[Tribune] Quelle place pour l’islam en Afrique de l’Ouest ?

L’islam a un rôle si structurant dans le quotidien de nos sociétés ouest-africaines qu’il convient d’engager des mesures importantes et concrètes afin de ne pas laisser cette religion aux mains des extrémistes.

Un imam conduisant la prière dans une mosquée de Gao, dans le nord du Mali (image d’illustration). © Jerome Delay/AP/SIPA

Un imam conduisant la prière dans une mosquée de Gao, dans le nord du Mali (image d’illustration). © Jerome Delay/AP/SIPA

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  • Moussa Mara

    Ancien Premier ministre du Mali, président du parti Yelema.

Publié le 8 juillet 2019 Lecture : 6 minutes.

La religion, de manière générale, a un rôle et une influence certaine au sein des groupes humains. Cette influence est susceptible de jouer sur l’organisation, le fonctionnement voire la gestion de la société, ce qui lui confère une dimension également politique.

Dans de nombreuses démocraties partisanes, des organisations politiques ont des références religieuses clairement établies et acceptées. En Allemagne, le parti dominant est encore un parti dénommé « chrétien démocrate ». Aux États-Unis, le président prête serment sur la Bible. En Turquie, au Maroc ou en Tunisie, les partis à référence islamique exercent ou participent au pouvoir. La religion est de ce fait associée à l’exercice du pouvoir en maints endroits.

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Au Mali et en Afrique de l’Ouest plus généralement, la religion musulmane est majoritaire. Cette partie du continent se caractérise par le fait qu’après le Maghreb, c’est la région qui est la plus islamisée. Étant la plus peuplée (entre 350 et 380 millions d’habitants), c’est là où l’on recense le plus grand nombre de musulmans – et, accessoirement, le plus grand nombre d’islamistes violents.

Une religion omniprésente

Le rôle social de l’islam se déduit du fait que des millions de citoyens acceptent de se soumettre à ses règles, à organiser leur existence conformément aux dogmes de la religion, à avoir des relations sociales placées sous le prisme religieux et à inscrire leurs rapports avec les autres dans le cadre de ce qui est prescrit par la religion. L’islam a de ce fait une importance majeure dans nos sociétés.

Cette particularité de l’islam en fait une cible pour de nombreux groupes humains, notamment dans les sociétés occidentales

Par ses rites et ses préceptes, l’islam est la religion monothéiste qui met le plus en avant le groupe, la collectivité et la société. C’est une religion qui se pratique et se vit en groupe. Elle met particulièrement l’accent sur l’harmonie sociale, et traite également la question de la société, de son organisation, de sa direction et de sa gestion. Cela particularise l’islam et crée ainsi de nombreuses occasions de confrontations entre ses prescriptions et les règles séculières définies par les hommes dans le cadre de la gestion de nos cités.

Cette particularité de l’islam en fait une cible pour de nombreux groupes humains, notamment dans les sociétés occidentales. Ces confrontations sont aussi présentes dans nos contrées et il est probable qu’elles continuent à être des sources de tensions à l’avenir. Elles forment d’ailleurs une des motivations des groupes islamistes terroristes dont l’ambition est de transformer la gestion de nos sociétés pour la mettre sous le magistère de ce qu’ils considèrent comme la voie authentique de l’islam.

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Donner un contenu propre à la laïcité africaine

Cette religion a indéniablement un rôle social et politique au Mali et en Afrique de l’Ouest. Cependant, en quoi ces rôles peuvent être des facteurs de stabilité, de prospérité et d’harmonie dans nos pays ? Comment concilier ce rôle politique avec le fonctionnement des collectivités et des États laïcs ? Comment éviter les chocs et les conflits, ou les minimiser afin que les collectivités puissent prospérer ?

Ces questions sont cruciales, et de leur réponse appropriée dépendront la sécurité et la stabilité de nos pays à moyen et long termes. Pour ce faire, il faut deux préalables essentiels et engager quelques initiatives majeures.

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La reconnaissance de la place dans nos sociétés de la religion de manière générale, et de l’islam en particulier, par nos élites politiques, la société civile, les intellectuels, etc, constitue un préalable indispensable au traitement dépassionné de la question. Par crainte, méconnaissance, paresse ou malhonnêteté intellectuelle – ou simplement par conformisme – , de nombreux leaders de nos pays ne souhaitent aborder le débat sur les questions religieuses qu’à l’abri des regards. On ne peut vouloir se situer à l’avant-garde d’une société et prétendre effacer une partie de l’identité de celle-ci. Les élites doivent intégrer cette réalité et en tenir compte. La religion est facteur de justice et d’harmonie.

