Politique

Algérie : l’élection présidentielle aura-t-elle lieu le 12 décembre ?

La date du scrutin présidentiel a été officiellement fixée au 12 décembre par le chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah. Si la rue et l’opposition estiment que les conditions ne sont pas réunies, certains responsables et courants politiques semblent se résoudre à ce nouveau calendrier.

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Par - à Alger
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:27

Un manifestant montrant une caricature hostile au défunt chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah et à l’ex-président intérimaire Abdelkader Bensalah. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

La date arrêtée pour cette troisième tentative d’organiser une élection présidentielle, déjà reportée à deux reprises – une première fois le 18 avril et une deuxième le 4 juillet derniers – , respecte les délais recommandés par le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, véritable homme fort du pays après la destitution début avril du président Abdelaziz Bouteflika.

Samedi dernier, Abdelkader Bensalah, le chef de l’État par intérim, a signé la loi organique créant l’Autorité nationale chargée de l’organisation des élections, et celle relative au régime électoral. Ces dernières avaient été adoptées la veille, dans la précipitation, par le Parlement. Autant de préparatifs menées au pas de charge laissent penser que le régime ne reviendra pas en arrière une troisième fois, considère le politologue Mohamed Hennad.

« Si l’on se rappelle ce qu’il s’est passé en 1999 [six candidats avaient déposé leur candidature, avant de se retirer en apprenant que l’armée soutenait Bouteflika], on peut être sûr que le scrutin aura bien lieu, advienne que pourra ! On ne voit pas comment le pouvoir actuel pourrait accepter un troisième échec – même si force est de constater que notre expérience nationale a fini par créer, sinon une forme de phobie de l’urne, une indifférence électorale grandissante chez beaucoup d’Algériens », développe l’analyste.

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Les deux textes relatifs à l’organisation du scrutin présidentiel consacrent le retrait de toutes les prérogatives dévolues à l’administration, accusée durant les précédents rendez-vous électoraux de fraude massive, au profit de l’Autorité nationale indépendante des élections.

Cette nouvelle instance est également chargée de la « tenue du fichier national du corps électoral et des listes électorales des communes et des centres diplomatiques et consulaires à l’étranger », ainsi que de recevoir et d’examiner les dossiers de candidature, selon le ministre de la Justice Belghacem Zeghmati, qui l’a assuré devant la commission juridique du l’Assemblée nationale. Cette tâche était auparavant dévolue au Conseil constitutionnel, discrédité après sa validation – en dépit de son état de santé – des candidatures de Bouteflika à un quatrième puis un cinquième mandat.

Préalables insatisfaits

Certains chefs de partis et personnalités politiques demeurent sceptiques quant à la tenue effective d’une élection mi-décembre. Ainsi, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, pense qu’en l’absence de mesures d’apaisement et d’une solution consensuelle, organiser un scrutin dans le climat actuel risque d’aggraver la crise au lieu de la résoudre.

« S’il l’on s’en tient aux déclarations des responsables politiques, tous les moyens de l’État et sécuritaires seront mis en œuvre pour passer par la force. Mais il n’est pas du tout exclu que le mouvement populaire puisse annuler cette élection par une mobilisation massive, comme cela a été fait déjà deux fois. Dans tous les cas, si un président entre guillemets [coopté par l’armée plutôt que choisi par les urnes] est élu, il n’aura pas la légitimité pour reconstruire un État de droit et de démocratie tel qu’exigé par le peuple », confie à Jeune Afrique celui qui s’était présenté à l’élection présidentielle de 2014, avant de se rétracter après la décision d’Abdelaziz Bouteflika de se représenter pour un quatrième mandat.

Vu la grande mobilisation que j’ai observé durant les dernières marches du vendredi, le peuple paraît déterminé à faire tomber le régime

Mohand Arezki Ferad, universitaire et ex-député du Front des forces socialistes (FFS) dans la wilaya de Tipaza, n’est pas non plus convaincu par l’opportunité d’une élection dans les conditions actuelles. « Vu la grande mobilisation que j’ai observé durant les dernières marches du vendredi, le peuple paraît déterminé à faire tomber le régime. Je ne pense pas que le scrutin présidentiel aura lieu le 12 décembre prochain, car il n’y a pas de volonté politique, et aucune mesure d’apaisement n’a été prise. Au contraire, les arrestations se sont multipliées ces dernières semaines. Le pouvoir utilise la force et ne croit qu’en la solution sécuritaire, alors que la crise nécessite une solution politique », estime ce militant.

Dans sa course contre la montre, le régime a même ignoré les préalables formulés par ses propres relais – comme le panel de dialogue et de médiation – , dont la nécessité de procéder à la libération de tous les détenus du hirak et de cesser la répression à l’égard des manifestants. Face à l’intransigeance du pouvoir, le coordonnateur Karim Younès a toutefois fini par accepter de mener sa mission sans aucun préalable.

Des manifestants dans les rues d'Alger, vendredi 13 septembre 2019 (image d'illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Des manifestants dans les rues d'Alger, vendredi 13 septembre 2019 (image d'illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Benflis et Tebboune, candidats consensuels ?

L’autre défi qui se pose au commandement de l’armée est de trouver aujourd’hui des candidats susceptibles de crédibiliser ce scrutin. Un postulant émanant des rangs du Front de libération nationale (FLN) ou du Rassemblement national démocratique (RND), deux partis de la majorité pro-Bouteflika, ne ferait que renforcer le doute sur la possibilité d’un changement.

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Il reste l’éventualité de la participation de certaines personnalités issues du régime, mais qui ont rejoint l’opposition au cours des dernières années. Ali Benflis, ex-chef du gouvernement et président de Talaie El Hourriyet, pourrait être ce joker. D’autant qu’il s’est dit, lundi 16 septembre, favorable à la tenue d’un rendez-vous électoral qu’il qualifie de « déterminant ». Les conditions institutionnelles et procédurales mises en place répondent, selon lui, « aux critères acceptables pour la tenue du scrutin, tout comme elles garantissent au peuple algérien, globalement, la libre expression de sa volonté et l’élection du futur président en toute souveraineté ».

Le nom de l’ex-Premier ministre Abdelmadjid Tebboune a également été évoqué. Sa volonté de restreindre les importations, de contrôler rigoureusement les transactions touchant les marchés publics, ainsi que ses attaques contre les hommes d’affaires proches du clan Bouteflika, étaient à l’origine de son limogeage le 15 août 2017, trois mois seulement après sa nomination. Son profil pourrait donc être compatible avec la stratégie de lutte anti-corruption au centre des discours du général Gaïd Salah.

Les islamistes dans les starting-blocks

Les partisans de la tenue d’un scrutin dans les plus brefs délais pourraient compter, en outre, sur la mouvance islamiste. « Tous les partis islamistes que nous avons écoutés, y compris ceux que nous n’avons pas rencontrés mais qui nous ont envoyé leurs propositions, s’apprêtent à présenter des candidats », a révélé en début de semaine Amar Belhimeur, président de la commission politique de l’Instance nationale de médiation et de dialogue.

Une autre inconnue concerne le climat dans lequel pourrait se dérouler la campagne électorale. Étant donné les difficultés actuellement rencontrées par les représentants de l’État, du ministre au wali, chassés par la population lors de chaque déplacement à l’intérieur du pays, cette dernière pourrait se révéler un véritable parcours du combattant pour les candidats.