« Mauvaise troupe » : du Mali à la Centrafrique, enquête sur la dérive des jeunes recrues de l’armée française

Les journalistes françaises Justine Brabant et Leïla Miñano ont enquêté au plus près de l’armée française, sur ses nouvelles recrues. Dans « Mauvaise troupe », elles racontent le quotidien de ces jeunes soldats souvent mal informés, parfois envoyés dans la précipitation sur les opérations extérieures africaines.

Des soldats français patrouillent près de Bangui, en Centrafrique, le 6 janvier 2014. © AP/SIPA

Des soldats français patrouillent près de Bangui, en Centrafrique, le 6 janvier 2014. © AP/SIPA

Publié le 17 septembre 2019 Lecture : 8 minutes.

« C’était un cauchemar. On ne savait plus où était le bien et le mal. » C’est par ces mots qu’un jeune soldat français choisit de décrire l’opération Sangaris, déployée en Centrafrique de 2013 à 2016 pour protéger les populations civiles.

Au travers d’une longue enquête auprès des nouvelles recrues de l’armée française, Mauvaise Troupe décrit le quotidien de ces jeunes soldats recrutés à tour de bras par une armée française qui peine à séduire, au-delà d’un éphémère effet « post-Charlie ». Après les attentats qui ont touché le pays en 2015, la France « en guerre » lance l’opération Sentinelle, qui mobilise quotidiennement entre 7 000 et 10 000 soldats sur le territoire français.

Certaines de ces « sentinelles » seront par la suite propulsées à l’étranger, sur des terrains d’opération complexes auxquels ils ne comprenaient pas grand-chose, au Mali ou en Centrafrique. Des missions aux mandats mal définis, où ces jeunes biberonnés aux jeux vidéos, qui se rêvent en héros et affichent fièrement leur vie de jeunes soldats sur les réseaux sociaux, découvrent l’horreur… ou y participent.

L’enquête décrit une armée « à bout de nerfs », « cassée par les cadences infernales » des Opérations militaires extérieures (Opex) qui s’enchaînent. Surtout, elle revient sur une suite de dérives et de crimes commis en terres étrangères et restés largement impunis. Et démontre comment l’armée préfère se débarrasser, en silence, comme des « Kleenex », des soldats qui rentrent traumatisés de leurs missions.

Leïla Miñano (gauche) et Justine Brabant (droite) à Paris, le 11 septembre 2019. © Marième Soumaré

Leïla Miñano (gauche) et Justine Brabant (droite) à Paris, le 11 septembre 2019. © Marième Soumaré

Jeune Afrique : Une grande partie de votre livre est consacrée à l’opération Sangaris, en Centrafrique : pourquoi lui avoir accordé une place aussi importante ? Que dit-elle des dérives observées chez les jeunes recrues que vous relatez dans votre enquête ?

Leïla Miñano : L’idée de ce livre nous vient justement de la Centrafrique. En travaillant sur les accusations de viols contre des enfants dans ce pays [avec Anne-Laure Pineau, les deux journalistes ont publié, en 2017, le livre Impunité zéro. Violences sexuelles en temps de guerre : l’enquête, ndlr], nous nous sommes rendu compte de la présence sur le terrain de militaires très jeunes, qui ne savaient pas bien ce qu’ils faisaient là. On lisait dans les procès-verbaux des phrases comme « J’ai eu la belle vie là-bas », ou des détails de leurs sorties en boîte de nuit. Ça a attisé notre curiosité et nous sommes parties à la recherche des jeunes qui avaient pu se rendre coupables de certaines de ces exactions.

En Centrafrique, des jeunes se sont subitement retrouvés confrontés à des crimes de guerre, dans une situation chaotique

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Justine Brabant : Je pense que la Centrafrique a été le dernier maillon d’une chaîne qui a fait craquer l’armée. Mises bout à bout, les opérations Sentinelle, Sangaris, puis Serval au Mali [qui deviendra Barkhane en août 2014, ndlr], ont peu à peu tiré sur la corde. Le livre suit par exemple la section d’une compagnie où 15 des 30 jeunes déployés venaient de terminer leurs classes [formation de base des nouvelles recrues, ndlr]. En matière d’effectifs et de temps de préparation des soldats, Sangaris a été l’opération de trop.

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