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Aliou Sall-Frank Timis : l’affaire qui secoue la présidence sénégalaise
Une semaine après la diffusion du reportage de la BBC – « Un scandale à dix milliards de dollars » –, l’opposition semble bien décidée à ne pas laisser s’éteindre l’incendie allumé dans l’opinion publique sénégalaise. Dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Aliou Sall-Franck Timis, il y a « une forte présomption d’associations de malfaiteurs […] en vue d’une entreprise ayant abouti à la spoliation d’intérêts du Sénégal », a ainsi martelé l’ex-ministre de l’Énergie Thierno Alassane Sall, qui avait convoqué la presse, mardi après-midi.
Alors que sur les réseaux sociaux fleurissent les commentaires acerbes sous les hashtag #SallGate ou #PetroGazGate, le Congrès de la renaissance démocratique (CRD, opposition) avait convoqué la presse pour « faire le point » sur l’Affaire Petro-Tim et les soupçons de corruption liés à l’attribution de deux champs pétroliers et gaziers au large du Sénégal à l’homme d’affaires roumano-australien Frank Timis en 2012.
Aly Ngouille Ndiaye et Macky Sall ciblés
Le CRD a notamment annoncé son intention de réclamer l’ouverture d’une enquête parlementaire, ainsi que de déposer une plainte contre Aliou Sall, le frère du président Macky Sall, devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Selon la BBC, Aliou Sall aurait, en 2014, touché 250 000 dollars lors de la rétrocession des blocs par Frank Timis à British Petroleum, en plus d’un salaire de 25 000 dollars mensuels pendant cinq ans. Un versement, « aux airs de pots-de-vin », selon le média britannique, que l’intéressé a formellement nié le 3 juin, lors d’une conférence de presse.
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Mardi, côte à côte, l’ex-ministre de l’Énergie et l’ex-Premier ministre Abdoul Mbaye sont longuement revenus sur le processus d’attribution des blocs gaziers Cayar Offshore Profond et Saint-Louis Offshore Profond, de la négociation des contrats sous Wade à leur signature par Macky Sall, en juin 2012.
Du fait du manque d’expérience dans le secteur de Frank Timis, et de sa réputation sulfureuse, l’attribution de la concession à la société Timis Corporation a longtemps suscité la controverse. Si Aliou Sall est au centre de cette polémique, les cibles privilégiées des responsables politique du CRD, mardi, ont été Aly Ngouille Ndiaye et Macky Sall lui-même.
L’actuel ministre de l’Intérieur, qui était ministre de l’Énergie et des Mines lors de la signature du contrat de concession, est en effet plusieurs fois cité dans la version d’un rapport de l’Inspection générale d’État (IGE), datant d’octobre 2012, dont des extraits ont fuité ces derniers jours.
Un rapport de l’IGE « étouffé » ?
Pour Thierno Alassane Sall, « le rapport étouffé de 2012 n’a pas manqué de relever en des termes très sévères la précipitation du ministre Aly Ngouille Ndiaye à faire procéder à l’approbation des contrats sans attendre la conclusion du rapport d’enquête » ordonnée le 30 mai précédent par Macky Sall.
Une initiative qualifiée de « surprenante, improductive et risquée » par le rapport de l’Inspection générale d’État. « Le timing tiendrait d’une volonté de ruser », estime Thierno Alassane Sall, qui affirme que s’est alors joué « course contre la montre avec le dépôt du rapport définitif de l’IGE, pour pouvoir dire : “On ne le savait pas” ».
Le Grade des Sceaux a saisi le procureur général près la Cour d’appel de Dakar pour l’ouverture d’une enquête complète
Le rapport de l’IGE, sur lequel se base le CRD pour porter ses accusations n’a officiellement pas été rendu public. Cela n’a cependant pas empêché le ministère de la Justice d’annoncer, lundi 10 juin, que Malick Sall, le Garde des Sceaux, avait « saisi le procureur général près la Cour d’appel de Dakar pour l’ouverture d’une enquête complète sur l’ensemble des faits allégués, aussi bien dans ledit rapport, qui n’a pas encore été transmis à monsieur le président de la République, que sur les autres dénonciations relativement à la gestion des contrats pétroliers ».
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Les avocats d’Aliou Sall, qui avait initialement annoncé son intention de porter plainte pour diffamation contre la BBC, ont de leur côté finalement annoncé opté pour une autre option. « Nous avons engagé un recours non juridictionnel en attendant l’issue de l’action du ministère public », écrit Me Mouhamadou Moustapha Dieng, l’avocat du frère du président. Une procédure qui suppose de « saisir au préalable la BBC d’une réclamation qui l’oblige à ouvrir une enquête sur la fiabilité des informations ».
Passe d’armes entre Macky Sall et Abdoul Mbaye
Pour le CRD, « le rapport de L’IGE a été étouffé, car ses conclusions allaient à l’encontre de l’attribution des concessions des deux blocs, ainsi que du prolongement de la première période de recherche », signé en août 2013. Et les opposants d’enfoncer le clou, en avançant la thèse selon laquelle Macky Sall aurait, avec l’aide de son ministre de l’Énergie de l’époque, sciemment ignoré les conclusions du rapport de l’Inspection générale d’État.
« Conscient du préjudice lourd aux intérêts stratégiques du Sénégal », il aurait alors pris des décisions « profitant aux sociétés d’une nébuleuse au service duquel son frère se mettait », accuse Thierno Alassane Sall.
« Abdoul Mbaye lui-même a préparé, avec les services de la primature, le décret d’approbation que j’ai signé. Mais je remarque que, dans certains cas, il devient subitement amnésique », a déclaré de son côté le président sénégalais, cité par le journal Le Quotidien, lors d’une rencontre avec des militants de Benno Bokk Yakaar (coalition au pouvoir).
Le chef de l’État, qui a par ailleurs affirmé avoir signé le décret d’approbation pour éviter le déclenchement de procédures de contentieux. Réagissant à la polémique, relancée avec vigueur depuis la diffusion du reportage de la BBC, Macky Sall aurait répondu que l’État « a pris ses responsabilités en saisissant la Justice » et « n’a rien à se reprocher », fustigeant au passage « un certain opposition radicale [qui se livre] à de fausses déclarations ».
Jeune Afrique a décrypté sous forme d’infographie ce dossier qui suscite fantasmes et indignation.
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