Depuis le début de l’offensive lancée le 4 avril par l’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, pour reconquérir Tripoli, ses troupes tentent de maintenir leurs positions aux abords de la capitale, sans parvenir à progresser.
En face, les forces loyales au Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU, essaient de les repousser, tout en peinant à reprendre du terrain au sud de Tripoli.
« L’incapacité d’un camp comme de l’autre à progresser militairement (…) les pousse à repenser autrement leurs tactiques militaires », explique Khaled al-Montasser, professeur à l’université de Tripoli. Les deux parties ciblent désormais « les bases arrière et les centres d’approvisionnement et de rassemblement des troupes » de l’adversaire « pour l’affaiblir », analyse-t-il.
Illustrant ce revirement tactique, les deux camps ont intensifié depuis vendredi leurs frappes aériennes à l’aide d’avions de combat et drones.
Samedi et dimanche, l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar a annoncé avoir bombardé « plus de dix cibles, soigneusement sélectionnées », dont l’Ecole militaire à Misrata, à 200 km à l’est de Tripoli. Selon le gouvernement de Tripoli, cinq médecins ont été tués dans ce raid.
Des frappes qui interviennent peu après celles menées vendredi par les forces pro-GNA contre la base d’al-Joufra – à 650 km au sud de Tripoli – un site stratégique pour les troupes du maréchal Haftar après la perte fin juin de leur base arrière à Gharyan.
« Nous avons l’ordre de libérer al-Joufra des milices Haftar. C’est une base d’approvisionnement importante pour ses forces », a affirmé Moustafa al-Mejii, porte-parole des forces du GNA.
« Le GNA espère une grande victoire comme celle de Gharyan », estime l’analyste libyen Jalal al-Fitouri. Reprendre al-Joufra permettrait d’ »isoler les forces de Haftar », juge-t-il.
De cette base décollent les avions et les drones du maréchal, affirme le général Oussama Juili, qui assure sur Facebook qu’elle est gardée par « des opposants soudanais et des mercenaires étrangers ». Les deux parties s’accusent mutuellement d’être soutenue par des pays étrangers.
Salamé appelle à la trêve
Face à cette nouvelle stratégie des belligérants, l’émissaire spécial de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, a appelé à une trêve d’ici le 10 août, date à laquelle est célébrée l’Aïd al-Adha, fête musulmane dite « du sacrifice ».
S’adressant au Conseil de sécurité de l’ONU depuis Tripoli, il a mis en garde contre la montée des tensions. « Les parties, ignorant les appels à la désescalade, ont intensifié les raids aériens, avec des frappes de précision par des avions et des drones », a-t-il constaté.
« La portée géographique de la violence s’est également étendue », s’est-il inquiété, avant d’exhorter à une trêve accompagnée de « gestes de confiance entre les parties, notamment l’échange de prisonniers et des dépouilles, et la libération de personnes en détention arbitraire ou forcée ».
L’émissaire onusien a proposé un plan en trois étapes au Conseil de sécurité: d’abord la mise en place d’un cessez-le-feu, puis une réunion « de haut niveau entre les pays concernés » par la crise libyenne pour faire respecter l’embargo sur les armes en Libye.
La dernière étape consisterait à réunir en Libye « les personnalités influentes du pays » pour « cimenter » un consensus, a-t-il conclu, sans donner plus de détails.
« Les risques d’une guerre d’usure ou d’une escalade vers un conflit armé sur les rives du sud de la Méditerranée sont également inacceptables », a-t-il martelé, exhortant les Libyens à ne plus tenter d’ »atteindre leurs objectifs par des moyens militaires ».
L’arrêt des combats ne peut pas « être différé indéfiniment », a-t-il insisté.
Mais, selon l’analyste Jalel Harchaoui,chercheur à l’Institut Clingendael de La Haye, « les factions libyennes ainsi que leurs mécènes étrangers sont convaincues du bien-fondé de la solution militaire. » « Chaque acteur, chaque décisionnaire espère que la violence lui permettra de gagner. Cet état d’esprit est inquiétant et dangereux », souligne-t-il.