Politique

Au Mali, la multiplication des attaques renforce le sentiment anti-français

L’euphorie qu’avait provoqué l’arrivée des troupes françaises au Mali en 2013 a laissé place à un sentiment anti-français de plus en plus fort au sein d’une partie de la population, lassée par une guerre qui s’éternise.

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Par - à Bamako
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:15

L’opération Barkhane au Mali. (photo d’illustration) © Ministère des Armées

En 2013, les blindés français qui arrivaient au Mali, dans la région de Sikasso, depuis la Côte d’Ivoire, étaient accueillis en héros par une foule en liesse. Tout au long de leur passage sur les routes maliennes, les villageois applaudissaient les soldats français jusqu’à leur arrivée dans le nord du pays. Six ans plus tard, l’ambiance n’est plus la même et les populations du Centre et de Bamako n’hésitent plus à accuser les militaires de la force Barkhane et les Casques bleus de l’ONU d’être complices des jihadistes.

« C’est la France qui a attaqué nos soldats »

Un véhicule blindé de la Minusma en patrouille dans le cercle de Bankass, dans le centre du Mali, le 21 février 2019. © Photo MINUSMA/Marco Dormino

Un véhicule blindé de la Minusma en patrouille dans le cercle de Bankass, dans le centre du Mali, le 21 février 2019. © Photo MINUSMA/Marco Dormino

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Le sentiment anti-français au Mali, déjà fortement présent, a resurgi avec vigueur après l’attaque contre le camp de Boulkessi, sous le commandement du G5 Sahel, lors de laquelle au moins 41 soldats maliens ont été tués, le 30 septembre dernier. « Comment des centaines d’hommes ont pu échapper aux drones de surveillance de l’armée française ? », s’interroge Oumar Traoré, un habitant de Bamako. Affirmant que des armes « sophistiquées » ont été utilisées contre l’armée malienne, il ose même le raccourci : « C’est la France qui a attaqué nos soldats », accuse-t-il.

Si ces théories complotistes font florès, l’omniprésence – notamment militaire – de la France en territoire malien est aussi régulièrement pointée du doigt par des responsables politiques ou des leaders de la société civile, au risque, parfois, de commettre quelques approximations.

« Au sein de la Minusma, le chef d’état-major, le responsable du bureau à Kidal, le directeur adjoint de la police et le conseiller principal de la sécurité sont Français. Tout ce qui concerne la sécurité au sein de cette mission onusienne, c’est la France », affirmait ainsi Abdel Kader Maiga, président de la Coalition contre la partition du Mali « IGDAH Mali Tè Tila », lors d’une émission de Renouveau TV diffusée quelques jours après l’attaque de Boulikessi. S’il a raison pour la majorité des personnes citées, le conseiller principal de la sécurité de la Minusma est Camerounais, et non Français.

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Des discours qui trouvent un fort écho au sein de certaines couches de la population. Des slogans hostiles à la présence militaire française ou à la Minusma surgissent régulièrement dans les manifestations, qu’elles soient organisées sur ce thème ou pas.

En janvier 2018, une manifestation avait été organisée sous les fenêtres de l’ambassade de France, à Bamako. En juin dernier, des pancartes « La France complice » avaient été brandies lors des manifestations organisées dans la capitale malienne, face à la recrudescence de massacres dans le centre du pays.

Plus récemment, le 12 octobre dernier, à Sévaré, à 15 km de Mopti, une manifestation, organisée par la Plateforme Fasso Ko aux abords du camp des forces de l’ONU et de l’aéroport, a rapidement dégénéré. Scandant des slogans hostiles à la Minusma et à la présence militaire française, plusieurs manifestants se sont attaqués à des conteneurs de stockage de la Minusma situés à l’extérieur du camp. « Les manifestants ont également dérobé du matériel logistique et de construction », a précisé par la suite la Minusma, regrettant ces « actes de vandalisme », et assurant que « la sécurité du camp n'[avait] pas été impactée ».

Les raisons de la colère

Patrouille de la Minusma dans la région de Kidal, en décembre 2016 (archives). © Sylvain Liechti/MINUSMA

Patrouille de la Minusma dans la région de Kidal, en décembre 2016 (archives). © Sylvain Liechti/MINUSMA

Ce sentiment est né d’abord du fait que la France n’a pas voulu que l’armée malienne réinvestisse Kidal

Le phénomène est pris très au sérieux par l’ambassade de France. « Les soldats de l’opération Barkhane étaient les premiers à intervenir pour chasser les terroristes du camp de Boulikessi, avant de permettre aux forces maliennes de reprendre leur caserne. Pensez-vous que nous aurions pu être au courant de l’attaque qui se préparait tout en fermant les yeux ? Prévenir une attaque est moins coûteux qu’intervenir après », insiste une source diplomatique française.

