Sénégal : « La justice veut maintenir Adama Gaye en prison le plus longtemps possible »

L’ancien journaliste Adama Gaye a été transféré mercredi à la prison de Rebeuss. En cause : des écrits publiés sur Facebook, qui lui valent les accusations d’« offense au président de la République » et d’« atteinte à la sûreté de l’État ». Son avocat Seydou Diagne dénonce des accusations « fantaisistes » visant à faire taire ses critiques trop virulentes envers le président Macky Sall. Interview.

Le journaliste Adama Gaye (g.), et le président sénégalais Macky Sall. © Photomontage / Photos : DR (Copie écran Facebook Adama Gaye) / Bruno Levy pour Jeune Afrique

Le journaliste Adama Gaye (g.), et le président sénégalais Macky Sall. © Photomontage / Photos : DR (Copie écran Facebook Adama Gaye) / Bruno Levy pour Jeune Afrique

Publié le 1 août 2019 Lecture : 4 minutes.

De gauche à droite : l’hommes d’affaires Frank Timis, Aliou Sall et Macky Sall, le président sénégalais. © Photomontage / Photos : K. Lathigra pour JA / Youri Lenquette pour JA /   Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour JA
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Aliou Sall-Frank Timis : l’affaire qui secoue la présidence sénégalaise

Le Sénégal est-il frappé par la « malédiction du pétrole » ? Depuis bientôt cinq ans, l’attribution de concessions d’exploration gazière et pétrolière à l’homme d’affaires controversé Frank Timis fait polémique. En cause, le rôle joué en coulisses par Aliou Sall, le frère cadet du président sénégalais, qui alimente les soupçons de népotisme, de conflits d’intérêts et de corruption. Retrouvez ici nos articles sur le « PetroGazGate », cette affaire d’État sur fond d’hydrocarbures.

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C’est lui-même qui avait alerté sur son arrestation. Lundi 29 juillet, à 7 heures du matin, Adama Gaye publiait trois messages lapidaires pour annoncer qu’il était en voie d’être arrêté par la Division des affaires criminelles (DIC).

Depuis plusieurs semaines, l’ancien journaliste – il a notamment collaboré à Jeune Afrique dans les années 1990 – publiait sur les réseaux sociaux, de manière presque quotidienne, des messages, parfois très longs, pour critiquer le président Macky Sall.

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Dans le viseur d’Adama Gaye, les soupçons de corruption qui pèsent sur le frère du chef de l’État, Aliou Sall, soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin dans l’attribution de contrats d’exploration d’hydrocarbures.

N’hésitant pas à accuser le chef de l’État de voleur, Adama Gaye publiait régulièrement des messages virulents sur la gestion de la manne pétrolière du Sénégal par l’État, en insistant sur sa propre connaissance du sujet et se prévalant d’un « master en gestion internationale de pétrole et gaz » et d’un « certificat en pétrole » d’un institut international de droit américain.

Mais ses messages « fleuris » s’écartaient parfois de l’actualité politique pour verser dans des considérations plus intimes, touchant à la vie privée du président sénégalais. Le délit de « diffusion d’écrits contraires aux bonnes mœurs » n’a toutefois pas été retenu par le juge d’instruction devant lequel il a été déféré le 31 juillet.

Après l’avoir inculpé pour « offense au chef de l’État » et « atteinte à la sûreté de l’État », ce dernier l’a placé sous mandat de dépôt. « Un délit tout trouvé, quand on veut embastiller quelqu’un de gênant », selon l’un de ses proches.

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De leur côté, ses avocats évoquent des « accusations fantaisistes » et accusent la justice sénégalaise d’être aux ordres du pouvoir politique. Deux semaines après l’arrestation de l’activiste Guy Marius Sagna, qui s’est lui aussi positionné de manière critique sur la gestion des hydrocarbures, l’incarcération d’Adama Gaye fait débat au Sénégal.

Seydou Diagne, l’un de ses avocats, en expose les raisons à JA.

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Jeune Afrique : De quoi, précisément, votre client est-il accusé ?

Me Seydou Diagne : Le parquet lui a imputé une déclaration dans laquelle il tiendrait des propos injurieux contre Macky Sall. La justice estime que ces écrits menacent la sécurité du Sénégal et représentent une offense au président de la République.

Dans la publication en cause, il est question de bonne gouvernance et de la gestion des hydrocarbures. Mon client, en sa position de lanceur d’alerte, reconnaît ces propos. Il lui a également été reproché d’autres déclarations touchant notamment à des problèmes de mœurs, mais il les conteste.

Lors de son audition devant la police, Adama Gaye a affirmé que sont compte Facebook aurait été piraté. Nie-t-il avoir écrit certaines des publications, toujours visibles sur son profil Facebook, où il injurie Macky Sall ou évoque sa vie privée ?

Il a déclaré devant le juge ne pas reconnaître les déclarations qui touchent aux mœurs. Le reste concerne le secret de l’instruction.

Le ministre de la Justice Malick Sall a affirmé publiquement « assumer » la décision de la justice sénégalaise. Il a estimé que « fouler aux pieds les institutions de la République » ouvrait la voie à « la déstabilisation du pays »…

Ces déclarations représentent une violation grave de la présomption d’innocence par un individu qui n’est pas une autorité de la justice, mais une autorité administrative. Il a déclaré mon client coupable en mettant en cause son innocence. Et ce n’est pas le seul droit de mon client qui a été violé. En ouvrant une information judiciaire, la justice lui nie le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. L’État et la justice ont pour seul but de prolonger au maximum sa détention.

Quand pourrait-il être jugé ?

En invoquant l’atteinte à la sûreté de l’État, la justice s’assure que le mandat de dépôt soit illimité. Mon client ne pourra jamais obtenir sa liberté provisoire sans l’autorisation du procureur. C’est comme ça qu’on garde en détention ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime ! Désormais, sa libération dépend du fait du prince. Or, dans un État de droit, c’est aux juges de rendre la justice, et non au procureur.

Selon l’accusation, en quoi les déclarations d’Adama Gaye sont-elles susceptibles de déstabiliser le pays ?

Aujourd’hui, la justice nous dit : vous avez rédigé une publication sur Macky Sall, en l’occurrence vous avez menacé la stabilité du Sénégal. Mais l’atteinte à la sûreté de l’État, selon l’article 80 du code pénal, ce sont des « manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves ».

Un citoyen donne son avis, et on le poursuit sur la base d’un régime aussi draconien que celui de l’article 80. C’est une accusation purement fantaisiste, faite uniquement pour envoyer mon client en prison et l’empêcher de s’exprimer.

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