Ce fut une mesure polémique, qui semble aujourd’hui diviser au sein même de l’exécutif. Le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, qui s’exprimait ce jeudi matin sur les ondes de la Radio Futur Média, a confirmé une information annoncée par Jeune Afrique dans son édition du 30 septembre : le retour de la réciprocité des visas au Sénégal.
« Pour des raisons de sécurité, nous avons besoin de contrôler qui rentre et qui sort du pays », a détaillé le ministre, qui revendique la nécessité pour le Sénégal de mieux protéger ses frontières. « Nous allons réintroduire le visa pour que toute personne pénétrant sur le territoire puisse être identifiée », a-t-il ajouté. Aly Ngouille Ndiaye a également évoqué un « dossier très avancé », qui pourrait être mis en œuvre dès la « fin d’année » 2019.
La mesure, si elle est appliquée, concernerait uniquement les citoyens résidant en dehors de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), soumises à la libre-circulation des biens et des personnes. Comme ce fut le cas de 2013 à 2015, des visas seraient à nouveau demandés aux ressortissants d’États qui en demandent aux Sénégalais. Les citoyens français, belges, ou américains, parmi d’autres, seraient ainsi soumis à cette obligation.
Embarras de l’exécutif
S’agit-il d’une position officielle du gouvernement sénégalais ? L’affaire semble en tout cas embarrasser l’exécutif.
En visite à Paris du 1er au 4 octobre pour promouvoir la « destination Sénégal », le ministre du Tourisme Alioune Sarr s’était bien gardé de confirmer l’information de la réintroduction du visa.
La ligne officielle, c’est la suppression des visas
Interrogé à ce sujet par Jeune Afrique, le ministre bottait en touche : « Je peux vous donner le message officiel du gouvernement du Sénégal : la ligne officielle, c’est la suppression des visas, en concertation avec le secteur privé. Le gouvernement n’a pris aucune décision pour les rétablir », affirmait Alioune Sarr, sans toutefois démentir clairement l’information.
Venu à Paris pour vanter les réalisations récentes du gouvernement dans le domaine du tourisme (construction de l’aéroport international Blaise Senghor, ouverture de nouvelles lignes pour la compagnie Air Sénégal, etc.), le ministre avait également annoncé à Jeune Afrique la signature de plusieurs conventions avec des tours-opérateurs français. Une visite promotionnelle qui pouvait difficilement être coordonnée avec l’annonce de cette mesure.
Mis au pied du mur par les déclarations d’Aly Ngouille Ndiaye, un collaborateur d’Alioune Sarr précise toutefois que l’application de la réciprocité des visas sera assurée par le ministère de l’Intérieur. « Étant donnés les résultats de l’expérience précédente, nous aurons évidemment notre mot à dire, de concert avec les acteurs du secteur touristique », précise-t-il à Jeune Afrique.
Le Ministère des Affaires étrangères assure pour sa part qu’il ne s’agit que d’une « position personnelle » d’Aly Ngouille Ndiaye.
Crise du secteur du tourisme
La décision d’appliquer la réciprocité des visas en 2013, censée renforcer la souveraineté du Sénégal face aux pays de l’espace Schengen, avait suscité une levée de boucliers dans le secteur du tourisme. Frappés de plein fouet par la mauvaise publicité de l’épidémie d’Ebola, en 2014, la menace terroriste dans la sous-région et les taxes aéroportuaires élevées, les professionnels sénégalais de l’hôtellerie avaient alors souffert d’une baisse drastique de la fréquentation touristique après l’instauration des visas.
Face à la crise, le président Macky Sall avait alors décidé de faire marche arrière. « En politique, il faut avoir le courage de savoir revenir sur une décision », avait alors déclaré le chef de l’État, annonçant la suppression du visa d’entrée à compter du 1er mai 2015.
Si le gouvernement décide réellement de réinstaurer cette mesure aujourd’hui, quelles garanties a-t-il prévu pour protéger les professionnels du tourisme ? Comment s’assurer que l’instauration du visa d’entrée ne provoque pas à nouveau une crise dans le secteur ?
Le coût du visa s’élèvera-t-il à 50 euros, comme c’était le cas en 2013 ? L’Ivoirien Adama Bictogo – dont l’indemnisation pour les coûts avancés lors de l’abandon de la mesure avait coûté 12 milliards de FCFA au Sénégal – se verra-t-il à nouveau confier la responsabilité technique de ces visas ? Autant de questions qui restent en suspens. Trois entreprises ont déjà proposé leurs services pour prendre en charge la mise en place des visas biométriques, selon le ministre de l’Intérieur.