Politique

Guinée-Bissau : « La décision du président Vaz de limoger le gouvernement semble difficile à défendre »

L’incertitude règne à Bissau après le limogeage, lundi 28 octobre, du gouvernement Gomes par le président José Mário Vaz, jugé illégal par la Cedeao. Vincent Foucher, spécialiste de la Guinée-Bissau, décrypte les conséquences de ce nouveau soubresaut, à moins d’un mois de l’élection présidentielle prévue le 24 novembre. Interview.

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Mis à jour le 30 octobre 2019 à 15:06

Le siège du PAIGC dans la capitale Bissau, le 5 mars 2014, avant l’élection présidentielle. © Sylvain CHERKAOUI pour Jeune Afrique

La Guinée-Bissau compte-elle désormais deux Premiers ministres ? Lundi, José Mário Vaz a limogé Aristides Gomes, chef du gouvernement chargé d’organiser l’élection présidentielle du 24 novembre, annonçant le lendemain la nomination de Faustino Imbali pour lui succéder.

Plus de vingt-quatre heures après la publication de ce décret très décrié, Aristides Gomes est pourtant toujours en poste, et fait valoir le soutien que lui a apporté mardi la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui a fermement dénoncé « le caractère illégal » de la décision prise par José Mário Vaz.

En juin dernier, l’organisation régionale, médiatrice de la crise politique, avait confié la gestion du pays au gouvernement d’Aristides Gomes et maintenu en poste le président, candidat indépendant à un deuxième mandat, jusqu’à l’élection présidentielle. Un scrutin censé dénouer les blocages institutionnels qui paralysent le pays depuis la destitution, en 2015 par le président Vaz, de son ex-Premier ministre Domingos Simões Pereira. Ce dernier, chef du puissant Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), formation victorieuse des législatives de mars, sera lui aussi candidat en novembre face à son rival.

Un climat politique délétère, à moins d’un mois de l’élection présidentielle, que décrypte Vincent Foucher, chercheur français au CNRS.

Jeune Afrique : José Mário Vaz, dont le mandat a expiré en juin dernier, est resté en poste à la suite d’une médiation menée par la Cedeao, qui a confié la gestion du pays à Aristides Gomes. Le président avait-il le droit de démettre le gouvernement ?

Vincent Foucher : L’accord trouvé avec la Cedeao prévoit que José Mário Vaz reste président au-delà de la fin de son mandat, mais sans véritable pouvoir exécutif. Si l’on considère que cet accord avec la Cedeao fonde l’ordre institutionnel à Bissau en ce moment, la décision du chef de l’État semble difficile à défendre d’un point de vue juridique.

José Mário Vaz outrepasse-t-il ses pouvoirs, comme le lui reproche Aristides Gomes, qui a annoncé rester en poste malgré le décret présidentiel le démettant de ses fonctions ?

C’est assez clair. Sa décision va à l’encontre de l’accord négocié par la Cedeao, sur lequel il s’était engagé.

L’institution a d’ailleurs qualifié le décret présidentiel d’« illégal », et a brandi la menace de sanctions contre ceux qui entraveraient le processus électoral…

Le communiqué de la Cedeao exprime clairement la position de l’organisation sous-régionale, dans la logique de ses interventions précédentes : le gouvernement d’Aristides Gomes doit gouverner jusqu’au scrutin et l’élection, déjà retardée, doit avoir lieu au plus vite.

Ce dernier rebondissement pourrait-il menacer la tenue de l’élection présidentielle le 24 novembre prochain ? Certains candidats, dont le chef de l’État, réclament une révision du fichier électoral, qui aurait pour conséquence un report du scrutin.

Sans doute pour essayer de faire un geste en direction de la Cedeao, José Mário Vaz a dit que l’élection se tiendrait à la date prévue, mais il est difficile de penser que le changement de Premier ministre, s’il est effectif – ce qui n’est pas gagné – ne va pas affecter le rythme électoral. Notons d’ailleurs qu’en s’engageant à tenir l’élection à la date prévue, et donc avec le fichier électoral actuel, Vaz vient confirmer que les arguments de ses alliés de l’opposition qui critiquent le fichier sont très politiques.

Depuis 2014, les militaires se sont abstenus de toute interférence, et c’est très bon signe

Peut-on craindre que cet énième rebondissement ne finisse dans la violence ?

Cette crise politique a commencé peu après le début du mandat de José Mário Vaz en 2014, et elle n’a pas amené de violence jusque-là. Les militaires ont appris après le coup d’état de 2012 qu’ils devaient se tenir tranquilles. Et la Cedeao est très présente, elle dispose de plusieurs centaines de soldats à Bissau depuis 2012 et exerce une pression diplomatique forte. Elle avait même pris précédemment des sanctions contre certains acteurs politiques, dont le propre fils de Vaz. Et une fois encore, on voit que la Cedeao réagit vite et fort.

À Lire Guinée Bissau : le Premier ministre Aristides Gomes dénonce un projet de coup d’État

Mais il est vrai que cette fois-ci, on s’approche de la fin de la partie pour Vaz, qui a peu de chances de remporter l’élection. Alors que la crise politique avait amené ces dernières années un certain partage du pouvoir, Vaz et d’autres acteurs craignent de voir une hégémonie du PAIGC, qui, au terme de l’élection, pourrait contrôler la présidence, le Parlement et le gouvernement. Par ailleurs, on peut se demander si les énormes saisies de cocaïne opérées par la police judiciaire ces derniers mois ne contribuent pas à tendre la situation : les quelques acteurs politiques et militaires qui ont des liens avec le trafic sont sans doute nerveux.

Au-delà du rôle joué par la Cedeao, on peut aussi souligner le fait que l’armée, dirigée depuis 2014 par le général Biague Nantam, reste en retrait des turpitudes politiques….

Oui. C’est vrai que par le passé, on a souvent vu les militaires être les arbitres de ces conflits institutionnels, que ce soit par des coups d’État ou des assassinats. Mais depuis 2014, les militaires se sont abstenus de toute interférence, et c’est très bon signe, même s’il ne faut pas exclure la possibilité de violences.

Le mandat de José Mário Vaz a été problématique à cause de l’instabilité institutionnelle persistante

Le mandat de José Mário Vaz, qui a marqué le retour à un certain ordre après le putsch de 2012, s’est aussi distingué par une instabilité politique très forte depuis la destitution en 2015 de Domingos Simões Pereira, et le refus du président de le renommer Premier ministre après la victoire du PAIGC lors des législatives de mars… 

Même si on doit se féliciter de l’absence de violences, le mandat de José Mário Vaz a été effectivement problématique à cause de l’instabilité institutionnelle persistante. La fin de la transition, en 2014, avait suscité un vrai espoir. Les bailleurs internationaux avaient montré leur intérêt pour le pays lors d’une conférence à Bruxelles en mars 2015. Mais finalement, ce conflit entre José Mário Vaz et Domingos Simões Pereira, qui a été ouvert par le premier, a considérablement ralenti les possibilités d’investissement et d’intervention des partenaires internationaux.

La crise politique vient-elle de la Constitution bissau-guinéenne, souvent accusée d’être trop ambiguë entre les rôles attribués au Premier ministre au président ?

Cette Constitution bicéphale, qui entretient en effet l’ambiguïté, est davantage un outil dans les conflits politiques que leur cause. Les luttes renvoient fondamentalement à la nature du jeu politique en Guinée-Bissau, pays pauvre. Pour la petite élite urbaine, l’État est le principal accès à la richesse. Les luttes autour du contrôle de l’État sont donc particulièrement aiguës au sein de l’élite.