C’est une affaire emblématique du climat financier au Ghana. Pas moins de 61 chefs d’accusation visent Nana Appiah Mensah, le PDG de la concession d’or et entreprise d’investissements Menzgold, parmi lesquels « blanchiment d’argent », « fraude », « prise de dépôts illicites » ou encore « commerce de minerais sans licence ». En jeu, les 1,68 milliard de cedis (278 millions d’euros) collectés auprès de 16 001 individus.
De 2014 à 2018, Menzgold proposait à ses investisseurs des taux d’intérêt de 7 à 10% mensuels sur les dépôts en or, une offre alléchante directement accessible depuis son site web. Bien plus généreuse que ce qu’offraient les banques traditionnelles. Redoutant un système de Ponzi, les avertissements de la Banque centrale du Ghana (BoG), puis ceux du département des investigations criminelles de la police, se sont multipliés.
Il aura fallu attendre 2018 avant que les activités de Menzgold ne cessent. Après une brève cavale à l’étranger, Nana Appiah Mensah est finalement de retour au pays depuis le 11 juillet 2019. Libéré sous caution le 6 août dernier, il prépare désormais sa défense.
Réformes en profondeur
Si la saga Menzgold est un cas extrême, elle témoigne des graves dérives du secteur financier au Ghana. C’est en décembre 2015 que la sonnette d’alarme est tirée pour la première fois. À l’issue d’un audit co-réalisé par le Fonds monétaire international (FMI) et la BoG, de graves dysfonctionnements sont mis à jour : absence de régulation et de contrôle, manque de liquidités aux capitaux de plusieurs banques majeures, activités frauduleuses. Le diagnostic de l’audit est sans appel : plusieurs banques ont des défauts d’approvisionnements substantiels.
Depuis, la Banque of Ghana et le Fonds monétaire international ont convenu d’une feuille de route visant à redresser les fonds propres des banques.
C’est sous le mandat de Nana Akufo-Addo que le gouvernement, dans le cadre de cette feuille de route, s’engage à un sauvetage, rachetant de la dette aux banques, aux sociétés d’épargne, puis de micro-finance, afin de renflouer les investisseurs. Il force des institutions financières à se recapitaliser et des banques à fusionner.
Les banques rurales dans le viseur de l’État
Quatre ans plus tard, ce sont près de 6 milliards de dollars qui ont été mis sur la table par l’État, et 420 institutions financières qui ont été fermées par la BoG. Et, à mesure que les autorités creusent, de nouveau problèmes se font jour. Après les grandes banques, l’État s’est penché sur les sociétés de micro-finance. Désormais, c’est au tour des banques rurales.
« Le secteur financier était en complet désordre ! Il y avait trop d’acteurs. Certains n’étaient pas enregistrés, ni régulés. Certains prenaient des dépôts sans licence, n’avaient pas les structures de gouvernance adéquates ou même siphonnaient de l’argent d’une institution à l’autre », liste Peter Quartey, professeur d’économie à l’Université du Ghana.
En arrivant au pouvoir début 2017, Nana Akufo-Addo hérite de ce désordre. Il crée un Conseil fiscal et un Conseil de stabilité financière, édicte de nouvelles règles concernant la capitalisation des banques, et rachète de la dette.
Investisseurs bloqués
« La situation s’est maintenant stabilisée et nous devons nous féliciter de l’ordre qu’ont essayé de ramener les autorités dans le système bancaire », nous confiait en mars dernier le Dr. Touna Mama, représentant du FMI à Accra, au moment de clôturer le programme de l’institution de Bretton Woods au Ghana. « Ce qu’il reste à faire aujourd’hui, c’est de permettre aux investisseurs de récupérer leur argent », poursuit Peter Quartey.
Ils seraient environ 70 000 à attendre de récupérer environ 9 milliards de cedis (1,5 milliard d’euros) : « L’impact sur l’économie est grave, car les investisseurs ne peuvent pas récupérer leurs liquidités. Certains entrepreneurs ne peuvent pas accéder à leur capital, et des usagers n’ont plus accès à leur argent. Or, certains en ont besoin pour envoyer leurs enfants à l’école, d’autres pour assurer leur retraite, ou encore pour payer des frais médicaux », déplore l’économiste.
