Habib Bourguiba était le fils de Monastir sur la côte Est, Zine el Abidine Ben Ali de Hammam Sousse, à une trentaine de kilomètres plus au Nord. Depuis l’indépendance, il n’y a pas que les présidents du pays qui venaient de cette zone côtière privilégiée appelée le Sahel. Beaucoup de ministres et hauts fonctionnaires étaient aussi issus de cette région, zone d’influence et vivier politique, qui a de fait longtemps bénéficié d’avantages économiques.
Or, depuis la révolution, la prévalence sahélienne a commencé à s’éroder. Si bien qu’on a vu un président tunisois, feu Béji Caïd Essebsi, remporter l’élection présidentielle de 2014. Arrivé en 2016 à la tête du gouvernement, Youssef Chahed, actuel candidat à la magistrature suprême, est également issu des cercles privilégiés de la capitale. Un parjure pour certains Sahéliens, tandis que d’autres assurent que ces vieilles divisions n’ont plus lieu d’être. Alors, quelle place accorder aujourd’hui à l’origine géographique des prétendants à Carthage ?
Dix candidats tunisois sur 26
La conquête du palais présidentiel depuis Tunis n’est plus exclue. C’est même devenue une tendance, à en croire le nombre de candidats qui y sont nés. Pour la présidentielle 2019, sur les 26 concurrents, dix y ont vu le jour. Ennahdha, dont bon nombre de cadres viennent de Sousse, s’est choisi une tête d’affiche tunisoise en la personne d’Abdelfattah Mourou. Ses défenseurs veulent y voir un gage de proximité avec le peuple.
Le constitutionnaliste Kaïs Saïed (indépendant), l’un des favoris des sondages, vient aussi de la capitale, tout comme Youssef Chahed (Tahya Tounes), Mohamed Abbou (Attayar), Selma Elloumi Rekik (Al Amal), Hatem Boulabiar (indépendant, ex-Ennahdha), Saïd Aïdi (Beni Watani), Elyes Fakhfakh (Ettakatol), Seifeddine Makhlouf (indépendant), et Omar Mansour (indépendant).
Mourou se targue d’avoir grandi rue El Lagha, du côté de la Medina, et d’être issu d’une famille populaire
Autre ville importante, Bizerte, tout au Nord, à une soixantaine de kilomètres de Tunis, a vu naître Nabil Karoui (candidat de Qalb Tounes, actuellement emprisonné) et Slim Riahi (d’Al Watan Al Jadid, qui fait campagne depuis l’étranger).
Certains soulignent toutefois la différence entre les beldiya (vieille élite tunisoise), ou les notables nés dans la banlieue chic (Carthage, Gammarth, La Marsa), véritable bulle, et ceux qui auraient passé leur enfance dans le centre-ville de Tunis. Mourou se targue ainsi d’avoir grandi rue El Lagha, du côté de la Medina, et d’être issu d’une famille « populaire », selon son entourage.
La bataille du Sahel
La bataille électorale promet d’être rude également dans le Sahel, dont cinq concurrents sont originaires. L’ex-chef du gouvernement Hamadi Jebali, ex-nahdhaoui et désormais candidat indépendant, active ainsi depuis plusieurs années ses réseaux dans sa ville de Sousse. Néji Jalloul (indépendant également) vient lui de Bekalta, un peu plus au Sud. Abir Moussi, la nostalgique de Ben Ali et leader du Parti destourien libre (PDL), de Jemmal. Toujours plus au Sud, deux candidats proches sur l’échiquier politique, Mehdi Jomâa et Abdelkrim Zbidi, sont issus de Mahdia et ses environs, et pourraient se disputer de très près son électorat.
Seul Mohsen Marzouk (Machrou Tounes) vient de Mahares dans la région de Sfax, deuxième ville du pays et véritable poumon économique, bien que délaissée par rapport à la côte sahélienne. Les réseaux d’affaire de cette ville peuvent pourtant être d’un précieux secours pour les prétendants au palais de Carthage et les partis. Nombre de candidats y ont d’ailleurs démarré leur campagne.
L’intérieur et les zones frontalières sous-représentés
Sans surprise, proportionnellement peu de candidats (sept au total, dont Hamma Hammami du Front populaire, né à El Aroussa, et Hechmi Haamdi du Courant de l’amour, né à Sidi Bouzid) sont originaires des régions de l’intérieur, une zone pourtant très étendue, ou des espaces frontaliers avec l’Algérie (comme Mongi Rahoui, lui aussi du Front populaire) et avec la Libye (comme Abid Briki, du mouvement Tunisie en avant), historiquement délaissés. Ce sont principalement des indépendants : Mohamed Lotfi Mraïhi (Hidra), Ahmed Safi Saïd (El Guettar), Mohamed Sghaier Nouri (Sidi Bouzid).
L’appartenance géographique des chefs et présidentiables des partis sera également déterminante dans la conquête de terrain pour les élections législatives
Cette répartition est toutefois à nuancer car certains candidats, bien qu’étant nés ou ayant grandi dans telle ou telle ville, ont parfois des origines familiales ou attaches professionnelles dans d’autres. Ils peuvent donc disputer plusieurs fiefs.
L’appartenance géographique des chefs et présidentiables des partis sera également déterminante dans la conquête de terrain pour les élections législatives attendues le 6 octobre. Bien que là aussi, l’origine ne fait pas tout. L’ex-chef de l’État Moncef Marzouki, nommé en 2011 et candidat malheureux à sa succession en 2014, né à Grombalia dans le Nord, y posséderait ainsi encore de solides soutiens, liés davantage à sa coloration politique.

Parmi les candidats à l'élection présidentielle du 15 septembre, dix candidats sur 26 proviennent de la capitale Tunis. © Jeune Afrique