Dans un bureau de vote de Nouakchott, en Mauritanie, en 2014 (photo d’illustration). © Ahmed Mohamed/AP/SIPA

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Politique

Présidentielle en Mauritanie : Biram Dah Abeid et Kane Hamidou Baba, la bataille pour l’électorat halpulaar

Lancés dans la course à la présidentielle, les opposants Biram Dah Abeid et Kane Hamidou Baba, qui chassent sur les mêmes terres électorales, se livrent la seconde bataille de ce scrutin.

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Par - envoyée spéciale à Nouakchott
Mis à jour le 22 juin 2019 à 17:28

Kane Hamidou Baba et Biram Dah Abeid. © DR et et Sylvain Cherkaoui pour JA

Dans une petite salle surchauffée du siège de sa campagne, ce 21 juin à Nouakchott, Biram Dah Abeid peine à trouver le temps de boire son café. Entre ses visiteurs, qui patientent devant la porte verrouillée, et les appels téléphoniques, le leader de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA)-Mauritanie sait que les heures seront longues jusqu’au scrutin. « Il n’y a pas photo entre les autres et moi !, lance le député. Ma trajectoire, tracée à mes risques et périls, m’a donné une légitimité au sein des populations. J’ai un projet citoyen pour tous les Mauritaniens, qu’ils soient arabes, berbères, haratine, soninkés, wolof ou bambara. »

Ce militant antiesclavagiste plusieurs fois emprisonné et arrivé deuxième à la présidentielle de 2014 (boycottée par la plus grande partie de l’opposition) est l’un des rares opposants, si ce n’est le seul, dont la notoriété a dépassé les frontières du pays. Peut-il pour autant être le candidat de tous ? Son langage parfois fleuri est perçu par les Maures comme « hostile » à leur égard. « C’est de bonne guerre ! réagit-il. Mais la communauté internationale a déjà tranché, car je suis primé par les Nations unies comme étant un homme engagé, selon la légalité internationale. C’est sans appel. »

Système de vases communicants

À quelques minutes de là, se situent les bureaux d’un autre candidat, qui estime lui aussi être celui du rassemblement : Kane Hamidou Baba. À la tête de la coalition Vivre ensemble (AJD/MR d’Ibrahima Sarr, FPC de Samba Thiam…), il fut candidat malheureux à la présidentielle de 2009 et vice-président de l’Assemblée nationale. « J’ai toujours avancé sur deux béquilles, l’unité nationale et la démocratie, dit-il d’une voix posée. Je me suis donc tourné vers des partis à leadership négro-africain, sensibles à ces questions. »

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Voici la seconde bataille de la présidentielle du 22 juin : Biram Dah Abeid et Kane Hamidou Baba chassent sur les mêmes terres, celles de l’électorat halpulaar (Peuls et Toucouleurs). « Entre ces deux rivaux, il y a un système de vases communicants, analyse un proche du patron de l’Alliance populaire progressiste (APP), Messaoud Ould Boulkheir. Quand l’un prendra des voix chez les Halpulaar, il en fera automatiquement perdre à l’autre. Ce n’était pas la bonne stratégie. »

Ayant été le premier à annoncer sa candidature, « Biram » n’a pas participé aux discussions de l’opposition autour d’une candidature unique. « Pourquoi je soutiendrais l’un d’eux ? Mais c’est à eux de me soutenir ! s’emporte-t-il. C’est moi la vraie opposition, celle du sacrifice, contre le système. » Avec Kane Hamidou Baba, il assure « ne pas avoir beaucoup de points communs, si ce n’est d’être issu de la communauté des victimes. »

Le RAG jamais légalisé

« C’est un peu normal qu’on nous pose en rivaux, reconnaît ce dernier. Ma candidature va considérablement gêner sa base en milieu négro-africain. Mais un vote affectif donnera plus de chances à celle de la coalition que je représente, qu’à la sienne. »

Si elle n’a pas provoqué de grande reconfiguration dans la galaxie des partis « négro-mauritaniens », la percée, depuis 2012, de Biram sur la scène politique a contribué à bousculer la société traditionnelle. « Tous les jeunes de moins de 35 ans sont avec Biram, analyse Wane Birane, enseignant à l’université de Nouakchott. Dans leurs mémoires d’enfants, sont durablement inscrites les exactions de 1989. »

L’IRA demeure une association et, malgré ses multiples demandes, elle n’a jamais réussi à faire légaliser son parti, le RAG. En 2018, Biram a donc noué une alliance avec la formation nationaliste arabe Sawab, quitte à se mettre à dos une grande partie de son électorat. « Nous nous retrouvons sur les mêmes thématiques, chacun avec son style, conclut Kane Hamidou Baba. Je partage l’idée qu’il faut combattre l’esclavage et lui défend les Négro-Africains, le retour des déportés ou encore le règlement du passif humanitaire. Mais comme on dit : il y a un seul lit pour deux rêves. »