Politique

Tunisie : après le « grave malaise » de Béji Caïd Essebsi, quels scénarios ?

Les responsables parlementaires se sont réunis en urgence, jeudi après-midi, après l’hospitalisation à Tunis du président Béji Caïd Essebsi pour un « grave malaise ». Vacance définitive ou provisoire du pouvoir, intérim, statu quo… Jeune Afrique analyse les différents scénarios envisageables.

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Mis à jour le 28 juin 2019 à 11:05

Béji Caïd Essebsi lors du dernier discours de commémoration de l’Indépendance de son quinquennat, mercredi 20 mars 2019 à Tunis (image d’illustration). © Facebook/Présidence Tunisie

• Vacance définitive

Suite au « grave malaise » qu’a subi le président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE), dans la matinée du jeudi 27 juin, l’application de l’article 84 de la Constitution est revenue dans le débat. Cet article dispose, dans son deuxième paragraphe, qu’en cas « de décès ou d’incapacité permanente ou pour tout autre motif de vacance définitive, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai, constate la vacance définitive et en informe le Président de l’Assemblée des représentants du peuple qui est sans délai investi des fonctions de Président de la République par intérim, pour une période de quarante-cinq jours au moins et de quatre-vingt-dix jours au plus ».

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Suivant cette hypothèse, c’est alors l’actuel président du Parlement, Mohamed Ennaceur, qui assurerait un intérim de 45 à 90 jours à la tête de l’État. Avant d’entamer son « mandat provisoire », le futur président intérimaire devrait au préalable, formalité oblige, prêter serment devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

• Vacance temporaire

Deuxième scénario possible, le président se remet lentement de son « grave malaise ». Dans ce cas, ce sont les articles 83 et 84 de la Constitution qui s’appliquent. La première hypothèse (article 83) nécessite que le président de la République soit conscient de ses actes. Dans ce cas, il peut « déléguer ses pouvoirs au Chef du Gouvernement pour une période n’excédant pas trente jours, renouvelable une seule fois ».

Le président de la République informe alors le président de l’Assemblée de la délégation temporaire de ses pouvoirs. La deuxième hypothèse évoque le cas où les motifs de la vacance provisoire rendent « impossible » l’acte formel de délégation du pouvoir. Dans cette situation, l’article 84, paragraphe 1, de la Constitution, prévoit que « la Cour constitutionnelle se réunit sans délai et constate la vacance provisoire, le Chef du Gouvernement remplace le Président de la République. La durée de la vacance provisoire ne peut excéder soixante jours. »

• Pas de vacance

Autre cas de figure : l’état de santé du président de la République s’améliore sensiblement et il reprend dans les jours suivants son rythme de travail ordinaire. Quelques heures après l’hospitalisation en urgence du président, Carthage a ainsi diffusé un communiqué assurant que « l’état de santé de Béji Caïd Essebsi est stable et [que] ce dernier reçoit les soins nécessaires ». « On n’est pas dans une vacance provisoire. Le président peut tomber malade, prendre un congé et reprendre ses fonctions », a déclaré Saïda Garrach, la porte-parole de la présidence de la République, sur les ondes de Shems FM.

Samedi 22 juin, au lendemain d’un premier « léger malaise » du chef de l’État, Firas Guefrech, le conseiller principal de la présidence de la République chargé des médias, avait annoncé que BCE était sorti de l’hôpital et que son programme pour la semaine à venir avait été maintenu.

La réunion qui a eu lieu à l’Assemblée n’a rien avoir avec l’état de santé du président, a affirmé la porte-parole de la présidence

Signe toutefois de la grande importance accordée à la « maladie » du président de la République, Mohamed Ennaceur a convoqué en urgence jeudi 27 juin les présidents des différents groupes parlementaires pour des « consultations ». Pour l’heure, rien n’a filtré sur le contenu réel de ces échanges.

« La réunion qui a eu lieu à l’Assemblée n’a rien avoir avec l’état de santé du président, a affirmé Saïd Garrach. On oublie qu’il y a eu deux attentats, et que même après des inondations, le président de l’ARP et les présidents des blocs parlementaires tiennent des réunions d’urgence. »


Le calendrier électoral chamboulé ?

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a fixé les dates des prochaines élections législatives et présidentielle respectivement au 6 octobre et au 10 novembre 2019. En cas d’événement majeur (vacance provisoire ou définitive de la présidence de la République), c’est tout le calendrier électoral qui risque d’être chamboulé.

En effet, même si les textes encadrent le mandat du nouveau président par intérim, rien ne garantit que les prochaines élections se tiennent dans les délais impartis. En 2011, alors que la Constitution prévoyait un intérim de soixante jours en cas de vacance à la présidence de la République, Fouad Mebazaa avait présidé aux destinées du pays du 16 janvier 2011 au 23 octobre 2011, soit plus de neuf mois.


L’absence de Cour constitutionnelle, un obstacle ?

La Cour constitutionnelle n’ayant pas encore vu le jour, une partie du débat se focalise sur l’autorité chargée de constater la vacance (provisoire ou définitive). D’un coté, certains juristes estiment que ce rôle doit échoir à l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de lois (IPCCPL). Créée par la loi organique n° 2014-14 du 18 avril 2014, cette instance a pour mission « de procéder au contrôle de constitutionnalité des projets de loi sur demande du Président de la République, du Chef du gouvernement ou de trente députés au moins ».

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De ce fait, la loi organique ne lui donne pas pour attribution de constater la vacance de la fonction de président de la République. Il reste que l’esprit de la loi du 18 avril 2014 énonce que celle-ci remplit certaines missions de la Cour constitutionnelle, le temps que cette dernière soit mise en place. Suivant une approche téléologique ou finaliste du droit, la règle doit être interprétée et appliquée à la lumière de ses finalités. En l’espèce, la finalité réside dans l’accomplissement des missions de la Cour constitutionnelle. Élargir ces missions face à une situation exceptionnelle constituerait alors une solution acceptable en droit pour surmonter cette crise.

D’un autre côté, certains spécialistes considèrent qu’il existe un vide juridique concernant cette question, et que c’est au Parlement que revient la mission de trancher cette question. Estimant que ce dernier émane de la volonté populaire, ils affirment que l’hémicycle doit étendre ses prérogatives pour faire face à cette situation « exceptionnelle ». Si cette option se revendique « plus démocratique », elle paraît pour le moins critiquable, puisque la Constitution délimite clairement le champ d’application de la loi, et donc de l’intervention du Parlement.