“Ce n’est qu’une partie émergée de l’iceberg”, s’exclame une source proche de l’enquête. “Le trafic semble énorme, mais à ce stade nous n’avons pas encore toutes les preuves”, ajoute cette même source.
Il y a plus de quatre mois, des représentants de l’État à Port-Gentil reçoivent une confidence : un bateau citerne stationné dans les eaux internationales approvisionnerait en carburant des compagnies au Gabon, à un prix deux fois moindre que le prix du marché national.
“Au lieu de 660 francs CFA le litre ou plus, le prix est de 330 francs CFA le litre environ sur le bateau”, explique un employé d’une société qui a reconnu avoir participé au trafic, tout en arguant ne pas savoir qu’il s’agissait d’une activité illégale, par “méconnaissance des lois de la douane”.
Fraude fiscale off-shore
Car vendre du carburant en eaux internationales n’est pas interdit, et les forces de l’ordre gabonaises ne pourront en aucun cas arrêter un bateau stationné dans cette zone.
“Le problème c’est quand la société achetant le gasoil revient dans les eaux nationales sans avoir déclaré les hydrocarbures, car l’article 110 du code des douanes Cemac oblige tout importateur à déclarer en détails toutes les marchandises importées ou introduites sur le territoire douanier”, explique une source proche de l’enquête.
Avec les taxes, de 31,25 % sur chaque litre, le prix du carburant acheté en eaux internationales reviendrait à peu près au même montant que le prix du marché, note un responsable d’une compagnie qui a reconnu avoir acheté du carburant à moins prix auprès du bateau citerne.
Concurrence croissante
“Voici pour nous le moment d’entrer dans ce trafic que nous avons longtemps soupçonné,” sourit une source proche de l’enquête. Car un individu agissant comme démarcheur pour le bateau qui portait un pavillon étranger a été identifié, selon les informations obtenues par Jeune Afrique.
Par ailleurs, plusieurs compagnies ont été convoquées par les autorités, “afin de s’assurer qu’elles se fournissent bien chez les revendeurs reconnus par l’État, tels que PetroGabon, Engen, ou encore Oil Libya”, indique une source proche de l’enquête.
Les compagnies qui ne sont pas impliquées dans le trafic de carburant dénoncent déjà une “concurrence déloyale”. C’est le cas de la Compagnie nationale de navigation intérieure et internationale (CNNII): “avec un prix à plus de 660 francs CFA le litre, et trois compagnies concurrentes, nous avons dû fixer le prix du trajet à 25 000 francs CFA… mais nous avons remarqué que d’autres compagnies arrivent à avoir un trajet à 20 000 francs CFA”, maugréait un employé de la CNNII auprès de Jeune Afrique en août.
Des sociétés étranglées par la hausse des prix du carburant
Contactée par Jeune Afrique, une compagnie de transport maritime qui a reconnu avoir été impliquée dans cette affaire de fraude au carburant pointe du doigt la hausse des prix de celui-ci : « Comment voulez-vous survivre avec un prix du carburant qui ne cesse d’augmenter, en plus des taxes ?”.
“Des entreprises risquent de fermer à cause de cette augmentation de carburant. Nous même nous allons peut-être devoir fermer… et nous avons pensé à mettre au chômage certains employés”, ajoute l’employé.
Au Gabon, pays pétrolier qui tente de redresser son économie suite à la chute des prix du baril en 2014-2015, le prix de l’essence ou du gasoil n’est plus subventionné par l’État depuis avril, et les prix ne semblent aller que croissants. En juin 2019, le litre de gasoil se vendait 470 francs CFA, celui d’essence 530 francs CFA, tandis qu’ils sont désormais facturés à respectivement 660 et 675 francs CFA.