Du marbre de Carrare, des enfilades de colonnes dorées et de boiseries éclairées par les 2 000 lumières d’un lustre géant. Tout a été fait pour éblouir les milliers de fidèles attendus ce vendredi 27 septembre à Dakar pour découvrir les 10 000 mètres carrés de mosquée édifiés par les mourides.
Quinze ans après le lancement du projet sur lequel ont œuvré quelque 800 ouvriers, Massalikoul Djinane est fin prête à recevoir les 30 000 fidèles qu’elle est en capacité d’accueillir (10 000 à l’intérieur et 20 000 sur l’esplanade). Avec ses cinq minarets, elle devient la plus grande mosquée de Dakar, et l’une des plus importante d’Afrique de l’Ouest. Pour la très influente confrérie sénégalaise, qui ne se prive pas d’une communication intensive dans les rues de Dakar à quelques heures de l’événement, c’est avant tout une affaire de rayonnement.
Le « destin fabuleux » des mourides
Construite à la gloire de Cheikh Ahmadou Bamba (père du mouridisme), Massalikoul Djinane culmine à 75 mètres de hauteur, 80 si l’on compte le pinacle du grand minaret. « Il y a d’abord une tradition islamique globale de gigantisme pour marquer l’espace et donner des lieux de convergences aux musulmans. Ensuite, il y a la volonté de la confrérie mouride de se donner l’image d’un destin fabuleux qui doit se refléter à travers ses mosquées », analyse Cheikh Gueye, docteur en géographie à l’Université de Strasbourg et auteur de « Touba, capitale des mourides ».
Selon l’universitaire, le choix de Dakar pour un projet d’une telle envergure s’explique par la volonté mouride « d’asseoir le poids de l’Islam dans une ville érigée en capitale par le colon, dans un pays laïc. Une manière de se réapproprier Dakar ».

Premiers selfies de visiteurs dans la grande salle de prière, qui devraient pouvoir accueillir entre 5 000 et 7 000 fidèles © Manon Laplace pour JA
« C’est aussi une sorte de revanche sur le destin », affirme Abdou Aziz Mbacke Majalis, chercheur sur le Mouridisme et descendant de Cheikh Ahmadou Bamba. « Longtemps, les mourides ont été mal vus par les colons et ostracisés. Cheikh Ahmadou Bamba est resté enfermé trois nuits à Dakar après y avoir été arrêté, avant d’être mis sur un bateau et de partir en exil vers le Gabon. Avoir un monument dans la capitale n’était pas acquis pour la confrérie. »
Une mosquée digne de « la grandeur de Dakar »
Souhaitée depuis de nombreuses années dans la capitale, l’immense mosquée a été rendue possible grâce au don, au début des années 2000, d’une parcelle de 5,8 hectares par l’ancien président mouride Abdoulaye Wade. Le projet est alors lancé et la confrérie voit grand : « Je n’avais pas d’instruction particulière du khalife si ce n’est de faire en sorte que la mosquée reflète la grandeur de la ville », se souvient l’architecte Maissa Diodio Touré qui a dessiné les plans.
Huit ans de travaux, pris en charge par le Consortium des entreprises du Sénégal (CDE), qui voient s’élever pas moins de six salles – entre 12 et 14 mètres de hauteur -, quatre dômes de boiseries sculptées – dont le principal s’élève à 28 mètres -, et cinq minarets, flanqués de marbre.
Quand la confrérie mouride veut accomplir quelque chose, elle s’en donne les moyens
Pour Massalikoul Djinane, les mourides font aussi fait appel à des savoirs-faire étrangers. Les plafonds et boiseries ont été réalisés par des artisans marocains, le coffrage des minarets par l’entreprise suisse Royam, le marbre est arrivé d’Italie et d’Espagne, tandis que les luminaires et l’horloge lumineuse du minaret principal, inspirée de celle de la Mecque, ont été faits en Chine.
Projet à 20 milliards de francs CFA
Quant au coût de l’ouvrage ? « Ce n’était absolument pas une préoccupation lors du dessin des plans. J’avais l’intime conviction que quand la confrérie mouride veut accomplir quelque chose, elle s’en donne les moyens », assure-t-il.

La mosquée Massalikoul Djinane vue de l'extérieur. © Manon Laplace pour JA
Pour cause, le projet, estimé à 20 milliards de francs CFA (30 millions d’euros) – qui inclut la mosquée (dont le gros oeuvre a coûté entre 10 et 12 milliards de francs CFA), une résidence de luxe et un institut d’études islamiques à venir – a été financé exclusivement en interne. Depuis 2013, les donations des membres de la confrérie affluent depuis le Sénégal comme au sein de la diaspora, très active, même s’il est difficile d’obtenir une comptabilité précise du montant offert.
Philosophie travailliste mouride
« Cela répond à la vision autonomiste des mourides dont la philosophie prône l’autonomie par le travail. Et ça en dit beaucoup sur les capacités financières de la confrérie », décrypte Cheikh Gueye. Une philosophie travailliste et autonome qui pousse la communauté à mobiliser uniquement ses propres ressources.
Il y a toujours une dimension universelle dans ce genre de réalisation
Pour cela, Massalikoul Djinane a pu compter sur la participation de prestigieux donateurs. Des dignitaires religieux, des hommes d’affaires mourides, mais aussi d’influentes personnalités politiques auraient contribué à sa construction à grand renfort de millions. Parmi les sources proches du projet, on cite notamment Abdoulaye Wade, son fils Karim, Pape Diop – autrefois maire de Dakar et président de l’Assemblée nationale -, ou encore l’ex-Garde des Sceaux Madické Niang.
Ainsi, avec Massalikoul Djinane, la puissante confrérie s’offre un édifice d’envergure internationale. « La cathédrale de Notre-Dame à Paris était un édifice destiné à l’Église et est devenu patrimoine de l’humanité. Il y a toujours une dimension universelle dans ce genre de réalisation », avance Abdou Aziz Mbacke Majalis. Et les mourides en sont convaincus : les dorures de Massalikoul Djinane rayonneront au-delà du Sénégal et de l’Afrique.