Ce n’est rien moins que l’un des dogmes de l’islam que l’imam de Kankan, capitale de la Haute-Guinée et deuxième ville du pays, a brisé lors du mois de ramadan. Une vidéo tournée le 31 mai, qui a largement circulé sur les réseaux sociaux guinéens début juin, montre l’imam Nanfo Ismaël Diaby devant un groupe de fidèles, tout de blanc vêtu, tenant dans une main un micro et dans l’autre le Coran, conduire la prière surérogatoire du dernier mois de ramadan en malinké.
La réaction de la Ligue islamique de Guinée a été immédiate, et sans appel. « Le nommé Nanfo Ismaël Diaby est suspendu de toutes ses activités religieuses », a décidé lundi 10 juin l’inspection régionale de la Ligue islamique de Kankan, après avoir entendu le mis en cause la veille. « L’intéressé ne doit faire ni prière, ni prêche, ni interprétation du Saint Coran dans aucune mosquée de la région administrative et les lieux de cérémonies religieuses de Kankan ». Une sanction qui restera en vigueur « jusqu’à nouvel ordre », précise la Ligue islamique régionale.
L’imam campe sur ses positions
Nulle part, le Livre Saint n’interdit de prier dans une autre langue
Si l’imam Nanfo Ismaël Diaby est une célébrité locale, à Kankan, sa renommée n’aura pas empêché sa prière en malinké de provoquer un scandale dans cette cité très pieuse. « Kankan a toujours été un foyer de prosélytisme religieux, depuis sa fondation dans les années 1600 », explique à Jeune Afrique l’historien Fabo Koulibaly, une autre célébrité de Kankan. « La religion, c’est le dogme, le sacré. Le prophète Mohammed, le plus aimé de Dieu chez les musulmans, a toujours prié dans la langue arabe. Le faire autrement, c’est saboter l’islam, le désacraliser. »
Nanfo Ismaël Diaby, lui, campe sur ses positions. « C’est parce que le prophète était arabe que le Coran a été révélé dans cette langue », assure-t-il à Jeune Afrique. Celui qui se présente comme un imam « guérisseur naturaliste » a d’ailleurs une thèse qu’il entend défendre : « Nulle part, le Livre Saint n’interdit de prier dans une autre langue. Le prophète non plus. Il a dit : “Priez comme vous m’avez vu prier”. Il a prié dans sa langue, nous devons le faire dans nos langues aussi ».
Et de renchérir : « Prier dans sa langue permet de bien comprendre sa prière et le Dieu qu’on est en train d’adorer. Dieu comprend toutes les langues. Ce qui signifie que chacun est libre de prier dans sa langue. Dans tout le Coran, Dieu n’a nulle part dit de prier en arabe. »
Et s’il se dit aujourd’hui « inquiet pour sa sécurité », Nanfo Ismaël Diaby, qui enseigne le n’ko dans le département langues et lettres de l’Université Julius Nyéréré de Kankan, n’en démord pas. « Je ne vais pas abandonner cela jusqu’à ma mort, car j’ai vu la vérité », martèle-t-il.
« Terre d’accueil » et de promotion du n’ko

Une carte de la Guinée en langue malinké, en alphabet n'ko. © DR / Capture d’écran Facebook / N’KO ߒߞߏ
À Nabaya – « Terre d’accueil », en malinké, l’autre nom de Kankan -, l’imam Nanfo Ismaël Diaby est connu pour ses prêches et sa promotion de l’alphabet n’ko sur les antennes des radios locales. Si plusieurs sources font remonter les premières apparitions de cet alphabet au XVIe siècle, Souleymane Kanté, son « inventeur » officiel, en 1949, est né ici, à Kankan.
La ville est donc, tout naturellement, en pointe dans la promotion du n’ko qui, comme l’alphabet arabe, s’écrit de droite à gauche. Et les promoteurs du n’ko s’y font volontiers activistes. On dénombre trois écoles d’enseignement n’ko dans la ville, dont celle dénommée « Abdoulaye Nabé », appartenant à l’imam polémiste. Ici, c’est l’hymne national guinéen qui a été chanté en malinké, lors de la levée des couleurs dans cet établissement, qui compte 400 élèves.
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Autre activiste, Soriba Cissé, qui anime Sory fa fa fa Kaba, une page Facebook forte de quelque 7 700 abonnés qui s’est donné pour mission de promouvoir l’usage du n’ko.
« Au-delà du malinké, cet alphabet a été créé pour la transcription des langues africaines en général et répondre à ceux qui disent qu’elles n’ont pas d’écriture. Nos langues sont des langues à ton, qui ne peuvent pas être transcrites fidèlement par les langues étrangères », explique Soriba Cissé à Jeune Afrique. « C’est un peu comme le latin pour les langues occidentales : ce n’est pas une écriture religieuse uniquement, mais aussi scientifique. »
Ces derniers jours, la page est essentiellement alimentée par des messages et vidéos d’internautes y prenant ouvertement la défense de l’imam suspendu. Soutien déclaré de la démarche de Nanfo Ismaël Diaby, Soriba Cissé – qui se réclame des « valeurs panafricanistes de Kémi Séba » – se veut cependant prudent. S’il « ne condamne pas sa manière de prier au nom de la liberté de culte », cela ne signifie nullement qu’il « prie comme lui », insiste-t-il.