21 fonds spéculatifs visés par la SEC du Ghana
Autant de liquidités qui ne sont pas réinjectées dans l’économie. L’État ghanéen n’a pas les moyens de tout prendre en charge. « Mais les investisseurs institutionnels, ou bien les déposants de moyenne et haute classe, n’ont pas encore été réglés. Et c’est le problème. Si le gouvernement pouvait instaurer un tribunal spécial pour régler ces problèmes financiers, on aurait des procès plus rapides, et les gens pourraient être payés plus rapidement », suggère Peter Quartey.
La Security and Exchange Commission (SEC), l’organe ghanéen de régulation des marchés financiers, enquête actuellement sur 21 gestionnaires de fonds spéculatifs. Il pourrait s’écouler des années avant que les premiers jugements ne soient rendus.
Le secteur bancaire devient un enjeu électoral
Ni le New Patriotic Party (NPP, au pouvoir) ni le National Democratic Congress (NDC, précédente administration) ne veulent assumer la responsabilité du chaos ambiant. D’autant qu’en 2020, les Ghanéens devront élire leur prochain président, et que la campagne a déjà commencé.
« Près de 20 000 personnes ont perdu leur emploi en raison de la fermeture de 420 institutions financières. Et c’est sans compter les emplois indirects. D’ici que l’on fasse ce calcul, ce seront 40 000 à 50 000 personnes qui pourraient avoir perdu leur emploi », a asséné fin août l’ancien président John Mahama (NDC), pointant la responsabilité de la BoG.
Six milliards de dollars ont été mis sur la table pour sauver les banques
Quelques jours plus tard, l’actuel vice-président (NPP) Mahamudu Bawumia se défendait. « Le problème dans le secteur bancaire était connu dès 2014, et même avant. C’est une chose à laquelle le président [John] Mahama et son gouvernement [NDC, 2012-2016, ndlr] auraient dû penser. Lorsque nous étions dans l’opposition, des données laissaient déjà entendre que huit banques pouvaient s’effondrer. Et rien n’a été fait ».
De l’argent pour les banques
Et les joutes de continuer. Début septembre, c’est au tour du député d’opposition Isaac Adongo (NDC) de tirer à vue : « Pourquoi le gouvernement serait-il prêt à emprunter 14 milliards de cedis pour fermer des banques, 7 milliards pour fermer des sociétés d’épargne et de prêt, 2 milliards pour fermer des entreprises de micro-finance, mais n’est pas prêt à utiliser une partie de ces sommes pour payer les dettes du gouvernement envers les entrepreneurs, [dettes] qui ont largement contribué à l’insolvabilité de certaines banques ? ».
Pour Peter Quartey, le problème n’est pas aussi simple. « Oui, 6 milliards [de dollars, ndlr] ont été mis sur la table pour sauver les banques. Mais ce n’est pas gratuit, il s’agit de bonds qui vont être repayés. Si vous regardez les administrations précédentes, beaucoup d’argent avait déjà été donné par la BoG pour soutenir les banques. Et certaines d’entre elles s’en étaient servi pour créer ou renflouer des entreprises sœurs », souligne l’économiste, qui estime que « beaucoup d’argent a été donné par le passé, beaucoup plus, d’ailleurs, que ce qui a été dépensé pour le sauvetage actuel ».
Nana Akufo-Addo acculé
Dans une note publiée cet été, la BoG a prorogé jusqu’à février 2020 le délai accordé aux banques rurales et communautaires pour se recapitaliser. Elles avaient jusqu’à juin pour porter leurs capitaux à 2 millions de cedis (330 000 €).
« Cette décision est avant tout stratégique », analyse Peter Quartey. « Il s’agit surtout de gagner du temps pour régler les problèmes actuels, et aussi pour prendre du recul sur le secteur rural. Et aussi, pour chercher de l’argent. Puisqu’il faudra aussi de l’argent pour renflouer les déposants de certaines de ces institutions financières rurales », ajoute l’universitaire.
Or, du temps, le président Akufo-Addo en manque avant les élections l’année prochaine. Sa cote de popularité continue de s’éroder, alors que les promesses électorales de 2016 peinent à être tenues.