Politique

Présidentielle en Tunisie : le casse-tête des parrainages

Alors qu’une trentaine de candidats au scrutin présidentiel du 15 septembre ont déposé leur dossier auprès de l’Instance indépendante pour les élections (Isie), et que les autres ont jusqu’à vendredi pour le faire, partis et indépendants bataillent pour récolter les parrainages nécessaires. Quelle est leur stratégie ?

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:39

L’option favorite des candidats est de rassembler le parrainage de 10 000 électeurs (image d’illustration). © Hassene Dridi/AP/SIPA

La voix est enthousiaste, la tonalité pressée. Depuis quelques semaines, Rim Ben Hassen, présidente de l’organisation des jeunes du parti Al Badil (dirigé par l’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomâa), enchaîne les réunions. La trentenaire fait en effet partie de l’équipe de campagne de sa formation.

Elle multiplie les rendez-vous, vérifie chaque détail et échange presque quotidiennement avec les antennes régionales. Le but : s’assurer d’obtenir les 10 000 parrainages citoyens nécessaires à Mehdi Jomâa pour pouvoir déposer sa candidature à l’élection présidentielle du 15 septembre.

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Initialement prévu en novembre, le scrutin a été avancé après le décès du président en exercice Béji Caïd Essebsi. Un changement pris avec philosophie par Rim Ben Hassen : « Au final, cela nous a permis de tester nos capacités de mobilisation, et nous avons pu jauger la réactivité de nos militants », relativise-t-elle.

Un constat partagé par Motaz Bellakoud, du bureau national d’Attayar – le parti du candidat Mohamed Abbou : « Le décès de Béji Caïd Essebsi nous a certes incité à accélérer notre collecte des parrainages, mais nous avons commencé à travailler à cela depuis le mois de juin dernier. Nous étions prêts à parer à tout imprévu, y compris la mort du président en exercice », assure-t-il.

Le parrainage citoyen, solution privilégiée

À travers son article 41, la loi organique relative aux élections et aux référendums offre trois possibilités aux aspirants à la magistrature suprême. En effet, ils peuvent être parrainés par au moins dix députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Deuxième option, ils sollicitent l’accord de quarante présidents de conseil de collectivités locales – élus en 2018, ceux-ci sont pour la plupart des indépendants. Enfin, troisième choix, les candidats sont parrainés par « dix milles électeurs (10 000) inscrits et répartis sur au moins dix circonscriptions électorales, à condition que leur nombre ne soit pas inférieur à cinq cent (500) électeurs dans chacune de ces circonscriptions ».

Nous avions les dix parrainages des députés, mais nous avons préféré aller au contact direct des citoyens

Cette dernière possibilité séduit particulièrement les formations politiques, qui voient dans ce choix législatif un moyen de faire participer les citoyens à leurs campagnes électorales. « Concrètement, les dix parrainages des députés, nous les avions, souligne Rim Ben Hassen. Mais nous avons préféré aller au contact direct des Tunisiens, pour les convaincre de parrainer notre candidat. Vu les résultats obtenus, nous pouvons affirmer que cette opération a été un franc succès, puisque nous avons fait exploser le chiffre en recueillant plus de 38 000 parrainages. »

Même tendance chez les dirigeants d’Attayar, qui ont fait le choix dès le début de s’adresser aux citoyens pour obtenir les parrainages. « Cette action nous permet d’évaluer notre travail depuis la création de notre parti en 2013, analyse Motaz Bellakoud. La principale satisfaction a émané de la réaction des citoyens quand nous leur avons proposé de parrainer notre candidat. Nous avons découvert que Mohamed Abbou jouit d’une excellente réputation chez les électeurs ! Même ceux qui ne vont pas voter pour lui étaient prêts à le parrainer car ils le respectent. Nous avons d’ailleurs facilement obtenu les 10 000 parrainages », se réjouit-il.

Mohamed Abbou, fondateur du Courant démocrate (Attayar). © Ons Abid pour JA

Mohamed Abbou, fondateur du Courant démocrate (Attayar). © Ons Abid pour JA

Course contre la montre pour l’Isie

Cette « ruée » vers les parrainages citoyens n’arrange pas vraiment les affaires de l’Instance supérieure indépendantes pour les élections (Isie), qui s’occupe de toutes les étapes de l’opération électorale. En effet, l’Isie se doit de certifier l’authenticité de chaque parrainage citoyen, en vérifiant si la personne existe réellement, si elle est bien inscrite sur les listes électorales, et si elle n’a pas déjà parrainé un autre candidat.

Un véritable travail de fourmi auquel semble s’être préparée l’Instance, selon une source interne de bon niveau : « Pour gérer l’authenticité des parrainages, nous avons mis en place une unité de contrôle composée d’informaticiens et de certains de nos salariés. Celle-ci vérifie par exemple que la personne était bien vivante au moment d’accorder son soutien. »

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Autre détail organisationnel important, l’Isie authentifie au fur et à mesure les parrainages, pour être sûr de traiter en temps voulu chaque dossier. « Concrètement, dès qu’un candidat dépose sa candidature, ses documents sont transmis à l’unité de contrôle, qui authentifie les parrainages. Cela nous permet d’espacer notre travail, et de ne pas être soumis à de fortes contraintes les derniers jours », souligne notre source.

Cette tâche de vérification se heurte cependant aux candidatures loufoques présentées par des inconnus, dont l’objectif est manifestement de susciter le buzz. La manière de procéder de l’Isie, qui accuse réception de la candidature avant la vérification des conditions formelles (âge minimum de 35 ans, dépôt d’une caution de 10 000 dinars [2 900 euros] et nombre de parrainages suffisant), facilite le coup d’éclat médiatique de ces prétendants.

Plusieurs candidats en difficulté

La mort du président Caïd Essebsi a révélé au grand public la capacité de mobilisation des différentes formations politiques non représentées au Parlement, qui ont été obligées dans des délais très courts d’occuper le terrain pour obtenir les parrainages des citoyens. Les partis les mieux organisés, et les plus implantés dans tout le territoire national (dont les formations Attayar et Al Badil), ont réussi à relever le défi dans un laps de temps assez réduit.

Kaïes Saïed a dénoncé un présumé détournement de formulaires de parrainages citoyens

En revanche, les formations peu implantées, ou qui viennent de subir de graves crises internes, dont la coalition d’extrême gauche Front populaire, ont payé le prix de cette instabilité dans la capacité à récolter les parrainages. Pour ces partis, c’est une véritable course contre la montre qui s’est engagée pour obtenir les 10 000 parrainages nécessaires pour présenter un candidat.

Preuve s’il en est que l’accélération du calendrier électoral a chamboulé la préparation des candidats, une polémique a éclaté quant à un présumé détournement de formulaires de parrainages citoyens. La victime, Kaïes Saïed, enseignant en droit constitutionnel à la faculté de droit de Tunis et l’un des favoris des sondages, a ainsi affirmé que des formulaires de parrainage qui lui étaient destinés ont été dérobés au profit d’autres candidats.