Économie

Nicolas Blancher (FMI) : « Le Maroc doit augmenter sa croissance et la rendre plus riche en emplois »

Le responsable de la mission du FMI au Maroc salue les réformes déjà entreprises par le royaume mais juge qu’il reste des mesures à adopter pour l’accessibilité au marché du travail et la lutte contre les inégalités.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:46

Les investissements au Maroc ne créent pas suffisamment d’emplois, selon la Banque mondiale (image d’illustration). © Hassan OUAZZANI/Jeune Afrique

Dans son rapport publié le 16 juillet, le Fonds monétaire international (FMI) estime que la mise en oeuvre d’une réforme simultanée du marché du travail et de entrepreneuriat pourrait ajouter 2,5 points de croissance du PIB et réduire le chômage de 2,2%. Nicolas Blancher, qui a dirigé la dernière mission dans le pays, nous livre son analyse.

Jeune Afrique : Le FMI a rappelé « l’urgence d’améliorer la qualité de l’éducation, le fonctionnement du marché du travail et le taux d’activité des femmes ainsi que l’environnement des affaires ». Pouvez-vous nous en dire plus sur les mesures recommandées par votre institution ?

Nicolas Blancher : L’enjeu clé pour le Maroc est d’augmenter son niveau de croissance et de rendre celle-ci plus riche en emplois. L’éducation concerne aussi la question de la gouvernance publique car le niveau des dépenses sociales est élevé et les résultats obtenus restent peu probants dans ce domaine. Le problème du chômage des jeunes est lié à l’éducation mais aussi à l’adéquation entre l’offre et la demande d’emplois et à la structure du marché du travail lui-même. Les jeunes sont aussi exclus du marché car ce dernier est souvent trop rigide.

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Il faudrait rendre le recrutement et le licenciement plus flexibles en les associant à plus de formation professionnelle et à des filets de sécurité, notamment des indemnités de licenciement. Mais aussi engager des discussions – même si nous le faisons déjà – avec les syndicats sur la question du CDD dans certains secteurs ou entreprises. Il y a déjà des initiatives mais il faut envisager leur généralisation.

Qu’en est-il de l’accessibilité des femmes au marché du travail ?

C’est un point essentiel pour résorber le chômage. Or ce niveau de participation est faible – de l’ordre de 25% – et surtout il décline. Une des explications est liée au fait que les femmes travaillent souvent dans le secteur informel qui est bien plus vulnérable aux cycles économiques. De plus les mesures en faveur de l’accès au crédit des femmes ne portent pas assez leurs fruits. Enfin, nous continuons de soutenir une politique visant à améliorer le transport scolaire et professionnel et l’alphabétisation dans les zones rurales.

Nicolas Blancher, chef de mission du FMI au Maroc © ©FMI

Nicolas Blancher, chef de mission du FMI au Maroc © ©FMI

Que pensez-vous du climat des affaires en ce moment au Maroc ?

Le Maroc a fait des progrès ces dernières années avec des mesures comme l’activation du Conseil de la concurrence pour réduire les barrières à l’entrée et améliorer la concurrence pour le bénéfice des PME, et en ce qui concerne la réduction des délais de paiement. Au classement Doing Business de la Banque mondiale, le Maroc est d’ailleurs passé à la 60e place en 2019 contre 128e en 2010. Le pays a su attirer beaucoup d’IDE depuis quelques années, notamment dans l’automobile, l’aéronautique ou portuaire mais a aussi développé les secteurs traditionnels que sont le textile et les phosphates. Ces avancées doivent désormais avoir des retombées sur les PME.

Dans le secteur bancaire, les établissements marocains sont également offensifs, particulièrement en Afrique de l’Ouest

Aujourd’hui le crédit bancaire est concentré sur un nombre limité d’emprunteurs, principalement les grands groupes, mais les banques veulent se diversifier. Il faut donc aussi plus de formation pour que, si l’offre de crédit augmente, la demande soit aussi solvable en face.

