Économie

Soudan : une plainte vise la BNP pour « complicité de génocide »

Plusieurs ONG ont déposé une plainte ce jeudi contre la banque française pour « complicité de crimes contre l’humanité, de génocide et d’actes de tortures » commis au Soudan par le régime du président déchu Omar el-Béchir entre 2002 et 2008.

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Mis à jour le 26 septembre 2019 à 16:41

Siège de la BNP Paribas à Paris. © Rémy de la Mauvinière AP/SIPA

La banque française BNP Paribas s’est-elle rendue coupable de complicité de crimes contre l’humanité, de génocide et d’actes de tortures en collaborant avec le régime du président déchu Omar el-Béchir ? C’est du moins ce qu’affirment neuf victimes soudanaises, soutenues par plusieurs organisations des droits de l’homme, qui ont déposé une plainte ce jeudi contre l’institution financière au Tribunal de grande instance de Paris.

Dans leur viseur, les transactions bancaires effectuées entre le gouvernement soudanais et la banque, de 2002 à 2008. La BNP est également soupçonnée de crimes financiers (blanchiment et recel).

« Conspiration » avec des banques soudanaises

En portant plainte, les ONGs et les victimes espèrent mettre la main sur des informations détenues par la justice américaine, qui a condamné la BNP, quatrième banque mondiale et première européenne, à une amende record de 8,9 milliards de dollars en juin 2014 pour avoir violé l’embargo des États-Unis contre le Soudan.

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Selon un document rendu public par la justice américaine, la BNP a « conspiré avec de nombreuses banques soudanaises » afin de leur « donner accès au système banquier américain », principalement à travers sa filiale suisse basée à Genève. Des transactions financières s’élevant à plus de six milliards de dollars et qui auraient permis à la banque de générer un profit de 70 milliards de dollars. Les demandes de réparations espérées par les victimes aux États-Unis n’avaient, elles, jamais abouti.

« Augmentation massive d’achats d’armes »

Face à ces accusations, la société française, qualifiée de « banque centrale de facto » du Soudan, a décidé de plaider coupable. Les associations de droits de l’homme, parmi lesquelles la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), espèrent transposer cette condamnation en conséquence pénale.

L’association entend ainsi se baser sur le circuit financier retracé par la justice américaine pour prouver le lien qui existe entre l’argent mis à disposition par la BNP et les exactions commises par les autorités au Darfour, région meurtrie depuis 2003 par une guerre civile qui a fait plus de 300 000 morts selon l’ONU, et dans d’autres régions marginalisées du pays.

Les totaux cumulés des dépenses militaires globales du gouvernement soudanais ont augmenté de manière exponentielle de 2300%

Dans la plainte déposée, que Jeune Afrique a pu consulter, les plaignants font ainsi remarquer que « la période durant laquelle BNP a admis avoir illégalement traité des transactions pour le compte du gouvernement du Soudan [est] marquée par une augmentation massive d’achats d’armes, de dépenses militaires et du personnel militaire par le gouvernement. » La plainte ajoute que « les totaux cumulés des dépenses militaires globales du gouvernement soudanais ont augmenté de manière exponentielle de 2300%, allant de moins d’un million de dollars en 2001 à plus de 23 millions de dollars en 2008. »

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Les plaignants mentionnent également le paiement des fonctionnaires, le fonctionnement des centres de détention et des services de sécurité. Des actes qui étaient rendus possible par les pétrodollars mis à disposition des autorités, alors même que la banque avait conscience – et l’a reconnu au travers de la procédure américaine – des exactions commises par le gouvernement.

Position des associations

En visant la banque française, les plaignants ne se détournent-il pas de leur principale cible, les responsables directs des exactions commises sous Omar el-Béchir ? « Nous ne sommes pas là pour faire porter à la BNP la responsabilité de crimes impunis dont les instigateurs principaux n’auraient pas été poursuivis : on appelle à ce que ces mandats d’arrêt soient exécutés ou que des poursuites soient intentées par le gouvernement de transition. L’un n’exclut pas l’autre et les auteurs principaux devront répondre de leurs crimes », justifie Clémence Bectarte, avocate à la FIDH.

Ce qu’on veut mettre en avant aujourd’hui, c’est une autre forme de responsabilité qui est celle des entreprises

Sous deux mandats d’arrêt internationaux de la CPI, émis en 2009 et 2010, pour dix chefs d’accusation différents, Omar el-Béchir a été inculpé le 31 août dernier pour corruption par le tribunal de Khartoum. Trois représentants du gouvernement soudanais et un responsable des milices janjawids sont également sous le coup de mandats d’arrêts internationaux.

Aujourd’hui, les perspectives d’exécution de ces mandats et de justice à l’encontre des autorités politiques ou des responsables de milices sont très faibles. « Ce qu’on veut mettre en avant aujourd’hui, c’est une autre forme de responsabilité qui est celle des entreprises. Avec les instruments juridiques dont on dispose, nous avons l’espoir de faire progresser le droit et d’avoir un effet dissuasif sur les sociétés », affirme l’avocate.

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En juin 2018, le cimentier franco-suisse Lafarge avait ainsi été mis en examen pour plusieurs chefs d’accusation, dont la complicité de crimes contre l’humanité, pour ses activités en Syrie. En France, la BNP a également été visée par une plainte du même type, pour « complicité de génocide »,  les plaignants l’accusant d’avoir participé à l’achat de 80 tonnes d’armes lors du génocide des Tutsi au Rwanda de 1994.

« Malgré les obstacles politiques et juridiques, on observe une tendance croissante à faire reconnaître cette responsabilité », se félicite Clémence Bectarte. Il incombe désormais à la justice française de décider, ou non, d’ouvrir une information judiciaire qui pourrait mener à la tenue d’un procès.