« Choisir, c’est renoncer »

Le secrétariat entend instaurer une meilleure gestion des ressources, quitte à abandonner certains programmes. « Choisir c’est renoncer. Notre organisation travaille sur énormément de sujets, sur lesquels elle n’a pas les moyens financiers ou humains de faire autre chose que du plaidoyer. À se disperser, nous dispersons aussi nos ressources », justifie le collaborateur de Louise Mushikiwabo.

Certains domaines, comme la santé, pourraient ainsi être mis de côté au profit des nouvelles priorités définies par la secrétaire générale : le numérique, la jeunesse, l’égalité hommes-femmes. Dans cette perspective, certaines questions laissées en suspens, comme la candidature controversée de l’Arabie Saoudite – reportée quelques heures avant l’ouverture du sommet d’Erevan – ne sont plus à l’ordre du jour.

Elle ne connaît pas encore bien l’organisation, mais elle va apprendre à la connaître

Neuf mois après sa prise de fonction, Louise Mushikiwabo semble encore avoir tout à prouver. Certains responsables africains ont toujours du mal à digérer l’élection de la Rwandaise, perçue par certains comme imposée au détriment de la Canadienne Michaëlle Jean.

À Lire Rwanda : la longue, longue marche de Louise Mushikiwabo

« Sans l’aide d’Emmanuel Macron, Louise Mushikiwabo ne serait pas là. Elle a été prise dans un jeu politique qui la dépasse », confie à Jeune Afrique un ministre africain. Et d’ajouter : « Je ne sais pas si elle aura le même culot que sa prédécesseure et si elle saura sortir des griffes de la France. »

Cette irritation constituera-t-elle un frein aux ambitions de la secrétaire générale ? « La politique a ses pesanteurs, ses équilibres qu’il ne faut pas bousculer », prévient ce même ministre. « Pour elle, tout ceci est nouveau, mais pour l’instant, nous faisons du surplace. Elle ne connaît pas encore bien l’organisation, mais elle va apprendre à la connaître. »

« Culture de l’efficacité »

« Cette résistance au changement n’est pas surprenante, mais si elle a été élue par consensus, c’est bien parce qu’elle était la personne appropriée », affirme Olivier Nduhungirehe, secrétaire d’État au ministère rwandais des Affaires étrangères. Face à ses détracteurs, Louise Mushikiwabo peut en effet compter sur le soutien indéfectible de Kigali. Portée par l’aura de son président Paul Kagame, auprès de qui elle a œuvré pendant dix ans à la « transformation » de son pays en tant que Ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, elle a hérité de cette « culture de l’efficacité et du résultat» à la rwandaise, poursuit Olivier Nduhungirehe.

Face à ses anciens collègues ministres, la secrétaire générale dit miser sur le « capital sympathie de l’OIF ». « Un capital confiance », surenchérit un membre de son équipe, convaincu que son expérience dans la diplomatie rwandaise lui permettra de convaincre les indécis.

Le prochain grand rendez-vous de l’organisation se tiendra l’année prochaine, lors du 18e sommet de l’OIF, organisé à Tunis du 12 au 13 décembre 2020. Depuis ce 31 octobre, la Tunisie assure en effet la présidence de la CMF à la suite de l’Arménie, où s’était tenu le dernier sommet. Un moment charnière pour l’organisation, qui fête l’année prochaine son cinquantième anniversaire, dont les célébrations seront lancées le 20 mars prochain à Niamey. « C’est vraiment le grand moment de la Francophonie », veut croire Louise Mushikiwabo. Avant d’assurer, confiante : « Nous sommes déjà dans le changement ».