Le second préalable est la nécessité acceptée par tous de donner enfin un contenu à la laïcité dans notre espace régional. Celle-ci ne peut être ni synonyme de rejet de la religion, ni être une copie de ce qui est retenu ailleurs. La laïcité à la hollandaise ne peut et ne doit pas être la laïcité à la malienne. Nous n’avons pas à mimer d’autres à qui d’ailleurs nous n’avons rien à envier. Nos sociétés sont souvent plus laïques, au sens occidental du terme, que d’autres quand on apprécie l’équidistance de nos États vis-à-vis des religions en rapport avec les jours fériés pour chacune des religions, les rapports avec les organisations religieuses, etc.

L’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, ici à Paris le 28 juin 2018. © Francois Grivelet pour JA

L’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, ici à Paris le 28 juin 2018. © Francois Grivelet pour JA

Feuille de route concrète

De manière concrète, quatre initiatives pourraient être prises dans nos pays. La première consiste à formaliser par des politiques, stratégies et règles, les rôles et la place de la religion dans nos sociétés, les rapports entre la religion et le pouvoir temporel, les droits et devoirs des leaders religieux, les rapports entre le religieux et le politique, les normes d’organisation et de fonctionnement du culte, etc. Il faut mettre fin à la politique de l’autruche en laissant l’anarchie religieuse envahir l’espace public. Cet important chantier devrait être ouvert en collaboration avec les organisations religieuses.

Il nous faut aborder les chocs prévisibles sans passion, mais avec la ferme volonté d’établir des compromis rassembleurs

La seconde initiative est d’organiser le dispositif religieux et de lui assurer une plus grande cohésion. Il faut assurer l’unité et l’entente entre les courants. Il est nécessaire qu’une organisation faîtière soit construite et renforcée pour qu’elle dispose des moyens de son leadership. Elle doit avoir les capacités scientifiques requises et des moyens d’édiction des normes. Elle doit disposer d’organes incontestés d’orientation et de supervision. Sa légitimité est indispensable pour asseoir son autorité, et cette dernière sera cruciale dans les rapports avec les pouvoirs publics.

À la suite de ces initiatives institutionnelles, il convient de mettre en place un dispositif permettant la concertation et la collaboration entre la gouvernance temporelle et l’autorité religieuse supérieure afin d’anticiper les chocs et les traiter. Ces chocs ne manqueront pas (question d’héritage, rôles et places de la femme, peine de mort, bioéthique, excision…). Il nous faut forcément les aborder en ayant le souci de la stabilité, de l’harmonie, de la prospérité et de la solidarité dans la société. Sans passion, mais avec la ferme volonté d’établir des compromis rassembleurs.

Des arguments religieux pour contrer l’extrémisme

Les interrelations entre les autorités religieuses et les autorités politiques peuvent ouvrir la voie à la dernière initiative. Celle-ci consiste à prévoir, dans le cadre de la décentralisation, la possibilité qu’il y ait des règles civiles d’application locale et inspirées de la religion. Cela prévoira également des officiers judiciaires religieux chargés de rendre des décisions inspirées de la religion, sur des thématiques civiles comme les questions d’état civil, le caractère licite ou illicite de certains produits ou services, les litiges entre citoyens, les questions civiles ou commerciales…

Ces possibilités peuvent ensuite être étendues à des infractions pénales de type contraventionnel ou délictuel (questions environnementales, atteinte au patrimoine public, vols jusqu’à certains niveaux…). Il s’agit de créer des possibilités permettant de régler localement les problèmes selon les principes religieux.

Les possibilités offertes par cette initiative – ainsi que la précédente – permettront à nos pays de traiter la question des groupes terroristes autrement que par des moyens militaires. Ces groupes armés parviennent à convaincre les populations en se fondant sur des principes religieux. Lorsque nos gouvernants parviendront à leur opposer des arguments religieux et à intégrer certains principes religieux dans le fonctionnement de la vie collective, une bonne partie des thèses violentes n’aura plus de prise sur les populations. La religion reste l’arme la plus efficace contre l’extrémisme religieux.

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