Politique

RDC – Floribert Anzuluni : « Avant le 15 novembre, je serai de retour à Kinshasa »

Floribert Anzuluni, coordinateur de Filimbi parti en exil peu après la formation en 2015 de ce mouvement citoyen souvent réprimé sous Kabila, a décidé de rentrer en RDC. Il explique à Jeune Afrique les raisons de ce choix.

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Mis à jour le 30 octobre 2019 à 17:33

Floribert Anzuluni à Paris, le 21 août 2017. © Vincent Fournier/JA

C’était le 15 mars 2015, dans le quartier de Masina, à Kinshasa. Le tout jeune mouvement citoyen Filimbi (« coup de sifflet », en swahili) s’apprêtait à tenir sa première conférence de presse. Militants congolais, membres des collectifs sénégalais Y’en a marre et burkinabè de Balai Citoyen, journalistes…. tous sont présents lorsque déboule dans la salle une horde de policiers pour un coup de filet aussi efficace que fulgurant.

Sans le vouloir, les autorités congolaises marquent ce jour-là l’acte de naissance de Filimbi, et donnent un coup de projecteur inattendu sur un mouvement encore embryonnaire. Il signe aussi le début de l’exil pour Floribert Anzuluni, le coordinateur du mouvement, qui parvient, avec deux collègues, Yangu Kiakwama et Franck Otete, à échapper à l’intervention musclée des forces de sécurité. « On ne s’attendait pas à une telle répression ce jour-là, c’était incompréhensible, irresponsable », se souvient Anzuluni.

Les semaines qui suivent sont vécues dans un climat d’extrême tension, alimenté par la peur constante d’une arrestation et les appels répétés du ministre de la Communication de l’époque, Lambert Mende, pour qu’il se présente devant les enquêteurs. C’est finalement la route de la Belgique que cet ancien cadre d’EcoBank, spécialisé dans la gestion de risques, emprunte et où il s’installe un mois après.

Main tendue

Quatre ans plus tard, l’exil touche à sa fin pour Floribert Anzuluni. Le tournant, dit-il, ce sont « ces pseudo-élections qui ont abouti à la nomination de Félix Tshisekedi » et le processus de « décrispation » enclenché dans la foulée.

Avant le 15 novembre, je serai à Kinshasa

Le militant a pris son temps avant de se décider à rentrer à Kinshasa. « Il fallait analyser le nouveau rapport de forces à la tête de l’exécutif. C’est inédit, presque surréaliste », explique-t-il. « Vous avez un président issu de l’opposition politique mais les institutions sont contrôlées par un camp qui fait l’objet d’un rejet quasi unanime de la population ». Après réflexion, il a « pris acte » de la main tendue par le nouveau président en direction des opposants en exil. « Avant le 15 novembre, je serai à Kinshasa », nous annonce-t-il, après avoir récemment récupéré son passeport.

C’est depuis la Belgique que Floribert Anzuluni a piloté Filimbi ces quatre dernières années. Chahuté dès sa conférence de presse inaugurale, le groupe qui milite pour la démocratie et une plus grande implication citoyenne en RDC a, pendant ces années, dû apprendre la discrétion. Installé entre Bruxelles et Mons, le militant s’attache à renforcer la sécurité de ses militants sur le terrain. Il fallait aussi, raconte-t-il, prévenir les tentatives d’infiltration ou de surveillance qui pouvaient viser le groupe d’activistes, à l’étranger comme sur le terrain.

« Nous allons poursuivre notre mission de conscientisation »

Les derniers mois de glissement vers l’élection présidentielle et le flou entretenu par le pouvoir autour de l’avenir de Joseph Kabila à la tête du pays ne font que renforcer la détermination des mouvements citoyens, qui le payent pour certains de leurs membres par des séjours dans les geôles de Makala. C’est notamment le cas de plusieurs cadres de Filimbi comme Mino Bompomi, Cédric Kalonji, Grace Tshiunza et Carbone Beni, le coordinateur à Kinshasa, tous arrêtés en décembre 2017 puis condamnés à un an de prison pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État », « offense au chef de l’État », et « publication et distribution d’écrits subversifs », avant d’être libérés à la veille des élections. Floribert Anzuluni avait lui-même fait l’objet de poursuites finalement abandonnées suite à l’accord de la Saint Sylvestre.