Pour ce diplomate en poste à Bamako, ce sentiment anti-français est dû à « l’incompréhension d’une grande partie de la population du rôle de Barkhane, mais aussi à la fatigue due à la guerre qui s’éternise et à la désinformation délibérée sur les réseaux sociaux ». Et notre source d’insister sur le fait « qu’un grand nombre de terroristes ont été éliminés par Barkhane depuis l’an passé ».

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Les critiques virulentes contre la présence militaire française est loin de se cantonner aux frontières maliennes. Au Niger, un millier de personnes ont ainsi manifesté à Niamey, lançant des slogans hostiles à la présence de militaires français et américains. « À bas les bases militaires étrangères », « À bas l’armée française », « À bas l’armée américaine », scandaient notamment les protestataires, essentiellement des étudiants, qui avait répondu à l’appel de l’Union des scolaires nigériens (USN).

C’est cependant au Mali que la présence de forces armées étrangères, et singulièrement françaises, rencontre le plus de résistances au sein de l’opinion publique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette défiance exacerbée. « Ce sentiment est né d’abord du fait que la France n’a pas voulu que l’armée malienne réinvestisse Kidal, comme cela a été le cas à Tombouctou et Gao en 2013 », explique Issa Ndiaye, politologue et professeur de philosophie à l’université de Bamako, évoquant le contrôle exercé de fait sur Kidal par les anciens rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad.

Autre élément qui a attisé la colère, « la multiplication des attaques, malgré la présence de ces forces internationales et le manque de protection des soldats maliens, pointe le chercheur. Cela engendre une suspicion généralisée de connivence entre Barkhane et les terroristes. »

Paris préoccupée

Des soldats français de Barkhane et des soldats maliens des Fama lors d'une patrouille commune à Ansongo, près de Gao, le 8 février 2018. © DR / MinDef France

Des soldats français de Barkhane et des soldats maliens des Fama lors d'une patrouille commune à Ansongo, près de Gao, le 8 février 2018. © DR / MinDef France

Des soupçons que les diplomates et cadres militaires français s’emploient à contrecarrer. Joël Meyer, l’ambassadeur de France au Mali, ne manque ainsi aucune occasion, dans ses interventions publiques, pour tenter de calmer les crispations. « Si la France est intervenue militairement au Mali – une intervention encadrée par un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies –, c’est parce qu’il y a eu la menace terroriste et qu’il y a eu une demande d’assistance des autorités maliennes », insistait-il ainsi en juillet dernier dans un entretien accordé au journal L’Indépendant.  « Nous ne souhaitons pas rester indéfiniment au Mali et n’avons aucun intérêt à le faire, au-delà du devoir accompli », assurait-il par ailleurs.

Un discours relayé également au plus haut niveau de l’État malien, à l’image du président Ibrahim Boubacar Keïta qui, dans l’entretien exclusif qu’il a accordé en juillet dernier à Jeune Afrique,  dénonçait « les politiciens qui manipulent et exacerbent ce genre de sentiments xénophobes [qui] ne rendent service ni au Mali ni à la paix », les accusant au passage d’être « les complices objectifs de ceux qui veulent notre perte ».

La hiérarchie militaire française, elle, préfère insister sur les actions menées sur le terrain. « Quelques jours après l’attaque de Boulkessi, des soldats maliens nous ont indiqué la présence suspecte de motos à côté de leur camp. Nous avons immédiatement envoyé des avions de chasse pour les mettre en déroute », assure ainsi une source sécuritaire française, qui souligne qu’une grande opération de ratissage dans les régions frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso est par ailleurs prévue au mois de novembre entre la force conjointe du G5 Sahel et Barkhane.

Moscou place ses pions

De quoi calmer les tensions et les craintes ? Issa Ndiaye est persuadé du contraire. « Depuis six ans, les populations ne sont pas satisfaites des résultats sur le terrain, et le gouvernement malien pourrait bien être tenté de se tourner vers de nouveaux partenariats sécuritaires, avec la Russie par exemple, pour l’aider à sécuriser son territoire », estime le chercheur.

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De fait, les signes d’un rapprochement entre Moscou et Bamako sont bien là. En juin dernier, la Russie et le Mali ont en effet officialisé un accord de défense, signé entre leurs ministres de la Défense respectifs, Sergueï Choigou et le général Ibrahim Dahirou Dembélé, en marge du forum Armée 2019, près de Moscou, quelques jours après une visite du ministre malien des Affaires étrangères dans la capitale russe, le 10 juin.

La semaine dernière, Ibrahim Boubacar Keïta avait reçu l’ambassadeur de Russie à Bamako au palais présidentiel, en amont du sommet Russie-Afrique qui a démarré à Sotchi ce mercredi 22 octobre. Le président malien, qui participe à la rencontre, était à cette occasion notamment accompagné de son ministre de la Défense.