La tenue d’une élection présidentielle anticipée suite au décès du président Béji Caïd Essebsi a inversé le calendrier électoral et induit une accélération des procédures. Mais il aurait fallu plus qu’un bouleversement d’agenda pour décourager les postulants à la présidence de la République. Depuis l’ouverture, vendredi 2 août, des dépôts de candidatures, quelque 98 candidats se sont présentés à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).
Vendredi 9 août a été le point d’orgue de cette semaine mouvementée. Sous un soleil de plomb, médias et foule des grands jours attendaient, au siège de l’Isie, l’arrivée de deux importants candidats auto-proclamés : le chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui a officialisé jeudi son entrée dans la course à Carthage, et Abdelfattah Mourou, membre du bureau exécutif d’Ennahdha et président par intérim de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) – depuis que le titulaire du poste, Mohamed Ennaceur, a prêté serment pour remplacer provisoirement à la tête de l’État le président décédé Béji Caïd Essebsi. Le second est venu accompagné notamment du chef de son parti, Rached Ghannouchi.

Le chef du gouvernement Youssef Chahed déposant sa candidature à l'élection présidentielle, vendredi 9 août 2019 à Tunis. © Hassene Dridi/AP/SIPA
Les dynamiques Zbidi et Mourou
En attendant la validation de la conformité des dossiers par l’Isie, qui procédera à la validation définitive au plus tard le 31 août, les contours de la compétition se précisent. Sur la ligne de départ, plusieurs grosses pointures. Officialisée mercredi, la candidature d’Abdelkrim Zbidi, médecin et ministre de la Défense qui a d’ores et déjà remis sa démission du gouvernement, le range parmi les favoris.
Selon les analystes au fait des derniers sondages – qui ne peuvent être publiés conformément à la loi électorale – , celui-ci risque de grignoter l’électorat de l’ex-benaliste Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), mais aussi celui du chef de l’exécutif Youssef Chahed – qui a quant à lui décidé de rester en poste jusqu’à la tenue du scrutin.
Abdelfattah Mourou va en toute probabilité creuser l’écart en récupérant les voix de certains conservateurs qui ne se sont finalement pas présentés
L’indécision de ce dernier à se présenter, et la révélation par certains médias tunisiens des négociations qu’il a entamées avec Ennahdha, ont impacté son électorat. Il aura d’ailleurs à affronter Abdelfattah Mourou, un vieux briscard de la politique qui ne s’en laisse jamais conter.
Le candidat d’Ennahdha va en toute probabilité creuser l’écart en récupérant les voix dont aurait pu bénéficier le non-partant Hamadi Jebali, ancien dirigeant du parti à la colombe, ou encore celle de Mohamed Abbou, candidat du Courant démocratique (Attayar). Tous devront cependant compter avec Nabil Karoui, fondateur du parti Kalb Tounes, donné comme incontournable depuis mai 2019, tout comme le constitutionnaliste Kaïs Saïed, qui a finalement réussi in extremis à obtenir suffisamment de signatures d’électeurs pour parrainer sa candidature.
« C’est à n’y rien comprendre ! »
Si quelques figures connues se présentent, tels Hamma Hammami, secrétaire général du Front populaire, ou encore l’ancien président Moncef Marzouki, d’autre porte-voix de partis historiques, comme Néjib Chebbi (Joumhouri) et Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol), se sont finalement désistés après avoir annoncé leur candidature, faute de soutiens. Il en a été de même pour Slim Riahi, homme d’affaires et ancien président controversé de l’Union patriotique libre (UPL), toujours à l’étranger et contre lequel a été émis un mandat de recherche.
D’autres profils sont plus atypiques. Ils couvrent tout le spectre politique et même au-delà ; depuis l’avocat Mounir Baatour, premier candidat ouvertement homosexuel et défenseur de la cause LGBT, jusqu’à des figures radicales comme Mohamed Amine Agrebi, alias Recoba, l’un des activistes-clés de la Ligue de protection de la révolution, une milice pro-islamiste interdite. On retrouve également les éternels candidats tels que le milliardaire Hechmi Hamdi, fondateur du Courant de l’amour, qui en est à sa troisième candidature depuis 2011.
Avec pléthore de prétendants, la machine électorale est en route, mais il faut qu’elle décante. « Il est prématuré d’émettre des conclusions. Les combinaisons annoncées ne respectent pas les grilles de lecture rationnelle. C’est à n’y rien comprendre ! », commente pour Jeune Afrique le politologue Larbi Chouikha.

Mounir Baatour, candidat LGBT à l'élection présidentielle tunisienne. © Hassene Dridi/AP/SIPA
Risque d’éparpillement des voix
Pour faire la différence, les candidats auront du 2 au 13 septembre pour mener une brève mais intense campagne électorale, qui précisera les tendances lors du premier tour programmé dimanche 15 septembre. En attendant, la multiplication des candidatures pourrait avoir pour conséquences un éparpillement des voix. Ce morcellement au sein des grandes familles électorales, aussi bien islamistes que progressistes, est accentué par les réticences des candidats à se désister ainsi que des batailles d’égo.
Un tel scénario inquiète les partis politiques, qui craignent que le premier tour de cette présidentielle anticipée ait un effet d’entraînement sur le scrutin législatif qui suivra le 6 octobre. Pour se maintenir dans la course et surtout dans l’espoir d’intégrer la future majorité, des négociations de l’entre-deux-tours auront forcément lieu en fonction du poids électoral de chacun, ce qui influencera les consignes de report pour le second tour, qui se tiendra vraisemblablement après les législatives. Le casse-tête ne fait que commencer…