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Avec la transition politique de janvier dernier, Anzuluni espère bien se détacher définitivement de l’étiquette de « terroriste » que lui collait, à lui ainsi qu’à son mouvement, la précédente administration. « A priori, le contexte devrait être différent ». Pas question pour autant de se montrer tendre envers le nouveau pouvoir. « Nous allons poursuivre notre mission de conscientisation », assure-t-il.

Querelles d’égo

Conscient de rentrer dans un « contexte confus », Anzuluni dit ne pas vouloir « s’engager dans le débat autour de la légitimité de Félix Tshisekedi ». « Le processus électoral a été biaisé en amont. Depuis le début de l’enrôlement jusqu’au vote. Cela ne pouvait en aucun cas aboutir à la mise en place d’institutions crédibles, capables de remédier aux principales causes des crises que connaît la RDC depuis 60 ans », lâche-t-il pourtant.

Comment parvenir, dans ce contexte si particulier, à relancer un mouvement habitué à des années de clandestinité et de répression ? Qui réunir pour la suite du combat ? Le militant assure se tenir aujourd’hui à l’écart du jeu politique. Lui qui, par le passé, a milité pour un rassemblement derrière une candidature unique de l’opposition en 2011 a été vacciné  contre les « querelles d’égo » d’acteurs imprévisibles et versatiles après l’échec de la rencontre de Gorée, en décembre 2015. Celle-ci avait échoué à fédérer les cadres de l’opposition autour d’une stratégie commune contre le maintien au pouvoir de Joseph Kabila.

« L’intérêt personnel passe chez ces gens-là avant les intérêts du Congo. On l’a vu à Genève il y a un an, lorsqu’il a fallu trouver un candidat unique et on le voit aujourd’hui avec les tensions à Lamuka », explique-t-il. Ces dernières années, il a privilégié aux politiques des hommes d’affaires, représentants d’ONG et autres diplomates, comme l’envoyé spécial de l’ONU pour les Grands Lacs, J. Peter Pham, qu’il a rencontré fin août à New-York.

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Un milieu qui convient bien à ce militant qui, comme beaucoup de fondateurs de Filimbi, incarne une jeunesse éduquée, pour certains employés dans de grandes entreprises. Fils d’Anzuluni Bembe, qui fut président de l’Assemblée nationale sous Mobutu, gendre de François Muamba, coordonnateur du mécanisme de suivi de l’accord d’Addis-Abeba aujourd’hui proche de Tshisekedi, Anzuluni fut aussi reçu à la Maison Blanche par Barack Obama en 2010 parmi un groupe de « jeune leaders africains ».

Le fléau de la corruption sévit toujours

C’est désormais une lutte différente que le coordinateur de Filimbi entend mener, un combat « contre le maintien d’un système qui refuse d’abdiquer » dit-il, citant notamment l’affaire de détournement de fonds présumé dite « des 15 millions » sur laquelle il affirme, sans plus d’explications « détenir des éléments concrets qui confirment une dure réalité, à savoir que le fléau de la corruption sévit toujours ».

Avec ses collègues de la Lucha et de l’Asadho, il entend aussi poursuivre le combat pour un renouvellement des sanctions contre les proches de Kabila accusés de violation des droits de l’homme, et espère enfin voir le président tenir ses promesses en matière de lutte contre l’impunité. « On sent une contradiction entre le discours et les actes pour le moment », dit-il. « Si on est pas attentif, ce pas positif de janvier dernier pourrait être suivi par dix pas en arrière ».