À la tête du parti de l’indépendance, il aura tout connu du pouvoir et de ses affres. En vingt-trois ans, Ousmane Tanor Dieng aura goûté tour-à-tour à la domination de son parti sur la scène politique sénégalaise, à l’apprentissage douloureux de la défaite électorale, au basculement dans la voie inédite de l’opposition avant de se rallier à une mouvance présidentielle dont il n’aura jamais accepté de se défaire.
L’indétrônable chef du parti socialiste a finalement tiré sa révérence ce lundi 15 juillet 2019. Des rues de Dakar jusqu’à son village de Nguéniène, dans le département de Mbour, c’est toute la classe politique sénégalaise, ennemis, alliés, anciens compagnons de lutte et partisans de toujours, qui rend aujourd’hui un dernier hommage à celui qui incarna le parti socialiste pendant plus de deux décennies.
À l’heure du deuil et des adieux, les divisions qui ébranlent le parti sont pour un temps, sinon oubliées, du moins passées sous silence. De sa cellule de prison, le socialiste Khalifa Sall ne dit mot de son exclusion du parti fin 2017, ni de la crise qui divise la formation politique depuis plusieurs années. L’ancien maire de Dakar, qui se souvient d’un homme « sans concession sur ses convictions », rend hommage à celui « qui a rempli, avec responsabilité et courage, sa mission à la tête du Parti socialiste au moment où il faisait l’apprentissage de l’opposition ».
Résistance socialiste
- Jeune Afrique
Le président Wade a tout fait pour l’avoir
Khalifa Sall, militant de la première heure, était en effet aux côtés du secrétaire général du parti lorsque le PS a basculé dans l’opposition en 2000. Le président sortant Abdou Diouf est alors défait par l’opposant de toujours, Abdoulaye Wade, à la tête du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui vient offrir au Sénégal sa toute première alternance politique.
À ce moment-là, il ne fait pas bon s’afficher en tant que militant socialiste. Les cadres du partis fuient littéralement, désertent les rangs, certains passant du côté « ennemi », chez les libéraux. Dans le camp adverse, les vainqueurs ne reculent devant rien pour effacer le PS de l’échiquier politique.
Un ancien ministre d’Abdoulaye Wade se rappelle des efforts déployés par le PDS pour récupérer les responsables socialistes, Ousmane Tanor Dieng en tête. « Le président Wade a tout fait pour l’avoir, glisse-t-il, et il a entrepris plusieurs démarches dans sa direction. » Le chef du parti ne cédera pas, en dépit de l’hémorragie de cadres que subit le parti.
Stoïque, le technocrate Ousmane Tanor Dieng se révèle en animal politique
« On raconte qu’un jour, Ousmane Tanor Dieng est venu au quartier général du parti pour tenir une réunion. Il n’a vu que deux personnes et il a dû rentrer chez lui », raconte le député socialiste Bounama Sall. Stoïque, le technocrate Ousmane Tanor Dieng se révèle en animal politique. Entouré d’un groupe de fidèles, il devient le pilier de la résistance socialiste. « Cette génération qui gravitait autour de lui n’a pas rejoint le parti de manière fortuite, mais bien grâce à son leadership », affirme Bounama Sall, aujourd’hui responsable national des jeunesses socialistes, qui n’hésite pas à se dire à la fois « formé et formaté » par son mentor.
« L’une des conséquences de sa maîtrise du parti, c’est d’avoir coopté des gens qui lui sont complètement dévoués », observe l’historien et professeur à l’université Columbia de New York, Mamadou Diouf. Souvent critiqué pour sa discrétion – « sa froideur », glissent certains -, Ousmane Tanor Dieng aura appris l’efficacité à l’école d’Abdou Diouf, dont il a été le directeur de cabinet.
« Ousmane Tanor Dieng, ce n’était pas le politique, c’était l’État », affirme Mamadou Diouf. « Il a été mis en avant par Abdou Diouf au détriment de la vieille garde socialiste dans une logique d’administration du politique ». Un choix qui provoquera les dissidences des barons Djibo Kâ et Moustapha Niasse, qui marquent une première rupture au sein du parti.
Parti verrouillé
Ousmane Tanor Dieng réussit le miracle de tenir la barre du parti pendant douze ans, mais ses scores électoraux ne cessent de chuter. En 2012, douché par son faible score au premier tour de l’élection présidentielle (il finit quatrième avec 11,3% des suffrages), il finit par soutenir le candidat Macky Sall et rejoint sa coalition Benno Bokk Yakaar (BBY). Un choix de raison, dont beaucoup pensent qu’il a permis à la fois de faire barrage aux « ambitions monarchiques » d’Abdoulaye Wade et de sauver le parti. C’est après que les choses se gâtent.
En 2014, alors qu’il avait pourtant promis de renoncer au pouvoir, Ousmane Tanor Dieng est reconduit à la tête du parti, après avoir obtenu le retrait de sa seule opposante Aïssata Tall Sall. Le chef socialiste verrouille sa formation, ne rechignant pas à faire couper les têtes qui dépassent. Des partisans amers décrivent aujourd’hui « un parti géré comme un bien privé », des « réunions internes secrètes » visant à accroître le pouvoir du premier secrétaire, un manque démocratique dans les instances de décision.
Le refus du premier secrétaire de rompre avec le pouvoir pour présenter son candidat en 2019 crée une rupture définitive au sein du parti, les dissidents se coalisant autour de la figure de Khalifa Sall. « Après douze ans d’opposition, cinq ans aux côtés de Macky Sall, le parti avait besoin de se retrouver, de lancer à nouveau un projet socialiste pour partir à la reconquête du pouvoir », explique, amer, un responsable socialiste.
Le premier secrétaire était-il fatigué ? S’était-il réaccoutumé, comme certains le lui reprochent aujourd’hui, au « goût du pouvoir et des privilèges » dont il avait été privé pendant une longue décennie ? « À mon âge, on ne se lance plus à l’aventure », aurait-il lâché à ses militants. « Comme nous avons été des acteurs de ce septennat de Macky Sall, la logique voulait que nous continuions ce qui a été entamé », justifie aujourd’hui le député Bounama Sall.
Héritage
- Papa Matar Diop/Présidence Sénégal
Il a sauvé le PS mais n’a pas été capable de lui permettre de renaître et de se réinventer
« Ousmane Tanor Dieng est un homme de pouvoir, dont la force repose sur sa capacité à distribuer des prébendes. Il a sauvé le PS mais n’a pas été capable de lui permettre de renaître et de se réinventer », analyse l’historien Mamadou Diouf. « Malheureusement, c’est l’héritage qu’il laisse, car il n’a pas compris que le PS n’était pas capable de maintenir cette position d’appendice du pouvoir. Il n’a pas su répondre aux demandes d’une génération qui lui a été loyale pendant des années. »
Ironiquement, peu avant sa mort, le premier secrétaire avait pourtant lancé des appels du pied à ses alliés d’hier et montré la volonté de voir la grande famille socialiste se retrouver. « Cet appel à la réconciliation a été l’une de ses dernières interventions. Voilà la grande tragédie aujourd’hui, pour les partisans de Khalifa Sall comme pour ceux d’Ousmane Tanor Dieng », soupire Mamadou Diouf.