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Qu’en est-il de l’influence économique marocaine en Afrique ?

Le Maroc n’exporte pas seulement des phosphates en Afrique mais aussi des engrais et des services liés à l’agriculture. Dans le secteur bancaire, les établissements marocains sont également offensifs, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Les Marocains sont très conscients de leur besoin de diversifier leurs partenaires extérieurs, ne serait-ce que parce que l’Europe n’est en ce moment pas si dynamique. Il y a également un intérêt grandissant de divers pays envers le Maroc, du côté de l’Asie notamment.

Quels sont les aspects macroéconomiques à surveiller au cours des mois qui viennent ?

Depuis quelques années on observe une résilience accrue sur ce plan. Les grands équilibres sont de plus en plus sécurisés, les déficits tant budgétaire qu’extérieur se réduisent en tendance depuis cinq-six ans en dépit de chocs notamment pétroliers. Mais les réformes ont aussi permis un renforcement du cadre politique macroéconomique. La loi organique des finances publiques décidée en 2016 constitue un cadre évitant les grands dérapages.

Les chocs sont mieux absorbés qu’avant avec l’avancement de la réforme du régime de change. Le problème reste celui de la mise en œuvre des réformes pour relever le niveau de la croissance

Les chocs sont mieux absorbés qu’avant avec l’avancement de la réforme du régime de change. Maintenant le problème reste celui de la mise en œuvre des réformes pour relever le niveau de la croissance. Les réserves de change sont à un niveau confortable (supérieures à cinq mois), le pays garde le cap sur ses objectifs de déficit et de dette publique. Cette dernière s’est stabilisée et le but est qu’elle se réduise à hauteur de 60% du PIB d’ici quatre à cinq ans contre 65% aujourd’hui.

En matière de choc externe, les aléas climatiques restent néanmoins peu maîtrisables…

Certes, la faible pluviométrie constitue un facteur de fragilité. Néanmoins, la croissance du PIB reste moins impactée par les sécheresses qu’il y a dix ans. Grâce à la stratégie nationale, le « Plan Maroc vert », l’agriculture s’est diversifiée, les ressources hydriques sont mieux gérées, et le pays s’est lancé dans des secteurs où l’agriculture est moins intensive, en témoigne la montée en gamme ou en valeur ajoutée de plusieurs filières.

Que pensez-vous de la réforme fiscale lancée en mai dernier lors des assises de la fiscalité ?

Cette réforme va dans le bon sens à nos yeux puisqu’elle vise à élargir l’assiette fiscale tout en réduisant le niveau moyen d’imposition. Elle est en ligne avec nos recommandations, à savoir une meilleure intégration du secteur informel, la lutte contre l’évasion fiscale, la réduction de l’exonération pour certaines professions, notamment libérales, ou encore la digitalisation des administrations. Nous allons suivre ce processus, mais il est encourageant de voir que les autorités consultent sur ce projet et qu’elles envisagent de le faire déboucher sur une loi cadre dès 2020.

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Cette réforme va-t-elle dans le sens d’une meilleure redistribution et une lutte contre les inégalités sociales ?

Comme je le disais, la dépense sociale est élevée mais elle est aussi régressive. En d’autres termes, les transferts sociaux vont davantage vers les plus riches que les plus pauvres. La mise en place d’un « registre social unique » [qui rassemblera des informations sur la situation socio-économique des individus et des ménages, ndlr], permettra cependant, on l’espère, de mieux cibler les populations ayant besoin de ces transferts.

Cette année, une ou deux régions vont porter ce projet pilote avant sa généralisation vers 2021. Mais il faudra aussi songer aux classes moyennes les plus vulnérables, ces franges étant sensibles à la hausse des prix. À ce sujet, les discours royaux ont mis l’accent sur la nécessité d’une amélioration de la gouvernance et de la qualité des services publics.